Le 10/09/2021 – Ahmed Salem El Mokhtar (Cheddad)
La révolution culturelle : La réplique à Hammam Fall. Pour desserrer l’étau sur le mouvement MND, les autorités décidèrent de lancer Hammam Fall dans la bataille. Hammam, un ancien garçon dans les maisons coloniales européennes à Saint-Louis, était devenu un richissime homme d’affaires après l’indépendance grâce à ses relations avec le pouvoir. D’ailleurs, comme Hammam, la plupart de nos premiers hommes d’affaires qui avaient eu l’ingéniosité d’exploiter ce genre de relations, avaient auparavant exercé le métier de garçon chez les Toubabs. Presque tous, étaient originaires de l’Adrar, une région désertique dont les habitants étaient aguerris par des siècles de disette et de privation. Ils savaient en conséquence, mieux que les autres, profiter des nouvelles opportunités.
La poésie populaire de Hammam jouissait d’une grande audience. Poète populaire de grand talent, il était aussi l’ami intime du président Mokhtar Ould Daddah. Celui-ci faisait assez souvent recours à lui pour ternir l’image de ses adversaires. Un soir à une bonne heure d’écoute, dans un poème dont le contenu fut soigneusement bien préparé par des politiciens du régime, Hammam s’attaqua copieusement aux Kadihines. On les chargea de tous les maux, de tous les vices. Le côté religieux, super sensible, fut mis en exergue. On accusa évidement à tort, Marième Mint Lahweij, une fille alors à la pointe du combat de la gente féminine, d’avoir pissé sur le Livre saint, le Coran.
Je me rappelle que la presse internationale se mit à faire le bilan de la guerre du Vietnam après l’entrée des avions de guerre Fantômes dans le conflit. Pour l’opinion nationale aussi, le sort des Kadihines était scellé après l’entrée en guerre du « général » Hammam Fall. Au Vietnam, un Fantôme fut descendu par un paysan au deuxième jour de leur entrée dans les airs vietnamiens.
En Mauritanie aussi, l’offensive de Hammam fit aussitôt faillite et tournée en dérision par la rapide réplique des Kadihines. Un poème, de grande valeur littéraire fut composé à la hâte. Un comité de crise comprenant un panel de politiciens et de jeunes poètes de grand talent fut aussitôt mis sur pied. Sa tâche était de faire taire Hammam pour l’éternité. Loin d’être chargé de l’éliminer physiquement, le comité avait pour mission de le détruire au plan de la la poésie. Les jeunes poètes, feu Mohamed Oud Ichidou (frère cadet de Me Ichidou), Ahmed Ould Mbeyrik, Mohamed Abdellahi dit Billil et, probablement Abidine Ould Taki, firent partie du groupe.
Le poème, remplissant intégralement un cahier d’une cinquantaine de pages, élaboré par le comité, était reparti en plusieurs chapitres. Les premiers chapitres, frisant l’attaque personnelle, relatait le passé peu glorieux, selon eux, du personnage Hammam Fall. Les autres chapitres défendaient, preuves et arguments à l’appui, la nature, les objectifs et le programme, jugé hautement patriotique, du MND. En même temps, ils mettaient à nu, le régime du président Mokhtar Ould Daddah. Le cahier fut multiplié par centaines et distribué à une large échelle. Un peu partout, dans les rues, dans les salons, à l’intérieur des bureaux, dans les écoles et sur les chantiers, les gens s’attroupèrent pour le lire, le recopier afin de le distribuer, chacun à son tour. Elle constituait un poème inédit dans son genre, d’après les grands spécialistes. D’autres réactions, souvent plus virulentes, viendront de l’intérieur du pays. Aucune divergence là-dessus : Hammam Fall fut assommé. Il tenta désespérément de se relever et se pressa de composer en catastrophe un nouveau poème. Il le présenta à Radio Mauritanie. Après concertations avec les autorités, la direction de celle-ci refusa de le faire passer à l’antenne. Pour faire entendre son nouveau poème, Hammam se résigna à venir à la grande place des débats publics, place située en face de l’inspection du travail, non loin à l’époque du marché central. Il passa inaperçu. Elmalik (le roi), comme Hammam se plaisait à s’appeler, fut neutralisé pour de bon. Il fut détrôné.
