Les déclarations faites par ces blessés à la télévision sénégalaise au moment de leur débarquement à l’aéroport international Léopold Sédar Senghor de Dakar Yoff, faisait donner d’une manière officielle et à peine voilée, le feu vert à une vague de violence qui allait se déclencher le lendemain dans les rues de Dakar avec une furie meurtrière sans précédent.
Plus de 160.000 mauritaniens se sont retrouvés le 22 avril 1989 pris au piège mortel des « escadrons de la mort » sénégalais, une véritable armée, « Légion de la honte » qui comptait dans ses rangs les aigris par la politique d’Abdou Diouf, les agresseurs de Reubeus, les repris de justice Guenaw Rails, les adeptes du vandalisme et du pillage de la Medina où est né Youssou N’Dour.
Tous ces réservistes étaient en alerte rouge depuis le 9 avril 1989 et prêts à donner l’assaut d’une violence meurtrière indescriptible.
Après la télévision sénégalaise et ses informations « incendiaires », radio Sénégal émettant sur l’ensemble de son réseau avait pris le relai jouant le rôle de « la Radio des mille Collines ». Pour les sénégalais, les reportages sur les déclarations des blessés en provenance de la Mauritanie passait un message clair, limpide et sans équivoque. Selon leur compréhension, le feu vert était donné pour une réplique. Les maures, commerçants du gros et demi-gros du plateau, de la Rue 6 de la Medina, les courtiers et vendeurs de bétail du Marbat de l’entrée de Pikine, les Harratines livreurs avec pousse-pousse de la place de l’indépendance, les « maures » des petites échoppes des quartiers des Parcelles Assainies, des boutiques des « nars » de Taly Boumag, Taly Boubess, Nyiary Taly, de Khar Yalla, de Rufisque, les vendeurs des dibiteries, les accompagnants de malades des hôpitaux du Centre Hospitalier de FAN, d’Aristide Le Dantec, de l’Hôpital Principal, tous ces mauritaniens, s’étaient retrouvés pris au piège des « escadrons de la mort » assoiffés de haine, armés de machettes, de coupecoupes, de couteaux et de barres de fer.
Tous les marginaux sous influence de la drogue de Mbeubeuss la grande décharge d’ordures de la capitale sénégalaise, appuyés par les agresseurs du plateau, ceux de la zone du port Dakar, et les repris de justice de Reubeus la prison Centrale de la Corniche Sud s’étaient lancés en masse à la chasse des mauritaniens.
Cette descente musclée et sanguinaire avait laissé dans les rues de Dakar des images d’horreur apocalyptiques. Un véritable carnage. Des femmes enceintes éventrées, des cranes de bébés allaitants écrasés contre des murs, des hommes égorgés ou mutilés, des vendeurs de viande grillée brûlés vifs. Cette journée noire du 22 avril 2019 est restée gravée dans les annales de l’histoire du Sénégal comme une journée d’une furie meurtrière et d’une violence inimaginable. Durant les 24 heures qui ont suivies, des atrocités d’un genre indescriptible ont été commises sur des mauritaniens (les plus âgés de 70 ans et les plus jeunes, des bébés de quelques mois). « Insupportable », dira plus tard un diplomate étranger.
En Mauritanie, des sénégalais (dont le chiffre jusqu’à cette date n’a pas été révélé) avaient eux aussi été assassinés dans les rues de Nouadhibou et de Nouakchott et de sang-froid par des tueurs probablement « réquisitionnés ». Mais dans notre pays, aucun cas de mutilation ou d’atrocités du genre commis au Sénégal n’a été enregistré. Ni à Nouakchott, ni dans la capitale économique tout au long des troubles des journées d’enfer du 24 et du 25 avril 89.
Diplomate descendant d’esclaves face à l’horreur.
En poste à Dakar, (hartani), Bilal Ould Werzeg, Premier Secrétaire de l’Ambassade de Mauritanie à Dakar, très influent, très respecté et très compétent, ne pouvait malheureusement que constater les dégâts. Des cadavres de mauritaniens jonchaient sur le sol à plusieurs endroits de la capitale sénégalaise. Durant toute la période du massacre des mauritaniens, les autorités sénégalaises n’avaient pas un seul instant levé le petit doigt pour arrêter les atrocités. Ces autorités s’étaient même abstenues de mettre en place un plan de sécurisation et de regroupement des mauritaniens dans un centre d’hébergement en attendant leur évacuation dans leur pays. Comme c’était le cas à Nouakchott. Dès le début des évènements, Bilal Ould Werzeg n’avait plus fermé l’œil ni de nuit ni de jour pour accompagner et soutenir moralement, psychologiquement et matériellement ses compatriotes en ces moments d’épreuves difficiles. Au risque de sa vie, Bilal (qui doit son nom à celui du premier musulman qui a grimpé sur la Kaaba pour appeler les musulmans à prière), s’était investi corps et âme pour sauver ceux qui pouvaient l’être. Il participait en personne au transport des mauritaniens traumatisés jusqu’à l’enceinte de l’Ambassade pour les mettre à l’abri des violences.
Ecœuré par les scènes macabres, très influent dans les milieux diplomatiques occidentaux et américains, Bilal Ould Werzeg, descendant d’esclaves, activiste politicien et humanitaire avait fait d’énormes pressions sur les chancelleries étrangères au Sénégal pour faire arrêter les atrocités aveugles et inhumaines commises sur les mauritaniens.
Sa percée diplomatique avait été récompensée. Sur pression des chancelleries occidentales et suite à l’intervention du Roi du Maroc, le président Abdou Diouf avait finalement décidé de décréter l’état d’urgence et d’instaurer un couvre-feu dans toute la région de Dakar afin de contenir la foule de tueurs sénégalais surexcités. En plus de ces deux décisions importantes, Abdou Diouf avait ordonné à l’armée sénégalaise d’assurer la protection des ressortissants mauritaniens et de les escorter jusqu’au bataillon du train en attendant leur rapatriement dans leur pays.
A la date du 22 avril 89, on estimait le nombre des mauritaniens vivants au Sénégal à 340 000 dont 160.000 à Dakar et ses banlieues et près de 180.000 dispersés à l’intérieur du pays. Tiwawone, Kaolack, Touba, Ndiassane, Podor, Orosogui, Kafrine, Matam, Kebemer et Saint-Louis. Ce nombre ne tenait pas compte des négro-mauritaniens présents au Sénégal à cette époque qui s’étaient fondus dans des familles d’accueils, le plus souvent et pour la plupart d’entre eux leurs propres familles d’ascendance.
