Député indépendant depuis que son parti, Choura, s’est sabordé dans l’UPR, Mohamed Lemine Sidi Maouloud est rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale. Il est resté très critique du régime de l’ancien président Ould Abdel Aziz.
Ce natif de Néma (1979- est sortant de l’Ecole Nationale de l’Administration, de Journalisme et de Magistrature et (ENAJM). Il dispose également d’un diplôme d’études générales en anglais, il est connu aussi pour son activisme dans le domaine politique, des droits de l’homme et sur les réseaux sociaux.
Le Calame : Les autorités vous ont refusé l’organisation d’une manifestation de protestation contre la montée de la criminalité en certaines de nos villes, en particulier Nouakchott. Votre réaction ? Peut-on parler de recul des libertés ?
Mohamed Lemine Sidi Maouloud : Le refus des autorités n’était fondé sur aucune base légale et elles ne m’en ont donc donné aucune justification, contrairement aux dispositions expresses de la loi exigeant que la décision administrative soit motivée. De motif, les autorités en ont d’autant moins qu’elles ont autorisé, voici quelques jours, des meetings au même endroit et en d’autres, notamment pour le parti du Gouvernant – je dis bien du Gouvernant et non pas au pouvoir – à Nouakchott et à Nouadhibou. Elles ont également autorisé les activités de certains dérivés de la nébuleuse de la majorité, ici à Nouakchott. L’autorisation de notre manifestation avait été rédigée après une semaine de tergiversations et d’atermoiements, ils en ont annulé la signature écrite, par simple appel téléphonique verbal. Quelle ignorance de la loi et mépris des institutions ! Oui, on peut dire que nous vivons un recul des libertés et même un mépris de la législation en général, notamment les lois et la Constitution.
Concernant les libertés, vous vous rappelez certainement les répressions des étudiants interdits d’inscription à la Faculté, des étudiants boursiers, des militants écologistes à Zouérate, des créancières de Cheikh Al-Ridha et des enseignants contractuels (même les éducateurs n’ont pas été épargnés). Quant à ce qui est arrivé aux habitants de Tivirit, en particulier les personnes âgées et les femmes – et la même chose s’est abattue sur les familles des victimes du passif humanitaire à Inal – c’est un crime dont personne n’a été tenu responsable. Il en est de même de la répression et des humiliations à l’encontre des populations de Virela et de Dar Al-Barka, dans le cadre du grave problème foncier posé. Ajoutez à cela la promulgation, il y a un an, de la loi sur les informations qui restreint la liberté des blogueurs. Mes collègues et moi avons voté contre mais la majorité automatique nous a vaincus par le nombre, comme elle l’avait déjà fait avec nos amis, il y a une décennie, sur des sujets aussi négatifs que l’Accord de Hondong.
J’ai interrogé le ministre de l’Intérieur, il y a deux semaines, sur les restrictions des libertés et l’insécurité, en lui apportant des images de terrain sur des preuves de torture et de répression. Ses réponses ont été faibles et incohérentes. Outre cela, les violations, par le régime, de la Constitution, telle l’obstruction continue à la formation de la Haute Cour de Justice ; et des lois, comme le refus de publier le rapport de la Cour des Comptes ; et les nombreuses autres illégalités dont certaines concernent le règlement intérieur des départements, notamment les critères de nomination, les questions liées aux marchés et à leur cheminement ; sont autant d’indicateurs inquiétants concernant le respect de la loi et les enjeux des libertés.
– Face à la montée en flèche des violences, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un projet dit de « sécurité et de surveillance de la ville de Nouakchott » dont certaines artères seront dotées de cameras de surveillance. Est-ce une bonne solution ?
– Je ne pense pas que ce projet soit suffisant. Je ne le décris pas comme « la » solution ; à plus forte raison, la « bonne » solution : les caméras observent le crime après qu’il est consommé et ne peuvent aider qu’à en arrêter les auteurs présumés. Elles ne constituent donc pas une solution pour prévenir le crime. Quelle est par ailleurs la base légale pour installer de telles caméras ? Nous n’avons entendu aucune discussion à ce sujet, en raison de la faible valeur de la législation aux yeux du régime actuel. Autre question à laquelle nous attendons réponse : d’où proviennent les caméras ? Autrement dit, quels sont ceux qui ont le privilège de les acheter, de les fournir, voire de les installer ? Tout projet en cette terre est une possibilité d’enrichissement de certaines personnes sans raison ni transparence !
