Hommage à deux justes : Beden et Mohameden

Ils nous ont quittés. Leur départ simultané est un message divin  facile  à décrypter. Enfin, facile  pour  les croyants qui pensent que  la rectitude est la seule qualité humaine qui vaille  dans cette vie bien éphémère.
C’est aussi un message pour ceux et celles qui  se demandent souvent,  s’il existe encore, dans ce pays des cadres intègres qui sont allés au charbon politique ou administratif, tout en préservant leur propreté ?
Bien entendu,  cette question,  qui reflète un sentiment  collectif d’une opinion publique désabusée conduit, quelque part, à une injustice.
En effet, une telle généralisation excessive, portée au zénith,  par un  populisme vulgaire  fait , souvent, le lit du pouvoir de l’Insensé.
En tout cas, rien n’interdit de penser  que, malgré l’apparence pas du tout rassurante, la Mauritanie, comme d’ailleurs  tous les pays du monde, pourrait compter sur des citoyens valeureux qui croient , profondément, à l’intérêt général et qui  traduisent leur foi par l’exemplarité de leur parcours dans la vie active.
Mais il est, aussi,  bien difficile, de ne pas prendre en considération ce sentiment généralisé qui tient à la perte de la confiance dans l’élite  nationale et à la raréfaction des comportements exemplaires  de  ceux (celles) qui ont jadis combattu pour leur idées politiques ou /et  servi dans la haute fonction publique.
Voici donc,  pour l’Histoire et en vertu d’une règle religieuse  nous interdisant d’occulter le témoignage, deux cas exemplaires qui interpellent les consciences endormies et dont le souvenir lumineux pourrait, au moins,  servir de leçon à la jeunesse mauritanienne pas encore mouillée.

 

Artisan d’un fabuleux combat

Le premier cas exemplaire  est celui de Beden ould Abidine
Décédé le 11 avril 202. Il était un digne représentant de la génération Soumeida qui fut de 1969 à 1973, le chef réel du mouvement national démocratique fondé à Tokomadi (dans la région du Gorgol ) par des jeunes nationalistes arabes.
Ces nationalistes arabes  avaient, après avoir constaté que la  confrontation , avec leurs frères nationalistes noirs de la vallée,  mène à une impasse,  décidé de  leur  tendre la main et de fédérer ainsi les divers courants de pensée de l’époque autour d’un combat unitaire dans l’intérêt national.
Sur  le terrain  et dans la discrétion  érigée en doctrine sous le titre sacré de la  ‘’clandestinité « , Beden fut, à travers les tâches spéciales ( TS), l’artisan de ce fabuleux combat qui mobilisa des dizaines voire des centaines des  jeunes Mauritaniens dévoués à la cause du peuple.
En organisant le soutien logistique à ce mouvement et en animant sa voix à travers le journal de Sayhat El Madhloum ( cri de l’opprimé), Beden  a été la clef du succès du  mouvement  politique  des Kadihines, lequel a marqué, à jamais, l’histoire du pays.
Dans  ce  rôle méconnu du grand public, Beden anima ,  avec une légendaire efficacité,  le combat  contre l’oppression.
Plus tard, quand le mouvement fut liquidé, dans des conditions suspectes et en flagrante violation de la volonté de ses militants réunis en congrès ( dit congrès  PG 9) , Beden se retira, progressivement, du champ politique et du secteur public dans lequel il a travaillé avec brio en tant que journaliste des éde l’Etat.
Après une autre  longue   » clandestinité  »  dans le domaine des affaires où il se distingua, encore,  par le respect  des  engagements et le sérieux dans le travail , Beden réapparut, tout dernièrement, pour prendre l’opinion publique à témoin  au sujet d’une page de l’histoire nationale que nul n’a le droit d’oublier.
Je  n’ai pas eu la chance de connaitre Beden à l’époque des glorieuses des Kadihines mais j’ai retrouvé les séquelles de l’organisation clandestine qu’il institua ainsi que sa foi dans l’unité nationale qui anima le mouvement ,  lors de mon séjour militant  dans les cellules du  mouvement national démocratique (MND )à la fin des années 70 et au début des années 80.
J’ai eu, surtout,  l’honneur d’avoir la primeur de ses confessions relatives à l’histoire occultée sur ce grand combat politique qui porta assez haut les aspirations du peuple mauritanien  perçu en  tant qu’ensemble  unitaire structuré  malgré sa diversité structurelle.
A l’occasion , j’ai eu à découvrir  en lui cette image bien rare du politicien dont nous avons  besoin aujourd’hui , c’est à dire  le Militant
qui a combattu pour un idéal et dont le combat n’a pas été souillé par les mains sales du système de domination.  C’est ça la rectitude, une denrée rare en politique.