Pourtant très nombreux au Sénégal au moment des événements, rares étaient les négros-mauritaniens qui s’étaient présentés aux autorités sénégalaises pour être conduits au bataillon du train où étaient regroupés les mauritaniens. Dans ces circonstances pénibles et difficiles, les négros-mauritaniens, particulièrement les halpoular, s’étaient malheureusement désolidarisés des composantes mauritaniennes arabo-berbères et harratines. Il faut le préciser quand même. Cela pouvait s’expliquer par le fait que les propres vies de ces négro-mauritaniens étaient en danger. Peut être parce que, donc ces négro-mauritaniens se sentaient plus en sécurité au Sénégal qu’en Mauritanie leur propre pays, où, selon les déclarations de certains mauritaniens halpoular refoulés, une chasse aux négro-mauritaniens était déclenchée pour les expulser au Sénégal.
En échange des blessés, le Sénégal renvoie à Maaouiya ses ressortissants mutilés.
Ce qui est certain, c’est que les pressions exercées par Bilal Ould Werzeg avaient été bénéfiques aussi pour les sénégalais. Parce qu’en mettant fin à l’escalade du côté du Sénégal, le président Abdou Diouf épargnait la vie à plus de 70 000 Sénégalais bloqués au pays des « nars ». Il faut rappeler, -pour être honnête et pour la postérité- que, les massacres et les folies meurtrières avaient eus lieux concomitamment des deux côtés. Du côté du Sénégal par des « escadrons de la mort » composés de drogués, de délinquants en conflits avec la loi, des marginaux mais surtout des pilleurs. Et du côté mauritanien par des « escadrons de la mort » composés des « Harnos », (mot populaire utilisé pour désigner les harratines) qui, (parait-il) étaient recrutés aux fins fonds des « Adwabas » rien que pour cette sale besogne.
Quand les premiers mauritaniens rapatriés du Sénégal sont arrivés sur le Tarmac de l’aéroport de Nouakchott, leurs témoignages décrivaient des massacres et des atrocités infligés aux mauritaniens qui donnaient des nausées. Sur ce vol en provenance de Dakar, les autorités sénégalaises avaient embarqués les blessés graves, les malades qui suivaient des traitements dans les hôpitaux du Sénégal mais aussi des femmes dont les seins avaient subis des ablations, des femmes qui avaient été mutilées sexuellement par viol de bouteilles en verres cassées, des jeunes filles arabo-berbères qui avaient été victimes de viols collectifs. Mais aussi et surtout ce qui avait choqué particulièrement l’opinion nationale et internationale, des mères dont les nourrissons avaient été grillés dans des fours sous leurs yeux ou arrachés de leurs mains pour être écrasés contre des murs. Certains officiels mauritaniens venus accueillir les passagers de ce vol de l’horreur et de l’épouvante n’avaient pas pu s’empêcher de verser des larmes. J’étais moi aussi à l’aéroport. J’étais venu pour m’assurer que les sénégalais (en provenance de mon site de la foire), allaient tous embarquer sur le même vol pour leur pays. Même les sénégalais qui allaient embarquer pour le Sénégal avaient été très choqués par les révélations faites et les images des blessés qui venaient de débarquer. (Voir encadré en fin d’article).
Ce sont surtout ces atrocités d’une rare violence exercées sur des femmes et sur des enfants de bas âges qui avaient choqué et alertés l’opinion internationale. C’est pourquoi d’ailleurs les pays, (Algérie, France, Espagne et Maroc), avaient décidé d accélérer la cadence des vols de rapatriements dans les deux sens pour éviter d’autres atrocités.
Jusqu’au moment où j’écris ces lignes, beaucoup, (mauritaniens et sénégalais confondus), s’interrogent encore sur les raisons réelles qui avaient poussés les deux chefs d’états, (le mauritanien Ould Taya et le sénégalais Abdou Diouf), à laisser libre court à des escalades qui allaient déboucher sur une telle violence et une telle atrocité des deux côtés.
Quand Maaouiya fait le «repenti» pour passer au plan « B ».
Le dimanche 7 mai 2019, dans un discours télévisé, le président mauritanien Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, vêtu d’un costume sombre, s’était exprimé. En français probablement pour la consommation des sénégalais et des négro-mauritaniens. A cette occasion, il avait lancé un appel » à l’unité nationale et à la concorde « . D’une voix ferme, et, sur un ton monocorde (celui d’un repenti), Maaouiya avait lu un texte dont chaque mot était soigneusement pesé. Il avait tenu (pour l’Histoire selon lui), à rejeter » les responsabilités entières » sur le Sénégal en fixant le tort sur Abdou Diouf.
Ce qui du reste n’était pas faux. Dans la réalité, c’était bien Abdou Diouf qui avait laissé la télévision nationale, (organe de presse officiel de son pays) propager des propos de haine le 11 avril 89. C’était aussi lui qui, le premier, avait demandé de rapatrier les sénégalais en Mauritanie. Et, enfin, c’était bien lui qui avait pris la décision « unilatérale » de rompre les relations diplomatiques entre les deux pays.
Pour revenir au président Maaouiya, dans son allocution, il avait pris soin -(peut-être pour détendre un peu l’atmosphère)- de rappeler les liens séculaires, historiques et religieux qui unissaient les deux pays. Avec habileté, il avait fait référence aux illustres personnalités religieuses, Cheikhna Cheikh Saad Ebihi Ould Cheikh Mohamed Fadel, Sa Sainteté Cheikh Baye Niasse, et Khadhimou Errasoul, Cheikh Ahmadou Bamba. Trois chefs spirituels dont l’influence est grande dans les deux pays. Il faut noter au passage que les trois confréries (Ghadriyas, Tidjaniyas et Mourides) avaient sauvées la vie de milliers de mauritaniens en assurant leur protection et leur acheminement sécurisé jusqu’au site de rassemblement. Malheureusement, à Touba ville sainte, on avait déploré la mort de 11 mauritaniens tués sauvagement par des marginaux.
Maaouiya, pris par une folie soudaine de haine à l’égard des « Foutankés » ?
Au moment où il prononçait son discours Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya venait d’avoir 52 ans. Deux ans de moins que le président sénégalais Abdou Diouf âgé à l’époque de 54 ans. Maaouiya était un militaire. Il est né à Atar une ville qui entretient pourtant de nombreux liens historiques avec le Sénégal. Quand Maaouiya était enfant, des chauffeurs sénégalais de camions venaient très souvent dans cette ville à population hétéroclite. Ces vas-et-viens, avaient d’ailleurs permis à certains sénégalais de nouer des relations de mariage avec des femmes mauresques de cette région du nord qui était avant l’indépendance un véritable fleuron du commerce des trans-marocaines et trans-algériennes.