La vraie solution à la sécurité combine plusieurs paramètres, dont la réforme des services de sécurité, l’amélioration de leur équipement, de leur formation et des revenus de leurs membres, la transparence de leurs concours, leurs promotions et mutations. J’ai personnellement constaté de graves irrégularités juridiques lors du dernier concours des inspecteurs de police. Les personnes influentes ont pris l’habitude d’accaparer les postes et les sièges les plus importants pour leurs descendants et parents, y compris des jeunes qui ont échoué dans les études et/ou alourdis d’antécédents judiciaires. Comment pourraient-ils assurer la sécurité d’autrui ?
L’une des exigences pour obtenir cette assurance est la réforme de l’éducation. Le régime a violé son engagement concernant la généralisation, cette année, de la première année de « l’école républicaine », les conditions des enseignants et des professeurs sont très mauvaises et le problème de 3.500 contractuels professeurs et enseignants persiste.
La sécurité a également une relation directe avec la corruption et la répartition des richesses qui restent confinées entre les seules mains des riches et des puissants de la classe traditionnelle, influente socialement, financièrement et même spirituellement. Et encore le problème des drogues auquel ils ont alloué à peine 60 millions d’anciennes ouguiyas sur un budget total de 700 milliards. Totalement ridicule ! Ajoutez-y les questions de l’emploi, de l’éducation, du rôle de la famille et de la société, du comportement des victimes… Bref : l’insécurité ne se résoudra pas à coups de caméras ni par de simples solutions superficielles.
– Pour éradiquer la violence, certaines chapelles demandent l’application de la Chari’a. Comprenez-vous cette revendication ?
– Les textes juridiques sont clairs et riches en matière criminelle et ne requièrent que l’application et le sérieux. Par conséquent, nous devons tous exiger le respect de la loi et son application, celui des institutions de l’État et la bonne conduite de leur rôle respectif ; assurer l’indépendance de la justice contre l’hégémonie du pouvoir exécutif et de la pression du public. La loi doit être appliquée aussi bien aux forts qu’aux faibles ; l’impunité sans raison des prédateurs des deniers publics et la punition sévère des petits voleurs est une dualité inacceptable et un évident défaut. La solution passe par la justice et le renforcement des institutions étatiques pour qu’elles soient au-dessus de tous ; puis par le développement, a priori, de l’éducation et du sens de la justice ; et par la dissuasion contre la criminalité et la punition a posteriori.
– La prolifération de la drogue est, semble-t-il, une des causes de la violence à laquelle on assiste chez nous. D’importantes quantités de produits psychotropes viennent d’être saisies au cœur de Nouakchott. Le procureur a parlé de onze cents kilos. Comment expliquez-vous cette invasion ? L’Assemble nationale ne devrait-elle pas réclamer une enquête pour situer les responsabilités ?
– Le problème de la drogue est ancien et sans cesse renouvelé. Sa force atteignit son paroxysme dans les années 90 du siècle dernier. Vous vous souvenez peut-être du dossier impliquant, à la fin de ces années-là, des personnalités, dont certaines pesaient lourd dans les services de sécurité, en tout cas socialement, voire politiquement, importantes. Les drogues ont prospéré – en vente locale et/ou transit – avec la corruption installée par le régime du Parti Républicain. Il est fort regrettable que certains de ceux grevés d’antécédents dans ces dossiers soient restés, à l’époque, en d’importants postes de la sécurité et du pouvoir. Peut-être leurs restes subsistent-ils encore aujourd’hui dans certains services censés lutter contre la drogue…
Aujourd’hui, un autre type de drogues et de boissons enivrantes prospère et envahit la société. C’est peut-être encore plus dangereux que « l’approche-transit » des années 1990. Le cannabis et ses dérivés, ainsi que la fermentation manufacturée de manière primaire, se sont répandus dans les quartiers populaires et dans les écoles, en particulier chez les jeunes. C’est un grand danger contre lequel aucune politique ni stratégie cohérente n’ont été élaborées jusqu’à présent, j’ai indiqué tantôt la faiblesse des crédits alloués en ce sens dans le budget du présent exercice (six millions de nouvelles ouguiyas seulement). L’explication de cette invasion réside dans la faiblesse des services de sécurité, en termes de formation, d’entraînement et de salaire, leur déficit consécutif en cadres humains : le secteur n’est plus attrayant pour tout jeune instruit et ambitieux. Et encore, le problème de l’immensité du pays et l’échec du développement, notamment dans les domaines de l’éducation et de l’emploi.
