Malgré le retrait de la Mauritanie de la province d’Oued Ed-Dahab en 1979, se désengageant de l’Accord de Madrid de 1975, la ville de Lagouira reste jusqu’à nos jours sous administration mauritanienne.
Dans une récente interview, l’ancien président mauritanien Mohamed Khouna Ould Haidalla raconte comment il avait persuadé le roi Hassan II de maintenir la ville sous le contrôle de son pays.
A la fin des années 1950, la vague de libération nationale s’est propagée à différentes régions du monde. En Afrique du Nord, le tour du Sahara occidental, colonisé par l’Espagne du général Franco, arrive.
Le Maroc exigeait alors l’évacuation des forces espagnoles de la région pour achever son intégrité territoriale. Mais le Royaume n’était pas le seul à revendiquer ce territoire : La Mauritanie, dès sa naissance, réclame aussi le Sahara, ou du moins une partie, dans le but d’unir les tribus des Beidanes.
Face à cette situation, et aussi en raison de sa volonté de préserver au maximum ses intérêts dans la région, l’Espagne accepte d’engager des négociations bilatérales directes avec le Maroc et la Mauritanie. Le 14 janvier 1975, les trois pays signent l’Accord de Madrid, scindant le Sahara occidental en deux parties : Le Maroc récupère Sakia El Hamra, tandis qu’Oued Ed-Dahab passe sous le contrôle de la Mauritanie.
Après cet accord, le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, la Libye et certains régimes socialistes à travers le monde, entame une guérilla contre le Maroc et la Mauritanie. Le 10 juillet 1978, un coup d’Etat viendra frapper le voisin du Sud, renversant le président mauritanien Moktar Ould Daddah, considéré comme un allié du Maroc. Le pays ne tarde pas à se retirer de la partie sud du Sahara occidental.
Lagouira considérée par la Mauritanie comme «ligne rouge»
Dans une interview accordée, cette semaine, au site mauritanien aqlame, le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla, qui faisait partie des chefs militaires ayant participé au coup d’État et devenu par la suite ministre de la Défense, revient sur ces événements. Il raconte ainsi avoir rencontré le chef du Front Polisario, Bachir Mustafa Sayed, à travers la médiation malienne en marge du Sommet africain tenu dans la capitale du Libéria, Monrovia en 1979. «Cependant, le représentant du Polisario a commencé à frapper sur la table et crier. Je me suis alors retiré», se rappelle-t-il.
Après cet incident, «le président algérien est intervenu» et lui a demandé de rencontrer à nouveau Mustafa Sayed. Le militaire propose alors de signer, le 5 août 1979, un accord pour permettre à la Mauritanie de se désengager de l’Accord de Madrid.
Mohamed Khouna Ould Haidalla, qui a assumé la présidence du pays en janvier 1980, ajoute qu’après l’accord signé entre la Mauritanie et le Polisario en Algérie, il s’était «envolé dans le plus grand secret pour Rabat» rencontrer le roi Hassan II. «Je lui ai expliqué notre position sur le conflit et notre intention d’arrêter définitivement la guerre et nous retirer de la région. Il était déjà au courant du contenu de l’Accord d’Alger», relate-t-il.
«J’ai dit au roi : peu importe qui occupera la région après nous, il reste un point que nous ne céderons qu’à la fin du conflit, à savoir la zone de Lagouira, qui est pour nous une ligne rouge.», explique Mohamed Ould Haidalla.
Une ville marocaine sous contrôle mauritanien jusqu’à présent
Devant le roi du Maroc, le responsable mauritanien a expliqué que la Mauritanie ne permettra pas que cette zone devienne un théâtre de guerre, ajoutant qu’une «explosion à Lagouira sera considérée comme ayant eu lieu à Nouadhibou, qui est la capitale économique». Selon l’ancien président mauritanien, feu Hassan II aurait accepté en posant deux conditions : «La première est que je l’informe deux jours avant notre retrait de la région» tandis que la deuxième était de remplacer un responsable mauritanien jugé proche du Polisario. Ould Haidalla accepte alors la première condition mais décline la deuxième et le marché est conclu entre les deux responsables.
Après la décision de la Mauritanie de se retirer de la province d’Oued Ed-Dahab, le roi Hassan II ordonne aux Forces armées royales de marcher vers le territoire, coupant ainsi l’herbe sous les pieds du Polisario et son alliée l’Algérie. Le 14 août 1979, plusieurs chefs de tribus et cheikhs d’Oued Ed-Dahab se rendent alors dans la capitale, Rabat, afin de prononcer le serment d’allégeance au Roi Hassan II.
L’ancien président mauritanien se rappelle aussi qu’à la fin du mois de décembre 1983, alors que la Mauritanie était sûre que le Maroc établirait un mur défensif à ses frontières nord, un entretien téléphonique a eu lieu entre lui et le roi Hassan II. «Je lui ai dit de ne pas nous mettre en difficulté face au fait accompli, qui obligerait les forces du Polisario à passer par nos terres et nous obligera, dans ce cas, à reconnaître la République arabe sahraouie démocratique (RASD)», rapporte-t-il.
L’argument utilisé par le Mauritanien était alors que son pays «ne peut pas laisser entrer une forces étrangère sur le sol mauritanien sans la reconnaître». «Mais le roi du Maroc n’a pas pris la chose au sérieux. Ils ont construit la ceinture défensive (Mur des sables, ndlr) et nous avons reconnu la RASD le 27 février 1984», conclut-il.
Après l’achèvement de la construction du Mur de défense, Lagouira est resté en marge, échappant de facto au contrôle marocain jusqu’à présent.
Yassine Benargane
Source : Yabiladi (Maroc)