Né dans la ville d’Atar région de l’Adrar, descendant d’une famille maraboutique, Ould Taya avait fréquenté l’école primaire de 1949 à 1955. A cette époque les écoles étaient franco-mauritaniennes et les premiers élèves de ces écoles qu’ils soient noirs et blancs se confondaient dans une cohésion nationale qui n’avait jamais été entachée par des comportements racistes ou des ségrégations raciales. Maaouiya avait ensuite fréquenté le lycée Rosso dans le sud de la Mauritanie. Dans ce lycée mythique qui avait donné à la Mauritanie naissante ses meilleurs premiers cadres, les élèves maures et noirs étaient tellement proches les uns des autres qu’ils ne distinguaient pas par leurs peaux ou leurs couleurs mais plutôt par leur attachement les uns aux autres et leur solidarité très forte face aux épreuves difficiles de leur vie d’étudiants.
De 1974 à 1975, Maaouiya avait effectué un stage à l’École supérieure de guerre de Paris. Ecole qui était également fréquentée par de nombreux négros africains. Durant toutes ses études, jamais Maaouiya, cet intellectuel, très calme, très posé et très bien éduqué, n’avait donné un quelconque signe avant-coureur d’un homme qui allait 14 ans plus tard, écrire par le sang et de manière indélébile son « nom » de chef d’état qui avait implosé l’unité et la cohésion nationale. De 1987 à 1991, Maaouiya, s’était complètement « métamorphosé ». A ses agissements à l’égard des négro-mauritaniens (halpoulars en particuliers). On peu dire même qu’il avait « mu » comme un reptile tellement il était devenu méconnaissable. En jetant ces halpoulars dans la fournaise tout au long de cette période, ou en « crachant » sur eux son venin mortel (sa sécurité police et militaire), il avait simplement ajouté son nom à celui du père de la Nation, Me Moctar Ould Daddah, qui, malheureusement, lui aussi en 1966, emporté par courant arabe avait ouvert des guillemets (l’arabisation) pour créer un environnement favorable à des affrontements sanguinaires entre les deux communautés arabo-berbères et négro-mauritaniennes.
Déjà en 1984, un malaise entre maures et noirs au sein de l’armée se faisait déjà sentir.
Le 12 décembre 1984, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya avait « soutiré » le pouvoir à Mohamed Khouna Ould Haidalla, en déplacement à Bujumbura. Pour légitimer son acte, il s’était fait soutenir par les membres du CMSN mais particulièrement par des officiers supérieurs négros. Notamment, les célébrités militaires Anne Amadou Baba Ly, N’Diaga Dieng l’incontournable boulon Tokyo de tous les régimes, le Colonel Yall Abdoulaye une référence militaire et un homme de principe qui était l’un des plus brillants officiers de l’armée nationale de l’époque.
Pour la petite anecdote. Quand Maaouiya avait décidé de prendre le pouvoir, l’intérim du Président Haidalla était assuré par l’un des officiers supérieurs négro-mauritaniens dont je vais taire le nom pour des raisons de convenance personnelle. Maaouiya avait téléphoné à cet officier supérieur pour lui demander de se présenter à son bureau. Surpris par cette convocation qui était presque teintée d’un ordre, l’officier négro-mauritanien avait dit à Maaouiya : « si c’est pour une réunion de travail, je regrette et je suis désolé, vous n’avez ni le pouvoir, ni l’autorité de me convoquer. Mais si c’est pour des « affaires » c’est autre chose, dans ce cas j’arrive. » La conversation entre Maaouiya et l’officier négro-mauritanien -qui ignorait tout de ce qui se tramait au moment de la conversation téléphonique-, avait comme on le voit quelque chose d’amical et de sympathique.
Quand, l’officier supérieur négro-mauritanien est allé retrouver Maaouiya dans son bureau, et quand celui-ci l’avait informé que c’était pour des « affaires » (mot qui désignait dans leur jargon, « prise de pouvoir »), l’officier supérieur négro-mauritanien n’était pas passé par quatre chemins pour imposer ses conditions. Entre autres, que ce soit lui-même qui soit à la tête de l’Unité qui devait occuper les locaux de la Radio. Et les autres conditions portaient parait-il sur le quota et la distribution des responsabilités.
Cette anecdote nous rappelle simplement que depuis 1984 déjà un certain malaise régnait au sein de l’armée et des suspicions existaient entre les officiers supérieurs maures et les officiers supérieurs négro-mauritaniens qui ne se faisaient « plus confiance », parce simplement les seconds (négro-mauritaniens) se considéraient lésés par rapport aux premiers (maures).
Le président Maaouiya, envouté par les courants arabes des années 80 ?
Maaouiya, le président mauritanien comptait beaucoup d’amis négro-mauritaniens. Francisant, marié à une libanaise d’origine, il n’avait d’ailleurs comme vrai, réel et intime ami qu’un seul. Un négro-mauritanien. Le Colonel N’Diaye Kane (Houssein), son médecin personnel. Le Colonel N’Diaye Kane était l’ami intime et le confident du président Maaouiya. Si je ne me trompe, je crois d’ailleurs qu’à un moment, les deux étaient voisins de paliers dans le même bloc (manivelle), celui occupé actuellement par le ministère de l’éducation nationale.
Le Colonel N’Diaye Housseine Kane est un médecin. Si je ne me trompe encore, je crois que c’est le premier médecin formé dans une académie de santé militaire, le Camp Dial Diop de Dakar (Sénégal). Il avait fait de brillantes études de médecine et à son retour au pays, il avait occupé le poste de directeur de la santé militaire nouvellement créé. Plus tard, il avait été admis en formation dans la prestigieuse université de médecine de Montpellier en France pour se spécialiser en ORL. Natif de Tékane, dans le Trarza, il avait passé son adolescence dans le Hodh. C’est pratiquement le seul ami qui est resté fidèle et inconditionnel à Maaouiya jusqu’au moment même où j’écris cet article.
Maaouiya, par ailleurs dans sa vie professionnelle et par rapport à son parcours, avait aussi d’autres amis et des proches collaborateurs négro-mauritaniens. Même au moment des événements en 89, certains négro-mauritaniens étaient conseillers à la présidence ou exerçaient des fonctions stratégiques dans son entourage.
Tout ceci pour dire, que, jusqu’à présent, beaucoup de mauritaniens, aussi bien arabo-berbères que négro-mauritaniens se posent encore la question de savoir pourquoi, Ould Taya avait fait l’aveugle, le sourd et le muet face aux tueries des sénégalais résidents en Mauritanie les 24 et 25 avril 1989. Et pourquoi, par la suite il avait par son silence complice, donné le feu vert à l’expulsion injustifiée, arbitraire et massive de négro-mauritaniens ciblant particulièrement les poulars.