Quant au dernier volet de votre question, oui, bien sûr ! L’Assemblée nationale – gouvernée par 80% de ses membres, soulignons-le, associés au Parti au pouvoir et à ses dérivés – doit exiger une enquête sur cette énorme quantité de drogue, via une enquête sérieuse et transparente qui ne couvre aucun influent et n’exclut aucun responsable.
– L’ancien président de la République est en prison depuis le 23 Juin 2021. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
– Je respecte la justice et ses décisions. J’espère que ce qui s’est passé et se passe constitue un véritable début de lutte contre la corruption mais je crains que les deux ailes du pouvoir – l’actuel et l’ancien – ne transforment ce combat en une bataille politique, plutôt que juridique, correctionnelle ou pénale. Les suspects en cette affaire ont d’ailleurs cherché à suivre cette voie, en affublant la bataille d’un accoutrement politique, évoquant partis, action politique et tutti quanti. L’aile actuellement au pouvoir les a aidés par la dualité entretenue dans ce que l’on appelle le dossier de la Commission d’enquête parlementaire (CEP), attribuant à certaines personnes des postes exécutifs et en ignorant d’autres, tout en n’en renvoyant que quelques-unes devant la justice. Au final et jusqu’à présent, une seule a été arrêtée, en l’occurrence l’ancien Président, et cela vide malheureusement le dossier de toute sa valeur.
Les gens se divisent en trois groupes à ce sujet : le premier veut punir les uns et pas les autres, il règle des comptes politiques ou personnels ; le second pousse à ne punir personne, il opprime ainsi le peuple et le pays, fournissant ainsi une immunité sociale ou politique à la corruption ; et le troisième exige la sanction de toutes les personnes impliquées dont la compromission est établie, quelles qu’elles soient, il refuse donc la dualité, jugeant une telle attitude vraiment dissuasive et plus juste. Moi, j’appartiens au troisième groupe.
– Dans une conférence de presse tenue au lendemain de cette arrestation, les avocats de l’ancien président ont condamné celle-ci, invoquant l’article 93 de la Constitution qui protègerait l’ex-Président et qualifiant la CEP d’illégale. Que pensez-vous de ces reproches ?
– On ne peut pas qualifier d’illégale une commission parlementaire constituée conformément au rôle de contrôle du Parlement prévu par la Constitution et la loi ; ainsi qu’au règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; et dont tous les députés ont approuvé, sans exception, la composition et le rapport. Cette commission a réuni à l’unanimité la base constitutionnelle et juridique ainsi que la légitimité politique, puisqu’aucun député n’a voté contre elle. En outre, elle a consulté des experts juridiques et constitutionnels locaux et internationaux. Partant, sa mise en cause par une quelconque partie n’a pas la force pour l’influencer, surtout si cette partie, première victime de l’enquête, s’est longtemps moquée du pouvoir législatif, déclarant mépriser et défier la Constitution et se vantant de l’avoir renversée plus d’une fois.
– L’arrestation de l’ex-Président donne l’impression qu’il est le seul accusé par la CEP. Sa défense et ses proches n’auraient-ils raison quand ils parlent de règlement de comptes ou de chasse aux sorcières ?
– Certes, il est facile de parler de règlement de comptes dans le dossier de lutte contre la corruption, notamment celui réuni par la CEP, en raison de la manipulation orchestrée par le pouvoir exécutif, réduisant l’accusation à très peu de personnes et la concentrant, à ce jour, pratiquement sur une seule. Tel fut comportement du pouvoir dans ce dossier après sa transmission par le Parlement. Mais celui-ci n’en avait pas moins réussi le pari d’une unanimité sans précédent.
