Une nouvelle CENI a été mise en place le 31 Octobre dernier. Un accouchement dans la douleur. Aux forceps même. Le ministère de l’Intérieur était quasiment sur le point de prendre ses responsabilités en formant lui-même ladite commission, les partis politiques peinant à s’entendre sur la nature de celle-ci : politique ou réellement indépendante, comme le propose son intitulé ? C’est dire une CENI constituée de personnalités non affiliées à des partis politiques et donc a priori capable d’arbitrer sans parti pris.
La date-butoir approchant, les partis – en particulier ceux de l’opposition – sont parvenus à une espèce de compromis en désignant, dans chaque camp, onze personnes parmi lesquelles le Président a pioché les onze commissaires requis. La présidence de cette nouvelle CENI a été confiée à l’ancien ministre de l’Intérieur et ministre secrétaire général à la présidence de la République. Un homme d’une grande expérience, reconnaît-on dans les camps de l’opposition et de la majorité. Il est secondé par un juriste, Mohamed Lemine Dahi, que le RFD a choisi comme personnalité indépendante. Un choix qui aurait fait des mécontents, semble-t-il, dans les rangs mêmes de ce parti. Comme la CENI devrait être constituée de membres des partis politiques, affirment-ils, le RFD et l’UFP auraient dû envoyer certains de leurs cadres connus pour leur engagement et sacrifices qu’ils n’ont cessé de consentir. La CENI, boîte juteuse ? Passons, la décision revenait de toute façon aux partis et au Président.
La CENI désormais constituée, on doit s’interroger sur les défis qu’elle doit relever. Le principal parti de la majorité présidentielle, l’INSAF, s’est réjoui, dans un communiqué publié le 4 Novembre, de l’atmosphère et du climat de concertation qui ont présidé à la mise en place de la CENI. Et d’exprimer sa disposition à l’accompagner dans l’accomplissement de sa mission. Dans les autres états-majors politiques, c’est le silence radio. Plusieurs partis de l’opposition et certaines personnalités indépendantes cachent mal leur préférence pour une « CENI neutre ». Mais il faut noter ici la rareté des hauts cadres et notabilités à se trouver en telle objectivité. Ces oiseaux sont exceptionnels mais il n’en demeure pas moins que la Mauritanie garde tout de même quelques hommes d’expérience et d’équité. En tout cas, c’est à l’épreuve qu’on jugera la nouvelle commission électorale.
Se révéler « bon arbitre »
C’est le premier défi que la CENI doit relever. Sa première décision – fixer la date des prochaines élections locales – est donc attendue avec intérêt. Selon diverses informations et d’après l’accord entre les partis et le ministère de l’Intérieur, elles pourraient se tenir entre Février et Mars 2023. Elles seront donc anticipées. La tâche de la CENI ne semble sur ce point guère difficile : le chemin est déjà balisé par l’accord. Comme celui de la diaspora et de la question du renouvellement des cartes d’identité nationales dont la date d’expiration est arrivée à terme en 2022. Reste cependant le problème de la liste électorale dont les limites ont été soulignées par l’ancien président de la CENI, Cheikh Sid’Ahmed Babamine. La Mauritanie s’est toujours basée sur les recensements à vocation d’état-civil pour y intégrer ceux qui viennent d’atteindre l’âge de la majorité ou ont changé de circonscription électorale. Dans une récente tribune, Ould Babamine plaide pour la réhabilitation de la Direction générale des services d’appui au processus électoral (loi organique 2012- 27 du 12 Avril 2012), clef de voûte de tout le système. Car la CENI, argumente-t-il, ne dispose pas de moyens pour réaliser une liste électorale digne de ce nom. C’est donc une urgence, dit-il, de réhabiliter cette direction afin d’en réaliser une exhaustive et donc fiable : il en va de la crédibilité des processus électoraux. La nouvelle CENI plaidera-t-elle pour cette réhabilitation auprès du ministère de l’Intérieur et, partant, du gouvernement ? Disposera-t-on d’assez de temps à cette fin ? On le saura quand la date des prochaines élections sera fixée.
L’argent, encore et toujours…
Autre défi de la CENI, l’utilisation de l’argent public pendant la campagne. Il est de notoriété publique que celui-ci – tout comme celui des hommes d’affaires – ont pesé sur le vote des citoyens. À l’approche des élections, les hauts cadres de l’État sont « obligés » d’aller battre campagne, chacun chez lui ou dans la circonscription qu’on lui désigne. Et le meilleur moyen pour eux est de corrompre les électeurs ; à défaut, les intimider. Le dialogue de 2012/13 avait tenté de limiter ces abus mais le gouvernement de l’époque n’a pas joué le jeu, en lâchant sans vergogne ses cadres et ministres sur le terrain. On scrutera avec intérêt le comportement de la CENI vis-à-vis des media publics et privés, réseaux sociaux et autres« fameuses » initiatives. La CENI évitera-t-elle d’être une officine du ministère de l’Intérieur et la proclamation des résultats par le gouvernement avant l’heure ? On espère qu’elle traitera avec diligence et impartialité toutes les différences qui lui seront soumises par les différents partis et candidats. Il y va de sa crédibilité : une CENI flanquée par des partis politiques peut-elle échapper à des querelles d’intérêts ? Une inquiétude exprimée par le professeur Lô Gourmo en plein débat sur la nature de la CENI. Cela dit, une grande partie des hommes qui la composent sont, comme on dit, « vaccinés » et n’ont rien à perdre… sinon leur créance et leur image.
Dalay Lam