Le député et président de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), Birame Dah Abeid, a été convoqué samedi 26 juin 2021 par la police sénégalaise, qui s’est vite excusée en annulant la convocation qu’elle lui avait adressée. C’était par rapport à un documentaire sur l’esclavage en Afrique et sur le combat de son organisation, tourné à Dakar par Sébastien Kraft, universitaire, journaliste et chercheur américain de Penn State University. Ce documentaire nourrit actuellement la polémique en Mauritanie.
Tard dans la nuit du samedi 26 juin 2021, la police sénégalaise a appelé le député et président du mouvement antiesclavagiste mauritanien IRA, Birame Dah Abeid, pour lui signifier qu’il pouvait vaquer à ses occupations et faire comme si de rien n’était. C’était suite à une convocation qui lui a été adressée des heures plus tôt, à propos du tournage d’un documentaire sur les luttes les plus importantes et les plus réussies contre l’esclavage contemporain en Afrique, avec le cas du mouvement IRA comme exemple.
En gros, la première partie du documentaire est consacrée au rôle des rois et des aristocrates africains dans la traite triangulaire des esclaves dans les siècles passés et le rôle qu’ont joué les élites africaines par la suite pour maintenir et perpétuer ces pratiques après les indépendances. La deuxième partie parle du combat du mouvement IRA en Mauritanie.
Cette information, largement reprise dans la presse et les réseaux sociaux, nourrit aujourd’hui la polémique en Mauritanie.
Un bloggeur mauritanien, à l’origine de la polémique
Reprenant l’information relative au tournage du documentaire sur l’esclavage à Dakar, le bloggeur Habiboullah Ahmed, écrit sur sa page Facebook que « le Sénégal accueille le tournage et la production d’un documentaire sur le mouvement IRA par un producteur et réalisateur américain d’origine juive ». Selon lui, le film documentaire sensé porté sur le parcours du mouvement IRA, cache en réalité des objectifs malsains visant « la composante arabe et la cohésion nationale et sociale en Mauritanie ».
Il affirme que « le film est financé par des groupes suspects, des activistes anti-arabes et antimusulmans avec la bénédiction, la participation et le soutien de IRA et d’organisations racistes noires hostiles à la coexistence arabo-africaine en Mauritanie ».
Citant des informations de presse (non élucidées) à Dakar, Habiboullah soutient que le tournage se passe « dans le luxueux palais de Birame dans l’un des quartiers les plus prestigieux de Dakar, ainsi que sur l’île de Gorée et la maison des Esclaves, pour leur symbolisme, au service du film anti-Mauritanie ».
Le bloggeur englobe dans ce complot le Sénégal et dénonce « un acte inamical envers un pays frère et voisin », soutenant qu’il existe « des partis sénégalais qui détestent la Mauritanie et ont une longue histoire dans l’expression de cette haine ». Selon lui, cette inimitié qui intervient dans le contexte gazier entre les deux pays, a pour objectif de « frapper les intérêts mauritaniens à travers un film qui promeut l’existence de l’esclavage et des attaques contre les Arabes de Mauritanie, en utilisant des mensonges et des fabrications préparées par des racistes extrémistes de IRA et des mouvements nègres alliés au Sénégal ».
Habiboullah de soutenir que « dans les normes diplomatiques, cela nécessite une protestation officielle mauritanienne auprès des autorités sénégalaises pour les décourager d’abriter de telles activités hostiles à la République islamique de Mauritanie et à ses intérêts supérieurs et à l’avenir de son peuple et de sa cohésion ».
Pourquoi une convocation de Birame
Après le posting du bloggeur Habiboullah Ahmed, la police sénégalaise a adressé une convocation le samedi 26 juin 2021 au député et président d’IRA, Birame Dah Abeid, pour une audition le dimanche. Seulement, la police va se rétracter quelques heures plus tard en présentant ses excuses au député et annulant la convocation. En effet, l’enquête menée a prouvé le non fondement des accusations contenues dans le posting du bloggeur, parlant d’un complot juif qui vise la Mauritanie et sa composante arabe, ainsi que sur le luxueux palais que Birame aurait acheté au Sénégal.
En effet, il a été constaté que le documentaire parle de l’esclavage en Afrique, avec comme invités Birame Dah Abeid et Alioune Tine, défenseur sénégalais des droits de l’homme, ancien président du RADDHO (réseau africain pour la défense des droits de l’homme) et représentant d’Amnesty International au Sénégal. Il a été établi que la famille de Birame, installée au Sénégal pour l’étude de ses enfants, occupe en réalité un modeste appartement loué depuis cinq ans dans un immeuble à Dakar.
Les activistes des réseaux sociaux se demandent si l’enquête diligentée par la police sénégalaise autour du documentaire est le fruit d’une initiative propre du gouvernement sénégalais ou si c’est sur la demande des autorités mauritaniennes.
Le premier cas serait exclu, selon les observateurs, dans la mesure où les autorités sénégalaises seraient bien informées des tenants et aboutissants du documentaire, car ce sont elles qui ont délivré l’autorisation du tournage.
La seconde option, si elle est confirmée, serait plutôt inquiétante, dans la mesure où il traduirait une certaine légèreté de l’administration qui prendrait pour argent comptant les écrits d’un bloggeur qui à aucun moment n’a cité des sources, alors qu’elle devait se baser sur ses propres services de renseignement.
Réactions des partisans d’IRA
Pour les partisans d’IRA, la pseudo crise que certains milieux hostiles aux abolitionnistes cherchent à créer entre la Mauritanie et le Sénégal, et entre les composantes nationales, a pour but de briser l’entente entre Birame Dah Abeid et le président Mohamed Cheikh Ghazouani. Pour eux, les milieux extrémistes et les fossoyeurs de l’unité nationale tapis dans les rouages du système politique et administratifs mauritaniens, sont hostiles au climat de paix et de concorde politique qui règne aujourd’hui dans le pays. D’où leur propension à se jeter sur n’importe quelle occasion, surtout si Birame est au centre, pour attiser les tensions et exacerber les fibres éthnoraciales.
Aujourd’hui, le bloggeur s’est rétracté en retirant l’écrit incriminé de sa page Facebook et en s’excusant auprès de Birame. Mais plusieurs voix s’élèvent face à sa non poursuite judiciaire, jugeant gravissimes ses écrits qui non seulement, selon elles, portent atteintes aux relations entre le Sénégal et la Mauritanie, mais comportent en plus une incitation à la haine entre les communautés.
Cheikh Aïdara