Le moyen le plus sain est de demander des comptes à tous ceux dont l’implication est établie, excluant tout clientélisme et sélectivité. Le régime actuel a pratiquement tué le dossier, en réhabilitant certains après leur blanchiment par la justice et en retirant diverses pièces justificatives, via le Parquet relevant du pouvoir exécutif représenté par le ministère de la Justice. Les deux ailes du régime disent combattre « la lutte contre la corruption », en se faisant en apparence la guerre. Mais elles profitent à parts égales de la dilution du dossier et de sa transformation en un simple combat politique, cela les exonère de la lutte réelle contre la corruption, un impôt difficile à lever, en raison de la propagation de la corruption dans les deux tranchées. Le pays a besoin d’un tiers plus propre et plus sérieux. L’élite et le peuple doivent réfléchir à une alternative.
– Que pensez-vous des mécanismes mis en place pour recouvrer les fonds détournés par l’ex- Président ?
– Après l’achèvement des travaux de la CEP dont j’étais membre, je n’ai plus reçu d’informations sur le dossier, à l’exception de ce que publient les media. Il se trouve entre les mains du Parquet et de la police, avant sa transmission au juge d’instruction. Partant, je ne dispose pas de détails précis sur leurs mécanismes de travail mais je constate, observateur distant, un ralentissement, une inconsistance et un certain clientélisme dans les procédures en général. J’espère que la justice corrigera tout cela en fin de compte.
– Comment évaluez-vous la gouvernance du président Ghazwani ?
– Dans quelques semaines, nous vivrons le deuxième anniversaire de son installation au pouvoir. Environ 40% de son mandat se sont donc écoulés et je ne pense pas que le Président lui-même soit satisfait du bilan du travail de son régime. Les déclarations du Premier ministre lors de ses visites aux départements ministériels, répétant à l’envi que le rythme du travail est de beaucoup inférieur aux ressources et au temps disponibles. Un aveu tacite d’impuissance, fût-il relatif. Ce qui est étrange, c’est qu’après cela, le Président n’a pas changé radicalement l’équipe gouvernementale. On relève plutôt une rotation dans un espace étroit, entre les seuls représentants de certaines forces tribales. La stratégie du gouvernement n’a pas évolué positivement.
Le régime se rend progressivement à l’évidence et devient de plus en plus l’otage de forces corrompues, rétablissant la confiance en nombre de ceux qui ont déjà été essayés et ont échoué, et même en ceux qui sont soupçonnés de corruption.
Un regard global sur les secteurs de l’éducation, de la santé, des routes, de l’agriculture, des minerais, de la pêche, du chômage, de la sécurité, de l’emploi, etc. suffit pour dire que le bilan est négatif et qu’il n’y a pas eu de changement radical ou sérieux autre que le calme politique et quelques aspects de nature sociale. Le pays est désormais géré de manière très traditionnelle, très monotone et inefficace, et sans le manque de place, nous aurions revu plus en détails la réalité des secteurs les plus importants afin de prouver la récolte négative au cours des deux premières années du mandat.
– Dans ses différentes missions à l’intérieur du pays, l’Union Pour la République (UPR) a mis l’accent sur l’unité nationale, la cohésion sociale et les séquelles de l’esclavage. C’est donc reconnaitre un malaise dans le pays. Qu’en pensez-vous ?
– Je ne pense pas que le parti du Gouvernant ou prétendue UPR mettra l’accent sérieusement sur l’unité nationale, la cohésion sociale, encore moins les séquelles de l’esclavage, peu importe comment certains de ses dirigeants prétendent s’y prendre. Ce parti est une nébuleuse informe constituée après le brutal coup d’État contre feu le président civil Sidi Mohamed ould Cheikh Abdellahi. Son premier noyau était un groupe de hors-la-loi, violateurs de la Constitution, des lois et des coutumes civiles, partisans systématiques de tout gouvernant. Aucun programme ni fondement politique. Quant à sa version actuelle, il s’agit d’un corps « gonflé » par l’adhésion du million dont vous connaissez tous l’histoire, puisqu’un million cent mille personnes ont adhéré à ce parti et 66% de ce nombre ont disparu, lors de l’élection présidentielle… si l’on considère que ceux qui ont voté pour le président Ghazwani appartiennent à cette seule nébuleuse.