Et plus curieux encore. Pourquoi, le 07 mai 2019, le jour de son allocution télévisée, comme Louis de Funès dans son célèbre film « Hybernacus », Maaouiya s’était réveillé soudainement, pour se montrer « repenti », en disant que tout ce qui s’était passé est regrettable. Alors justement, puisque c’était regrettable, pourquoi donc le président Maaouiya avait laissé faire massacrer dans son pays, pays musulman en période de Ramadan, mois de pardon et de recueillement, des sénégalais au vu et au su et des autorités?
Dans la réalité, c’est que, les autorités mauritaniennes avaient faits de très mauvais calculs. En lançant leurs « escadrons de la mort », les mauritaniens n’avaient pas pris en compte un détail important. C’est-à-dire les risques et les dégâts collatéraux que ces événements allaient engendrer. Ils avaient donc, lancés des tueurs qui étaient selon toute vraisemblance encadrés et conditionnés. Certains témoins ont rapporté que les « tueurs » étaient transportés dans des véhicules appartenant à l’armée. Vrai ou faux, en tous cas, une chose est sure, des témoignages dignes de foi, ont affirmé que par exemple à Nouadhibou, les « escadrons de la mort » étaient tous composés d’illettrés. Ces tueurs « endiablés » se faisaient accompagner par des élèves pour lire les informations relatives aux identités et documents d’états civils des individus qu’ils dénichaient dans les maisons.
Un détail important. Selon un des témoins oculaires (qui accompagnait les escadrons des tueurs), les harratines s’assuraient toujours avant de décider de se lancer dans leurs sales besognes macabres qu’ils avaient bien à faire à des sénégalais mais non des mauritaniens ou des ressortissants d’autres pays africains. Le témoin raconte que parfois, les identités indiquaient bien qu’un individu était sénégalais, mais les élèves lui attribuaient une nationalité de substitution, guinéenne, ivoirienne ou camerounaise pour lui sauver la vie. Donc, à partir de cette déduction on peut admettre que les tueurs cherchaient avant tout à s’assurer que leurs victimes étaient bien sénégalaises. Cela signifie que ces escadrons étaient « briefés » et avaient reçus des consignes précises. De qui ? Toute la question est là.
Peut-être que ceux qui avaient optés pour lancer des « escadrons de la mort » dans des bagarres de rues, cherchaient aussi, par précaution à éviter de s’en prendre à des négro-mauritaniens, ce qui aurait pu transformer les événements qui opposaient le Sénégal à la Mauritanie, en une guerre civile qui ouvrirait des affrontement entre arabo-berbères et négro-mauritaniens ce qui n’était pas dans l’intérêt du pays, parce qu’il chantait complètement la donne du problème.
Les négros-mauritaniens épargnés des tueries pour être expulsés ?
Maaouiya avait donc prononcé son discours le 7 mai 1989, un discours dans lequel il avait présenté ses condoléances à toutes les familles aussi bien mauritaniennes que sénégalaises qui avaient été touchées par « cette rude épreuve » selon ses propres termes. Pour rassurer la communauté internationale et les sénégalais, dont certains avaient été très solidaires avec notre pays en hébergeant des mauritaniens pour les sauver des tueurs de la rue enragés, Maaouiya avait exprimé ses regrets au peuple sénégalais mais aussi sa solidarité aux » compatriotes revenants du Sénégal même ceux d’entre eux qui avaient la nationalité sénégalaise et qui avaient fuis leur pays à cause des violences. Il avait aussi remercié « les Sénégalais qui avaient refusés de céder à la manipulation, et qui, par leur comportement avaient manifesté leur solidarité au peuple mauritanien ».
Mais, aussi incroyable que cela pouvait paraitre, ce discours d’apaisement allait déboucher sur des abus incroyables. Une véritable « chasse » à des négro-mauritaniens qui allait être déclenchée simultanément dans toutes les villes de Mauritanie. L’objectif de cette chasse à l’homme était de procéder à l’expulsion de certains halpoulars qui se « retrouveraient » par exemple au mauvais moment et au mauvais endroit. C’est à dire, s’il leur arrivait de se retrouver quel que soit la raison, face à un policier, un gendarme ou un militaire qui avait pouvoir de décider, selon son tempérament, son humeur, ou pour tout prétexte qu’il voulait de le renvoyer de l’autre côté du fleuve. Et là, la Mauritanie s’est fait très mal elle-même. Un mal auquel jusqu’à ce jour les autorités n’ont pas trouvé un remède, parce qu’apparemment « les recherches de solutions » n’avancent pas. En tous cas, cette politique d’expulsion de complaisance a couté très cher à l’unité et à la cohésion nationale mais aussi et surtout à la confiance mutuelle entre les arabo-berbères et les négro-mauritaniens.
C’est pour cette raison qu’on s’était rendu compte plus tard, que le discours de « réconciliation » du président Maaouiya n’avait pour but en fait que de semer la diversion afin de lui permettre habilement de changer de fusil d’épaule. La preuve. 30 jours seulement après le déclenchement des événements, et 12 jours après la fin des tueries macabres dans les deux pays, les autorités mauritaniennes à travers le ministère de l’intérieur avaient lancés la plus grande et la plus incroyable opération d’expulsion de ses propres ressortissants vers le Sénégal et le Mali.
Cette opération aurait pu porter le nom d’« opération de refoulement de tous les négro-mauritaniens indésirables » parce que c’était vraiment le cas. Le procédé avait été érigé en « affaire d’état » disait un cadre arabo-berbère. C’était une véritable machination horrible à laquelle avaient pris part des fonctionnaires du ministère de l’intérieur aussi bien autorités administratives que policières. Après les expulsions ciblées des négro-mauritaniens, officiers, sous-officiers, syndicalistes, ou simples éléments des corps constitués (armée, gendarmerie, douane, garde nationale, protection civile), des fonctionnaires de l’Etat, des cadres des sociétés publiques et parapubliques, des commerçants, des hommes d’affaires, des activistes politiques et des activistes de droits humains (halpoulars pour la plupart), ont été renvoyés au Sénégal mêlés aux sénégalais expulsés par ponts aériens.
Plus tard, c’était autour des petites gens et des anonymes. Les notables, Les éleveurs, les agriculteurs, les propriétaires terriens, les étudiants. Tous les « ciblés », ressortissants de la vallée se sont vus à leur tour contraints de franchir la frontière (le fleuve) par force, parfois sous la menace d’armes de ceux que les extrémistes négro-mauritaniens « flamistes », appellent encore de nos jours « l’armée d’occupation ». Une dénomination pour les beaux yeux des occidentaux, des américains et des activistes de la société civile des pays où certains de ces réfugiés se « prostituent » politiquement. Ces activistes, collecteurs de fonds jettent le trouble dans les esprits des occidentaux comme pour faire croire que la Vallée est une région autonome, indépendante ou détachée du reste du pays.
