Alakhbar Info: Depuis votre arrivée en Mauritanie, vous avez effectué plusieurs rencontres et visites officielles et non officielles. En quatre mois, vous avez fait plus de déplacements que certains diplomates durant toute leur période de résidence dans le pays. Quel est le secret de ces déplacements qui ne répondent pas souvent aux normes protocolaires ?
André Larry : Mon épouse et moi sommes arrivés en Mauritanie il y a environ six mois. J’ai deux grands rôles en tant qu’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique. D’abord, je suis le représentant du Président Obama auprès du Président Ould Abdel Aziz, et du gouvernement américain auprès du gouvernement mauritanien. Nos gouvernements entretiennent un partenariat solide que je cherche à élargir. J’ai rencontré chaque Ministre du gouvernement pour discuter des moyens par lesquels mon gouvernement peut soutenir le gouvernement mauritanien dans ces efforts de réaliser nos objectifs communs. Je suis reconnaissant aux Ministres de m’avoir accordé leur temps. Mon second rôle est de représenter le peuple américain auprès du peuple mauritanien.
Dans ce rôle, j’ai rencontré les leaders politiques, religieux, et de la société civile qui représentent un large éventail de l’opinion publique en Mauritanie. Mon épouse et moi avons rencontré des Mauritaniens venant de toutes les régions et de différentes origines. L’hospitalité et la gentillesse que les Mauritaniens nous ont montrées sont vraiment impressionnantes.
En fin, je suis l’Ambassadeur américain en Mauritanie, et non seulement à Nouakchott. Comme Ambassadeur d’un pays ami, il est tout à fait normal que je voyage en dehors de la capitale, tout comme l’Ambassadeur de la Mauritanie aux Etats-Unis le fait. J’ai déjà visité 11 des 15 wilayas. Je prévois de visiter tous les 15 wilayas avant le premier anniversaire de mon arrivée dans ce pays magnifique. J’organise mes voyages en coordination avec nos amis dans le gouvernement mauritanien, et nous les faisons en respectant toutes les règles du protocole en Mauritanie. Mes rencontres avec les gens sont ouverts et transparents.
Malheureusement, certains articles de presses publiés sur mes rencontres contiennent exactement l’opposé de ce que j’ai réellement discuté avec mes amis mauritaniens. Ces articles, comme celui rapportant que j’étais présent à un mariage, ne sont que pure fiction. Jusqu’à présent je n’ai jamais assisté à un mariage en Mauritanie, mais je n’hésiterais pas à le faire si je suis invité.
Alakhbar Info : Vous avez été accusé par certains milieux du pays de tentative de diviser la Mauritanie et de semer la discorde entre ses composantes ethniques. Ils ont qualifié votre discours relatif à la question de la cohabitation d’«exagéré». Ils craignent même l’expérience américaine qui a abouti à la séparation du Soudan entre le nord et le Sud. Les États-Unis chercheraient-ils à diviser la Mauritanie ?
André Larry : Le prix à payer pour avoir des medias indépendants est que, des fois, des journalistes indépendants choisissent d’être non professionnels et malhonnêtes. Malgré cela, la liberté de presses en vaut la peine ; même si, cela signifie que des fois des articles non fondés et des histoires blessantes sont colportés sur des personnes publiques. Plusieurs personnalités publiques en Mauritanie, même Président Aziz, ont vu des articles leur attribué des déclarations fallacieuses qu’ils n’ont jamais faites et des actes qu’ils n’ont jamais commis. J’ai confiance que le peuple mauritanien saura séparer le vrai du faux. Un journaliste professionnel et honnête vérifiela véracité de ses informations au lieu de publier des rumeurs juste pour avoir une déclaration sur le sujet.
J’ai toujours appelé pour un respect mutuel entre tous les Mauritaniens, sans distinction de région, de culture, de caste ou de tribu. J’ai aussi discuté ouvertement du combat en cours dans mon propre pays pour asseoir une véritable unité nationale, et une égalité entre ses citoyens, ce qui continue jusqu’à nos jours, comme mes amis mauritaniens me le rappellent souvent. J’ai condamné toute déclaration encourageant la haine des autres. J’ai mis en garde contre telles déclarations parce que j’ai été témoin de résultats terribles qu’elles ont engendré ailleurs en Afrique.
Concernant le Soudan, j’ai confiance que les mauritaniens ont une bonne capacité de discernement qui leur permettra de rejeter de telles allégations. J’ai été Directeur du Bureau chargé des Affaires du Sud Soudan à Washington D.C. entre aout 2011 et aout 2013. Le Sud Soudan est devenu indépendant en Juillet 2011, bien avant le moment où j’ai travaillé avec les deux pays. Je suis très fier du rôle que j’ai joué pour promouvoir les relations de paix entre les deux Soudans, en travaillant étroitement avec l’Union Africaine durant plusieurs pourparlers de paix à Addis Ababa. La guerre civile qui a mené à l’auto-détermination du Soudan Sud a commencé en 1983 quand j’avais 22 ans, servant dans un petit village au centre du Sénégal comme Volontaire du Corps de la Paix.