Le contexte de l’adhésion du million, les circonstances de la formation initiale de ce parti, le conflit de la référence et la position de ce magma vis-à-vis de celui qu’il appelait « Président fondateur » (Ould Abdel Aziz) sont autant d’éléments pour prendre en simple blague ou plaisanterie toute allusion à un quelconque projet politique de cette entité. Les missions de cet amalgame à l’intérieur du pays ne servent ni la cohésion sociale ni l’unité nationale. Pour deux raisons. La première est que le parti adopte souvent l’approche du renforcement des forces traditionnelles, reflétant et parrainant à l’ordinaire les inégalités tribales et de classe, consolidant les forts socialement et en pouvoir, accentuant la faiblesse des marginalisés socialement, financièrement et en pouvoir. Quant à la seconde, ce sont toujours des discours régionalistes et tribalistes crispés qui s’imposent en presque toutes ces visites, ravivant l’esprit de fragmentation et tuant toute conscience politique dans le pays. Tout cela s’ajoute au blocage des services publics, lorsque des responsables de l’Exécutif (ministres, directeurs, chefs de service…) partent en ces visites ou réceptions et que les intérêts des gens se perdent dans les bureaux du gouvernement.
La cohésion sociale et l’unité nationale ont besoin d’action, pas seulement de paroles. Elles nécessitent des décisions audacieuses, honnêtes et radicales, un dialogue social profond et franc, afin que nous parvenions à une véritable solution du problème du passif humanitaire ignoré de beaucoup et à une solution globale aux séquelles de l’esclavage, dans un plan de développement réformiste et révolutionnaire qui entraîne un changement qualitatif dans la répartition des richesses et le partage du pouvoir.
– Selon des sources concordantes, le président de la République s’apprêterait à lancer des concertations avec tous les acteurs politiques en vue d’un dialogue national inclusif. Avez-vous le sentiment que ces thèmes qui fâchaient jusque-là pourraient y trouver des solutions idoines ? Que faudrait-il faire pour y arriver ?
– La solution ne réside pas seulement dans le dialogue en tant que tel, bien que l’idée soit toujours positive, mais dans le type du dialogue, en termes de contenu, diagnostic et sérieux, puis dans les résultats, leur mise en œuvre et leur suivi. À titre d’exemple, beaucoup de l’élite gouvernante – ou par laquelle on gouverne – ne veulent pas parler du passif humanitaire ni même écouter ceux qui en parlent ; à plus forte raison, leur proposer des solutions. Beaucoup n’ont ni vision ni disposition à parler franchement des séquelles de l’esclavage, parce que la solution requiert un certain renoncement aux acquis matériels et peut-être moraux dont quelques-uns sont devenus dépendants. Pire encore, de nombreux membres de l’élite ont bloqué leur esprit et leur conscience, attendant les ordres du ou des gouvernants au lieu d’exercer leur libre réflexion, le diagnostic rigoureux et la recherche sérieuse des solutions.
Nous avons suivi de nombreux dialogues depuis un quart de siècle, c’est-à-dire depuis la fin des années 90. Le problème a toujours été l’incapacité de traiter sérieusement les dossiers douloureux puis de mettre en œuvre les résultats de ces rencontres. À cet égard et si vous le souhaitez, interrogez donc « l’opposition dialoguante » sur les résultats de son dialogue, il y a près de neuf ans, et ne me dites pas que le régime d’alors est passé ! Le même parti et le même groupe sont toujours au pouvoir, seul le Président a changé et une petite poignée de l’opposition a rejoint le régime.
Ce n’est pas seulement le problème social qui a besoin d’un dialogue sérieux, il y a aussi le problème de l’éducation, les problèmes de la bonne gouvernance et ceux de la corruption et du développement. Nous aurons peut-être besoin d’une refondation si nous parvenons à un dialogue sérieux, franc et responsable et que le régime a la volonté réelle du changement vers le meilleur. Je ne voudrai pas conclure sur le pessimisme mais j’ai beaucoup de doute à cet égard !
Propos recueillis par Dalay Lam