Trop d’injustices, trop d’abus, trop d’humiliations, trop de refoulements ciblés, des gouttes qui ont fait « déborder » le canari.
Discours d’apaisement de Ould Taya à Nouakchott, ordres donnés par Abdou Diouf à l’armée sénégalaise pour sécuriser le camp de regroupement des mauritaniens de Dakar et de sa banlieue, à partir de la première semaine du mois de mai, on avait commencé à sentir une baisse de tension des deux côtés. Et aussi bizarre que cela puisse paraitre, de la même manière que les deux chefs d’états avaient plongés leurs pays dans des tueries par des « escadrons de la mort », les deux chefs d’états étaient revenus subitement à des meilleurs sentiments.
En Mauritanie, à vrai dire, les négro-mauritaniens dans leur ensemble, (poulars, soninkés et Wolofs) ont tous soufferts mais à degrés divers des conséquences de certaines politiques des pouvoirs qui se sont succédés et qui sont tous (il faut le dire même si le sujet fâche) des régimes qui ont toujours été depuis l’indépendance dirigés par des maures. Même si ces régimes ont été souvent teintés de « coloration » à densité variables. Ces régimes de Daddah à Ould Abdel Aziz (en attendant de savoir maintenant pour Ould Ghazouani ), ont commis des erreurs flagrantes, parfois très graves et injustifiées.
Ould Abdel Aziz, règle un problème en le « déréglant » complètement.
Comme par exemple Ould Abdel Aziz, qui (à sa méthode), avait essayé de régler un des volets du passif humanitaire. Mais malheureusement, avec la complicité de certains négro-mauritaniens proches de son pouvoir, il avait plutôt compliqué les choses. Dans l’opacité, la clandestinité et l’anonymat total, son régime avait, simplement soudoyé quelques familles (qui crevaient de faim ce qui se comprend) en passant par quelques « chargés de cette mission » proches de son pouvoir, mais en contournant les vrais responsables et toutes les personnes réellement représentatives des différentes les victimes des passifs.
Il faut peut être préciser que, les victimes du passif, sont à la fois –ce que beaucoup semblent oublier- les veuves des pendus d’Inal, les « poussés » à la retraite et refoulés suite à des évènements (auxquels ils étaient le plus souvent étrangers), les familles des disparus de Sory Mallé et ceux de Wothie, les expropriés de leurs terres, de leurs maisons et de leurs biens, les sans-papiers et sans domicile « résidus » des expulsions de complaisance des années 89/91 qui vivent encore au Sénégal et au Mali sous statut de réfugiés. Et, enfin, il faut ajouter les fonctionnaires déboutés de leurs droits par un départ forcé à la retraite qui sont encore en l’exil en Europe ou aux Etats-Unis parce que sans papiers de leur propre pays pour pouvoir rentrer chez eux, et sans papiers de leur pays d’accueil pour pouvoir rester dans ces pays sans être inquiétés. Comme on le voit donc, le passif humanitaire qu’il serait plus juste d’appeler « passifs des négro-mauritaniens » (qui découle en grande partie des événements de 89), n’est donc pas un problème à équation unique. C’est un problème à multiples équations dont la résolution ne dépend pas d’un seul et même interlocuteur. Mais de multiples interlocuteurs qui n’ont pas les mêmes problèmes, qui n’ont pas été lésés au même degré et qui ne convergent pas tous unis en direction d’un même terrain d’entente pour un même règlement.
Simplement parce qu’ils ont été divisés par des intérêts personnels et égoïstes de certains d’entre eux, et parce qu’ils ont été très affaiblis par des manœuvres de diversions qui ont été orchestrées par « des négro-mauritaniens comme eux » sous les régimes de Ould Taya, celui par qui tous les malheurs sont arrivés, et celui de Ould Abdel Aziz, qui avait penché pour une solution qui est passée par la corruption de certains d’entre aux ce qui, non seulement n’a pas résolu le problème, mais comme l’a dit le journaliste chroniqueur Bakary Gueye de la page électronique « Initiatives News », a rendu difficile sa solution.
Cette situation met donc le président actuel Ould Ghazouani, devant des difficultés énormes pour faire apporter par son régime une contribution afin d’essayer de mettre fin à un conflit qui commence à prendre de la toile d’araignée.
Mais selon certains analystes politiques, ce qui rend la solution de ce problème très compliquée c’est surtout le fait que les courtiers de solutions proposées qui s’autoproclament interlocuteurs « agréés » deviennent plus nombreux que les victimes elles-mêmes et les ayant droits.
Il faut ajouter, pour ceux qui ne le savent pas, que le problème du passif n’est pas le même pour toutes ces victimes. L’état, comme les porte-paroles des negro-mauritaniens et ceux qui se sont « autoproclamés » en tant que tels, ne doivent pas commettre l’erreur de mettre dans le même panier par exemple, une veuve dont le mari officier a été pendu le 28 novembre à Inal par les autorités de son propre pays, et une veuve dont le mari est mort dans des affrontements de rue en avril 89. Comme on ne doit pas mettre dans le même panier, un peul éleveur qui habitait une case qui n’avait perdu au cours des événements que trois vaches et un notable halpoular de la vallée qui lui avait perdu sa maison, ses périmètres, tous ses biens et sa dignité.
Comme on ne doit pas mettre dans le même panier, un halpoular qui avait perdu en 89 un congélateur d’occasion acheté au carrefour Madrid et quelques matelas achetés au marché Tcheb-tcheb et mon ami Ba Alassan le président Balas, qui lui avait perdu, suite aux événements le fonds de commerce de sa grande surface dont le capital était estimé à l’époque à des centaines de millions d’ouguiyas. Comme on ne doit pas mettre dans le même panier, un cadre supérieur de la Sonelec de l’époque relevé de ses fonctions expulsé sans droits et un plombier de l’informel. Enfin se ne serait pas juste aussi d mettre dans le même panier un charretier de Tifondé Civé qui avait traversé de son gré le fleuve en 89 à moitié asséché sur une charrette pour rejoindre ses parents à Matam, et un propriétaire de camion qui a traversé à la nage sous la menace.
Négro-mauritaniens, dépossédés de leurs terres et de leur identité culturelle ?
Mais au-delà même de ces problèmes liés à différentes conjonctures spécifiques, il y’a les autres problèmes de fonds et d’intérêt général commun à tous les négro-mauritaniens. Par exemple l’identité culturelle et linguistique. Le premier président de la Mauritanie, Me Moctar Ould Daddah, dans son discours d’Aleg avait laissé échapper une phrase au sujet de l’appartenance identitaire géopolitique de la Mauritanie qui n’était pas tombée dans l’oreille de sourds. Cette phrase semblait rassurer (les arabo-berbères) sur l’orientation avenir du pays, une orientation qui, du point de vue des négro-mauritaniens donnait déjà à cette époque une couche de peinture à un tableau qui risquait plus tard de s’assombrir. Le discours du père de la nation naissante, dans la capitale du Brakna avait mis une puce à l’oreille des mauritaniens de « couleur » qui avaient protestés énergiquement. Et ce qu’ils craignaient est bien arrivé en 1966.
