L’indépendance ou la décolonisation / Ahane Taleb Ethmane

L’indépendance d’une nation dans l’acception qu’on confère généralement à ce substantif n’existe pas, en réalité. Tous les pays, même les plus évolués, restent toujours plus ou moins dépendants des autres. On observe plutôt, paradoxalement que, plus ils sont développés et plus ils ont besoin des autres, de leurs ressources, de leurs marchés, de leur main d’œuvre, de leurs territoires…L’impérialisme et la colonisation qui en est une manifestation sont nés de ce type de dépendance non moins contraignant que celui qui caractérise les pays dits sous- développés ou en voie de développement qui, eux, sont dépendants par déficit tandis que les autres le sont par excès ou par abondance.
Cet impérialisme existe encore aujourd’hui, comme on le sait, sous des formes moins ostentatoires, plus civilisées peut-être mais toujours aussi récusables qu’auparavant. C’est le néocolonialisme. Il en est ainsi puisque la paix est la continuation de la guerre par d’autres moyens, pour paraphraser Clausewitz.
La mondialisation qui se traduit par la globalisation des marchés consacre de nos jours cette réalité.
La colonisation, passée de mode à partir des années 50, a été remplacée par des conventions, des traités et autres règles internationales qui, tout en permettant aux puissances mondiales de faire l’économie de l’effort militaro-administratif que nécessitait l’administration des colonies, leur assuraient l’essentiel de leurs intérêts. Il s’avérera que ceux-ci seront davantage garantis par le système économico-administratif et le modèle politico-social dont ont hérité les pays décolonisés.
L’évènement célébré en 2010 avec fierté et fracas par les pays africains n’était donc pas le cinquantenaire des indépendances mais celui plus prosaïque de la décolonisation si l’on veut s’en tenir à la stricte réalité.
Mais il faut éviter de jouer le trouble-fête et noter que les nations ne vivent pas seulement de réalité concrète. Il leur faut également une bonne dose de rêves, d’utopies, de mythes, de symboles, surtout quand la réalité est si sévère.
Nous devons même à la vérité de dire que les Mauritaniens ont de bonnes raisons d’être fiers de leur pays et optimistes quant à son avenir, quitte à ramer à contre-courant par rapport à une certaine bien-pensance où il n’est guère de bon ton d’attribuer le moindre effet positif à la colonisation. Ces raisons sont toutes simples et c’est peut-être justement à cause de leur simplicité qu’elles passent souvent inaperçues. Il suffit de regarder autour de soi pour s’en apercevoir.

‘’Contre vents et marées’’
En 1960, il n’y avait tout simplement pas, à proprement parler, une nation qui s’appelait la Mauritanie, vocable créé quelques décennies plus tôt par un certain Xavier Coppolani, premier  administrateur colonial local du pays. Aujourd’hui il y en a bien une à laquelle s’identifie sur un vaste territoire un peuple hétéroclite qui n’avait même pas le sentiment d’appartenir à un même ensemble et qui ne concevait même pas une telle notion.
Aujourd’hui, ce pays ne repose certes pas encore sur une économie compétitive, ni un système éducatif performant, ni des infrastructures modernes entre autres insuffisances mais il s’est créé et a survécu « contre vents et marées », dispose de ressources naturelles et de potentialités considérables.
Il manque encore de ressources humaines qualifiées et la qualité de l’enseignement y est déplorable mais le taux de scolarisation y est quand bien même passé de 0% à plus de 90 % et celui de l’analphabétisme s’est amplement réduit.
Il jouit d’un système politique démocratique apaisé tendant vers l’instauration d’une véritable démocratie au sens large du terme, c’est-à-dire au niveau de l’exercice du pouvoir et pas seulement à travers un processus électoral.
Autant d’acquis pour n’en citer que ceux-là réalisés en quelques décennies, un laps de temps dans la vie d’une nation, incitent à être optimiste plutôt qu’à se lamenter sur le sort d’un pays qui n’est en définitive pas si malheureux que ça.
En fait, l’optimisme est inversement proportionnel à l’ambition. Ceux qui sont désabusés aujourd’hui le sont  parce qu’ils croyaient qu’en si peu de temps on pouvait édifier une nation ex-nihilo, éduquer un peuple, créer un Etat prospère, y instaurer la bonne gouvernance et le hisser au concert des pays évolués. Ceux-ci peuvent toujours rêver, on ne peut pas leur en vouloir, pas moi en tout cas puisque j’en fais partie, mais la réalité est têtue.