“Chebab Elmedina”: Il va observer un silence complet jusqu’à son pèlerinage tardif à la Mecque où il comblera d’éloges, dans un poème, « les jeunes de Médine », en insinuant d’une façon assez voilée, des critiques indirectes à ses adversaires, les jeunes de Mauritanie. Manifestement il se méfiait de toute nouvelle provocation, susceptible d’entrainer à nouveau leurs foudres.
La contestation du néo-colonialisme français, loin de se limiter à la Mauritanie, s’étendait à toutes les ex-colonies françaises d’Afrique. Pour sauver ce qui pourrait encore l’être, le président Pompidou, déjà malade, entreprit en 1971 une visite dans plusieurs pays africains francophones au sud du Sahara. Son passage en Mauritanie eut lieu dans un climat de grande tension locale. Une salve d’œufs, pourris affirme-t-on, interrompit son cortège. L’un des œufs se fracassa sur le crâne nu du chef de l’État français. Deux jeunes, adolescents à l’époque, feu Lemrabott Ould Hemdeitt et Khatri Ould Hamed, furent arrêtés et sévèrement torturés. Ils étaient accusés d’être responsables du jet d’œufs pourris. Au commissariat, à la question qui est derrière votre geste ? Fidèle à son sens de l’humour inégalé, Lemrabott Ould Hemdeit répondit aux policiers qui l’interrogeaient : « Mais vous êtes bêtes ! Vous pensez que j’ai besoin de conseils de quelqu’un pour acheter un œuf à 10 F CFA, pour l’écraser sur la tête du premier responsable de la néo-colonisation de mon pays ? ».
Le périple du président français n’était pas de tout repos. C’est ainsi que, s’inspirant probablement de l’exemple mauritanien, des jeunes nigériens ont réussi à écraser des tomates pourries encore sur la tête du président français.
Le quotidien satirique français, « le Canard Enchainé », titra à cette occasion : « Hors d’œuvre à l’Africaine pour Monsieur Pompidou : les œufs de Mauritanie et les tomates du Niger ».
L’offensive politique : L’année 1972 connut la plus grande manifestation de rue de l’époque. Elle fut organisée un 29 mai à l’occasion de l’anniversaire des événements sanglants de Zoueiratt de 1968. Son organisation débuta plusieurs semaines à l’avance. Trois lieux furent choisis pour les rassemblements préliminaires : les travailleurs se donnent rendez vous à la place actuelle de la polyclinique de la capitale, appelée en ce moment la Place Rouge. Les élèves et les jeunes en général, se rassemblent à la Medina G et les femmes au quartier du four situé à côté de là où était la caserne des fanfares. À quelques minutes du coup d’envoi, chaque rassemblement, considérant son envergure, donnait l’impression d’être le seul existant : en dépit d’une population relativement encore peu nombreuse, chaque attroupement avait réuni plusieurs milliers de personnes.
Des dizaines de véhicules de la police, dont plusieurs « Land Rover Santana » blindées offertes récemment par l’Espagne Franquiste à la Mauritanie, sillonnaient les rues depuis l’aube. Les trois attroupements se croisèrent au carrefour en face de l’emplacement de la polyclinique. Les policiers noyèrent les manifestants dans des nuages de fumée de gaz lacrymogène. Ces derniers répliquèrent par des salves de jets de pierres. L’affrontement fut violent. On dénombrait des dizaines de blessés des deux côtés. Plusieurs véhicules de police, notamment, les venants d’Espagne furent sérieusement endommagés. Plusieurs laissèrent sur place leurs grilles de blindage.
Deux décennies après, Radio France Internationale (RFI), commentant une fois une manifestation gigantesque du parti Union des Forces Démocratique (UFD), au début de l’ère démocratique, elle l’avait qualifié de « la plus grande manifestation en Mauritanie depuis 1972 », faisant allusion à cette fameuse manifestation du 29 mai 1972.
( A suivre)