En 1966, six ans après l’indépendance comme avait dit Mohamed Dellahi, le président du PMDE, un très fin connaisseur de la problématique de la cohésion et de l’Unité nationale, je le cite « un courant politique arabe à variantes nassériste et baasiste avait joué au trouble-fête les années 66 en conseillant une arabisation à « outrance » dont l’objectif réel était évidemment de faire obstruction à long terme aux intérêts des composantes négro-mauritaniennes ». Ce qui est arrivé à la longue finalement, puisque toutes les chances de promotion, d’avancement et d’intégration méritées ont été obstruées à tous les niveaux des rouages de l’Etat devant les compétences négro-mauritaniennes.
Le problème a été aggravé par cette tentative de coup d’état avortée de 1987, dont les auteurs étaient tous des halpoular. Cette tentative à « vocation raciste », avait donné à Maaouiya une occasion en or sur un plateau d’argent pour donner une claque sévère au « poularisme ». C’est cette tentative de coup d’état de 1987 qui est d’ailleurs à l’origine de tous les malheurs et de toutes les souffrances des halpoular mauritaniens. A cette époque, Maaouiya était pris en otage par le courant de la pensée arabe et s’était décidé de régler ses comptes avec les « halpoular » qui devenaient de plus en plus haineux à l’égard des maures et surtout très agressifs politiquement.
Puis il y’avait eu aussi par ailleurs l’épineux problème de la propriété terrienne qui est, et jusqu’à ce jour bloqué par son aspect juridique. Depuis pratiquement l’indépendance, aucun cadre juridique n’a été mis en place pour statuer au besoin sur des cas d’expropriations décidées. Pratiquement, jusqu’à ce jour, c’est la prédominance du droit foncier traditionnel et coutumier de la Vallée qui est juridiquement seule en droit de « réguler » les attributions et les distributions des terres.
On se souvient qu’en 1976, le gouvernement avait décidé de créer une zone d’aménagement rural. C’était sous le régime de Moctar Ould Daddah. Le projet soutenu par un décret s’était heurté à l’absence d’un cadre juridique légal. Parce que simplement à cette époque, les zones d’aménagement ciblées étaient considérées comme une terre inclue dans un ensemble foncier appartenant à des exploitants coutumiers qui sont les habitants de la Vallée.
Ce problème qui s’était posé chez nous était pourtant le même que celui qui s’était posé aux autorités sénégalaises à la même époque et dans les mêmes circonstances. Mais le Sénégal qui savait que le problème ne pouvait pas être réglé sans asseoir un cadre juridique, avait pris conscience que sa politique d’aménagement des grandes surfaces, même pour l’autosuffisance alimentaire, ne pouvait réussir qu’en passant forcément par une « entente » avec les propriétaires terriens légitimes. Et parce que les grandes surfaces appartenaient aux coutumiers et pas à l’Etat, les autorités sénégalaises étaient parvenues à des solutions définitives en signant des ententes avec les autochtones.
Les négro-mauritaniens de la Vallée du fleuve Sénégal, cousins germains des négro-sénégalais restent surpris de constater que leur pays, (la Mauritanie) n’a jamais cherché à s’inspirer de l’expérience de la SAED, (Société Nationale Sénégalaise d’Aménagement), l’équivalent de la SONADER, qui avait finalement réglé le problème épineux de la propriété foncière définitivement, simplement en accordant de grandes avantages aux propriétaires coutumiers.
Depuis 1966 et cette première tentative de percée vers une politique agricole d’autosuffisance, l’état mauritanien n’a vraiment pas cherché à régler le problème en le plaçant dans un contexte juridique approprié. Mais au contraire, les autorités mauritaniennes l’ont envenimé périodiquement par des décisions impopulaires, surtout après les expulsions de certains habitants de la Vallée. Depuis 1991 pratiquement toutes les distributions des terres même à des revenants du Sénégal n’ont servies qu’à compliquer la situation, situation pour laquelle pourtant, a dit Kane Ousmane l’actuel ministre de l’économie, des solutions qui passent par les propriétaires traditionnels peuvent être trouvées grâce la dynamique du nouveau régime.
Puis enfin, il faut peut-être ajouter à ces problèmes tous ces couacs. Ces tirs croisés en 89 entre Jean Collins et Djibril Abdallahi. Deux métisses descendant chacun d’un père occidental, deux ministres de l’intérieurs, un mauritanien qui par ses agissements et ses décisions impopulaires a prouvé qu’il n’aimait pas beaucoup les « halpoular » de son pays, l’autre sénégalais qui n’aimait pas du tout les maures que ces maures soient Sénégalais (qu’il avait fait expulser en masse vers notre pays par le pont aérien) ou mauritaniens qu’il avait laissé à la merci des massacreurs de Dakar. Les deux ministres avaient aussi un autre point commun. Ils avaient géré la crise de la même manière. A leur manière. Ils obéissaient aveuglément à deux présidents, de véritables sanguinaires par personnes interposées.
Jean Collins est décédé le 17 octobre 1993, et Djibril Abdallahi est décédé le 30 décembre 2020. Le mauritanien s’est éteint, dans l’anonymat dans sa demeure -ironie du sort et de l’histoire-, située dans le quartier M’Sid Enour à Arafat où il vivait dans un bâtiment autour duquel, sur un rayon de 500 mètres n’habitent que des halpoular. Il s’est éteint comme l’action de ses « crimes de responsabilité » sans avoir été jugé. Les quatre, (Abdou Diouf, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, Jean Collins et Djibril Ould Abdallahi, deux vivants et deux morts), ont laissé un lourd héritage à Ould Ghazouani, le 4ème président du pays à accéder au pouvoir après le déclenchement de ces douloureux événements de 89. C’est finalement Ould Ghazouani, novice en politique, qui se retrouve obligé, (pour sauver ce qui peut l’être de l’unité nationale éclatée par d’autres), de rechercher une solution à un problème auquel il ne s’était pas mêlé ni de près ni de loin les années de braises. Un problème créé par Maaouiya, pour lequel Sidi Ould Cheikh Abdallahi était en train de trouver une solution définitive avant d’être évincé du pouvoir par Ould Abdel Aziz qui lui, avait empêtré le problème dans des « problèmes » simplement parce qu’au lieu d’apporter une solution même partielle au problème il avait mis les ayants droits dos à dos et à couteaux tirés.