Tout ce que j’ai jamais dit ou fait en Mauritanie est pour rendre service aux objectifs du gouvernement mauritanien pour bâtir une nation plus libre, plus sécurisée, et plus prospère, y compris le renforcement de l’unité nationale. La Mauritanie et les Etats-Unis sont des partenaires très proches, et je resterai toujours fidèle à ce partenariat.
Alakhbar Info : Ces dernières semaines, vous avez effectué plusieurs rencontres relatives à votre médiation dans le dossier de l’esclavage en Mauritanie. Vos efforts en ce sens ont-ils été couronnés de succès ?
André Larry : Le but de ces réunions était de connaitre les points de vue du gouvernement de la Mauritanie, de la société civile et des chefs religieux sur l’esclavage. Ces réunions ont été couronnées de succès parce que j’ai maintenant une meilleure compréhension de la complexité de cette question difficile. Ces rencontres m’ont permis de comprendre tout ce qui a été réalisé et tout ce qui reste à faire pour que la Mauritanie soit libérée de ce tragique héritage une fois pour toutes. Ces rencontres m’ont permis de constater les similitudes entre les luttes de la Mauritanie par rapport à cette question et les luttes de mon pays qui continuent encore pour à la fois mettre fin aux formes modernes de l’esclavage dans notre pays et résoudre les nombreuses conséquences néfastes pour les descendants d’esclaves des effets de nos deux siècles d’esclavage. Depuis lors, j’ai partagé ces compréhensions avec mes collègues à Washington. Ensemble, nous cherchons les voies et moyens pour aider la Mauritanie à faire des progrès dans ce domaine, en collaboration avec le gouvernement de la Mauritanie.
Je l’ai dit aussi bien en public qu’en privé que j’espère voir tous les éléments de la société mauritanienne s’unir dans un élan d’effort commun pour aider ces Mauritaniens qui continuent de vivre dans des conditions d’extrême dépendance qui sont indignes d’un citoyen fier de ce précieux pays. Cela signifie que le gouvernement, la société civile, les chefs religieux et les communautés locales se doivent de travailler comme une seule équipe. Cela n’a pas encore eu lieu. Beaucoup de Mauritaniens réclament cet effort.
Alakhbar Info : L’on constate enfin que les grandes personnalités américaines qui ont visité la Mauritanie ces dernières années ont été essentiellement militaires. Il y a eu aussi des personnalités politiques mais de second rang et à nombre limité. Cela voudrait-il dire que vous être plus intéressé à la sécurité plus qu’à la politique en Mauritanie. Que répondez-vous à ceux qui parlent d’une rivalité entre les Etats-Unis et la France dans la région du Sahel ? Est-ce que votre pays dispose d’une base militaire (Salahdine) dans le nord mauritanien ?
André Larry : Comme l’a dit le Président Aziz, « Il ne peut y avoir de développement sans sécurité ». Les forces de sécurité mauritaniennes ont protégé avec succès le peuple mauritanien des actes terroristes au cours des quatre dernières années. Bien que nous soyons fiers de la contribution que nous avons apportée dans cet effort à la demande des dirigeants de la Mauritanie, ce grand succès revient entièrement aux braves et patriotiques forces de sécurité de la Mauritanie.
Notre aide humanitaire, alimentant des Mauritaniens qui autrement auraient souffert de la faim a continué sans interruption pendant de nombreuses années. Notre aide au développement a été suspendue à la suite des changements anticonstitutionnels de gouvernement en 2005 et 2008. C’est une question de droit aux Etats-Unis. Avec les élections démocratiques de 2009 et 2014, cet obstacle juridique ne s’applique plus. Cependant, le financement du développement déjà disponible pour la Mauritanie avait été redistribué à d’autres pays. Je suis en train de travailler pour rétablir le financement du développement pour la Mauritanie afin que nous puissions soutenir les éléments des plans de développement du gouvernement. Mon récent voyage au sud du pays avec notre Attaché Agricole Régional s’inscrit dans cet effort. Il en est de même pour la récente visite de deux semaines effectuée par notre collègue des Centres du Contrôle des Maladies (CDC), qui a travaillé avec le Ministère de la Santé sur les défenses contre les maladies transmissibles. Je suis en train de travailler pour que nos relations civiles soient au même niveau que nos relations de sécurité.
Nous sommes heureux de constater que de nombreux autres partenaires de la Mauritanie apportent des contributions importantes au développement du pays. Le développement de la Mauritanie n’exige pas nécessairement des partenaires étrangers. Le pays possède le talent et les ressources humains pour se développer de lui-même. Cependant, les partenaires étrangers peuvent aider pour que le développement se produise plus rapidement que cela aurait pu être autrement, tant que ces partenaires collaborent de façon appropriée avec le gouvernement comme nous le faisons.
Quant à votre dernière question, le Gouvernement des Etats-Unis n’a pas de bases militaires en Mauritanie. Sur demande des autorités mauritaniennes, nous aidons parfois avec des projets d’infrastructure sur des bases militaires mauritaniennes, telle que l’extension de la piste à Bassiknou qui a été demandée par le gouvernement mauritanien et coordonnée avec le Programme Alimentaire Mondial
Interview de Alakhbar Info