 

Fonctionnaire modèle

Le second cas exemplaire est celui de  mon ami  et condisciple  Mohameden ould Bah ould Hamed  décédé le 12 avril 2021, un fonctionnaire modèle qui a été façonné par sa croyance dure comme fer à la rigueur du Droit administratif.
Dans l’histoire de la fonction publique mauritanienne, il est réputé  être le digne représentant d’une lignée de directeurs atteints par  la ‘’textitude », laquelle traduit, au fond, une certaine rectitude ou une rectitude certaine visant  à appliquer rigoureusement les textes.
Après Seydi Boubou Camara, Mohamed Sultan, Mohameden ould Bah  fut le directeur qui marqua de son empreinte la pratique du Droit de la fonction publique.
Après avoir  constaté, avec une amertume contenue, la difficulté  d’appliquer  sa connaissance maîtrisée de son sujet,  il s’est exilé, volontairement, pour gagner sa vie dignement.
Il était le genre du  haut fonctionnaire modèle  qui croyait dur comme fer, qu’en tant que commis de l’Etat, il n’avait pas besoin, pour servir la République, de faire les courbettes dans  les structures tissés par les  faux-semblants du Parti Etat.
Plus tard il se distingua  en tant que haut fonctionnaire dans  toutes  les missions qui lui ont été confiées.
Tous ceux qui l’ont connu, sous cet angle, s’accordent à constater qu’il s’est acquitté  de son devoir avec un sens élevé de responsabilité.
Dans le registre de la relation  de type fraternel qui me lie avec lui, je dois dire que nos chemins qui se sont séparés au moment où il fallait choisir entre le Droit public et le Droit privé, se sont, récemment, croisés dans le cadre de l’enseignement à l’école nationale d’administration et en marge des colloques gouvernementaux consacrés à la formation  ainsi  que dans d’autres réunions de travail.
J’ai eu le plaisir de retrouver le Mohameden  au visage lumineux de toujours, calme, serein.
J’ai eu à reprendre avec lui nos interminables discussions sur la nature et la culture du Droit.
Imperturbable face à mes variations privatistes, tenant à la flexibilité du Droit, le gardien du temple du Droit de la Fonction publique, met en avant, inlassablement, le dogme de l’impossibilité d’intégrer la fonction publique, sans la voie d’un concours ouvert au public sur la base du principe de l’égalité des chances entre les citoyens.
Dans la défense de cette doctrine, il aimait souvent rappeler qu’il y a lieu de distinguer entre le droit sur lequel repose l’administration  publique qu’il conviendrait d’appliquer à la lettre  et les dysfonctionnements  qu’il faudrait corriger.
En somme, c’était une  opinion. Tout à fait correcte, défendue par quelqu’un de correct et au, final, c’est ce qu’on appelle, religieusement, la rectitude.
Dans ce sens, les deux regrettés Beden et Mohameden font partie de ces croyants cités au verset 30 de la sourate X.L.I qui ont cru, tout en  agissant avec rectitude et sur lesquels les anges descendent  pour les rassurer contre la peur et le deuil, en leur indiquant la porte du paradis promis.

Abdelkader ould Mohamed