Quand les « flamistes » et les extrémistes sénégalais émettent sur les mêmes fréquences.
C’est la somme de tous les problèmes posés qui s’amplifiait dans les têtes des halpoular mauritaniens. Et, par effet d’entrainement, dans les têtes des halpoular sénégalais. Les poulars des deux rives (droite et gauche) sont les mêmes. Ils ne le disent pas, mais le prouvent par des complicités internes en circuits familiaux fermés. Les poulars des deux rives sont à la fois mauritaniens et sénégalais et sénégalais et mauritaniens. Le plus souvent ils ont la double nationalité. Ces nationalités sont à variantes multiples et sont exploitées selon les saisons et selon les intérêts de ces éternels transhumants des deux rives.
Pour revenir au sujet qui nous préoccupe, les poulars, (les aigris de la Mauritanie et les racistes sénégalais) n’ont jamais –je crois- pardonné à Djieumbeut, Reine du Walo de s’être mariée à un maure qui était devenu de facto et par ricochet leur roi. C’est pourquoi, au début des événements, les halpoulars (sénégalais et mauritaniens cousins) avaient supplié Abdou Diouf de s’attaquer à la Mauritanie. Il le confirme lui-même dans ses mémoires.
D’autre part, d’une source (un négro-mauritanien) on avait appris que les négros-mauritaniens et les négro-sénégalais (de nationalités à variantes multiples), avaient encouragé le Colonel Saliou Niang, chef d’Etat-Major de l’Armée de terre du Sénégal de l’époque, à faire des pressions sur son autorité hiérarchique afin de convaincre le président sénégalais Abdou Diouf d’opter pour une guerre contre la Mauritanie. Ces négro-mauritano-sénégalais ne voyaient pas d’un mauvais œil une occupation par l’armée sénégalaise de la rive mauritanienne du fleuve, ne serait-ce qu’un laps de temps même très court, pour leur permettre de régler à la hâte quelques petits problèmes avec les « maures racistes et esclavagistes » qui ne quittent pas leurs esprits archaïques du 18eme siècle.
Les halpoulars mauritaniens et sénégalais impressionnés par des défilés de parade de l’armée sénégalaise les 4 avril, pensaient que les soldats sénégalais ne feraient qu’une bouchée des soldats « bédouins esclavagistes » plus doués pour manger du « keubdeu et Dhirweu » que de faire la guerre.
Par ces calculs d’amateurs naïfs, les négro-mauritaniens meurtris par toutes les injustices flagrantes et abusives dont ils faisaient l’objet, se sont solidarisés avec leurs cousins du côté Sénégal (de la bande passante qui se situe entre l’extrême Est du Brakna -département de Boghé- à la limite Est du département de Maghama au fin fond du Gorgol). Les uns et les autres faisaient des pressions sur les autorités sénégalaises (Jean Collins et Abdoulaye Wade) pour engager des hostilités afin d’en découdre avec les « Beydanes » et mettre fin à leur « beydanisation » à outrance.
Ces deux termes « Beydanes » et « beydanisation » on les retrouve dans le texte du manifeste du « négro-mauritanien opprimé » d’Avril 1986, un document qui faisait « du réchauffer » du premier manifeste des 19, celui que des cadres et intellectuels « noirs » de Mauritanie avaient signés. On retrouve au bas de ce manifeste très populaire , la signature de célébrités négro-mauritaniennes comme Ba Mamadou Nalla, Daffa Bakary, KoitaFodié, Kane Bouna, Ball Mohamed El Béchir, Ba Aly Khalidou.
Ce manifeste (de 1966) mettait à la lumière du jour des revendications légitimes et fondées. La lutte des signataires du manifeste était à l’époque une véritable lutte politique de droit et de devoir justifiée. Le manifeste en fait mettait en garde contre ce qui pouvait arriver plus tard et qui est malheureusement arrivé. C’est à dire l’oppression culturelle, intellectuelle et morale des négro-mauritaniens. 21 ans après le manifeste du courage de 66, le coup d’état avorté de 87 allait donner l’avant-gout d’une protestation qui était montée de plusieurs crans en prônant la violence.
En 1989, les FLAM persécutés par leur manifeste de 86, avaient ajouté encore plus de « piment » dans la sauce des « Baydanes » leur expression favorite. Après le coup d’état avorté et après avoir purgé leurs peines d’emprisonnement au « Camp Boiro» de Oualata, les dirigeants des FLAM avaient ouverts un bureau à Dakar. Mais leur mouvement reposait beaucoup plus sur des actions politiques que sur des actions militaires. Ce qui se comprend. Ils n’avaient pas de camp d’entrainement pour leurs éventuelles recrues, ils n’avaient pas d’armes et Dakar ne pouvait pas constituer pour eux une base arrière. Ils n’avaient donc qu’un champ étroit de manœuvres qu’ils avaient mis à profit pour faire de la propagande « dénigrante » à l’égard de leur pays en Europe et aux Etats-Unis où ils avaient implantés des représentations qui étaient plus des points de « collectes de fonds ».
L’identité de ce Mouvement est un drapeau, dont l’infographie s’inspire des couleurs des pays du sud continent africain. Ce drapeau flottait sur un bâtiment dans la capitale sénégalaise. Les cultivateurs de la Vallée des deux rives pensaient qu’en cas de conflit militaire qui opposerait le Sénégal à la Mauritanie, ce drapeau pourrait dans les 48 heures ou 72 heures flotter sur l’impressionnant château d’eau métallique de Maghama ou sur le toit du poste de police de la ville de Boghé less. Un poste de police tristement célèbre pour avoir opéré à lui seul, les plus incroyables et plus graves exactions et humiliations faites aux négro-mauritaniens.
Ce poste avait servi de véritable déversoir de négro-mauritaniens de tous âges, de tous sexes et de tous profils sans aucune forme de procès vers le Sénégal voisin au su et au vu des « Venants de France » et des « Zoulous » qui étaient incapables de réagir ou de protester parce qu’ils risquaient de subir le même sort.
Si l’armée sénégalaise avait tiré un seul coup de feu …..
Abdou Diouf, à l’époque des événements ne savait pas que l’armée mauritanienne était suréquipée et possédait des missiles de longues et moyennes portées capables d’atteindre avec précision les centres des villes comme Tambacounda ou Ziguinchor. Avant de se rendre à l’évidence, il avait déjà ordonné à ses forces armées de se préparer à toute éventualité. Après le passage des tempêtes meurtrières des deux côtés, et après les expulsions ciblées des négro-mauritaniens et « assimilés » vers le Sénégal par les autorités sécuritaires de leur pays, certaines unités militaires de nos forces armées avaient fait mouvement le long de notre frontière avec le Sénégal pour sécuriser la zone et parer à toute éventualité.
Les renseignements « foutankés », prenant le mouvement des militaires mauritaniens pour une provocation et une préparation d’offensive, avaient alertés les bureaux de renseignements militaires sénégalais. Le Colonel Saliou Niang, excellent officier militaire à la tête de l’armée de terre du Sénégal, l’une des mieux entrainées d’Afrique, avait mis en place un plan système de défense.
Comme le ferait n’importe quel bon officier sur un terrain de configuration comme celui du Sénégal, le Colonel Niang avait placé le gros de ses forces non loin du parc de Djioud, (Sénégal) qui est le prolongement naturel du parc de Diawling près de Keur Mécène. Ce dispositif était destiné à bloquer l’entrée du territoire sénégalais par le pont du barrage de Diama. Plus au sud du barrage, le colonel sénégalais, très bon stratège, avait également placé un bouchon de défense qui prenait en tenaille l’entrée de la Langue de Barbarie pour empêcher toute tentative d’infiltration de l’armée mauritanienne par la côte atlantique.
Le Colonel Saliou Niang, natif du Cayor (maintenant décédé), renseigné par des officiers mauritaniens expulsés de leurs pays lors des vols du pont aérien, pensait que les officiers mauritaniens envisageraient de tenter une percée par le sud pour attaquer Saint-Louis sur les flancs nord et sud. Cet excellent officier, chef d’état-Major de l’Armée de terre du Sénégal à la tête des unités de combats et de réactions rapides les « Djiombars » véritables guerriers invincibles était tombé dans la même erreur que les officiers allemands à la fin de la seconde guerre mondiale.
En juin 44, par des mouvements de diversion, les armées de la coalition avaient progressé en direction du Pas-de-Calais, laissant les officiers du commandement allemand croire qu’ils allaient livrer leur grande bataille à partir de cette zone. Alors que, dans la réalité, les alliés préparaient un débarquement sur les plages de Normandie, une opération militaire qui fera date dans l’histoire et qui servira de cas d’école aujourd’hui enseigné dans toutes les grandes académies militaires du monde.
Le président Abdou Diouf, sur lequel de fortes pressions des halpoulars sénégalais et mauritaniens étaient exercées au début n’écartait donc pas l’éventualité d’une attaque de la Mauritanie. Heureusement pour lui et pour les hommes du Colonel Niang, qu’il en avait été dissuadé par les renseignements militaires reçus et par les avertissements des diplomates irakiens qui savaient tout sur les capacités opérationnelles de l’armée mauritanienne. Des informations provenant de pays amis du Sénégal, avaient prévenus Abdou Diouf que l’armée mauritanienne possédait un armement sophistiqué capable de réduire en cendre en quelques heures les principales villes du Sénégal.
Pendant que le Colonel Saliou Niang dégustait son café-Touba à l’ombre des grands arbres de la plage de la Saint-Valentin de Saint-Louis non loin de l’hydrobase, à 300 kilomètres de là en Mauritanie un autre Colonel mauritanien celui-là, Ould Znagui, excellent officier haut de 2 mètres ou presque, toujours impressionnant dans ses tenues treillis de commando, sirotait lui son thé à la menthe dans un préfabriqué climatisé planté au milieu de son Etat-Major de campagne, une ancienne base de société arabe qui bitumait la route Boghé-Kaédi. Son QG se trouvait sur une petite hauteur de montagne qui surplombait la petite localité de Bababé située pratiquement à équidistance entre Boghé et de Kaédi.
Les FLAM, (Forces de Libération Africaines de Mauritanie) se voyaient dans leur imagination à l’époque, libérant un ou deux villages de la vallée.
Si, le Colonel Saliou Niang avait par malheur tiré un seul coup de feu, le Colonel Ould Znagui, un officier (que j’ai toujours admiré sans savoir d’ailleurs vraiment pourquoi), allait depuis sa base avancée de la Région Militaire du Brakna pulvériser le petit village de LALANE, une petite agglomération sénégalaise très connue pour ses beaux meubles en bambou tressé exposés sur la route de Thiès la Capitale du Rail. (à suivre).
Mohamed Chighali
Note de l’auteur.
Tout d’abord, je voudrais dire ici que je dédie cette série à deux mauritaniens Mohamed Dellahi, le président du PMDE, parti écologiste, qui a toujours milité de bonne foi, sans intérêt politique ou sans intérêt matériel pour l’unité, la cohésion nationale et le rapprochement entre toutes composantes de ce pays, poulars, soninké et wolofs.
Je dédie également la série à mon ami et frère Ahmed Salem Ould Deida, journaliste, qui sans relâche, a toujours déployé ses efforts pour éteindre chaque fois que c’était nécessaire, les flammes et les incendies que provoquaient sur les réseaux sociaux des extrémistes de tous bords qu’ils soient -arabo-berbères (maures) ou négro-mauritaniens (noires) ou harratines-.
Je voudrais par ailleurs m’excuser auprès de tous mes lecteurs pour la violence et parfois l’insolence de certains de mes propos que je puise dans une « linguistique » qui m’est propre. Des mots que j’emploie pour rapporter des faits toujours réels et avérés mais qui sont très durs. Je ne suis pas un écrivain talentueux et je ne suis pas un très bon journaliste comme Bakary Guèye ou Ahmed Ould Cheikh. Je suis un « traditionaliste » oral qui s’exprime par des mots collés les uns aux autres pour donner une image qui soit la plus fidèle possible à la réalité d’un évènement. Je dis par des mots, ce que dirait par exemple un griot africain de la tradition orale en accompagnant ses phrases par des notes de musique. Je blesse parfois par mes propos, je réconforte aussi des parfois.
Je veux terminer en disant et en répétant certains de mes frères « halpoulars » qui ont été lésés par tous les événements douloureux qui ont émaillé notre histoire contemporaine : « il faut savoir pardonner. Et pour pardonner il faut avant une vérité et une réconciliation ». C’est pourquoi, je demande à mes lecteurs (Beydanes) et (Kwar) de comprendre que « Justice » qui est un objectif cher à nous tous mais plus encore à toutes les victimes et tous les ayant droits, c’est aussi de dire la vérité, toute la vérité rien que la vérité même si cette vérité fâche ou blesse.
En insistant dans certains de mes passages sur des atrocités commises -peut être révélées pour la première fois-, c’est aussi juste pour une justice à l’égard des autres « les arabo-berbères » qui ont été victimes d’un passif humanitaire de 89 mais qui ont préféré se dissimuler derrière l’anonymat et le silence au lieu de faire du tintamarre dans les rues de Bruxelles, de Paris, ou de Washington.
Je vous remercie pour votre compréhension.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant
Auteur de « Mes notes sur les évènements de 89 ».
Source : Mohamed Chighali