Membre du collectif Voix des femmes en Mauritanie et du Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest, Dieynaba NDiom milite pour qu’une loi formalise la lutte contre les violences faites aux femmes en Mauritanie.
Pourriez-vous nous expliquer quels sont les enjeux liés aux violences sexistes et sexuelles en Mauritanie ?
Le grand enjeu qu’on a actuellement porte sur le cadre juridique. Récemment, le gouvernement mauritanien lui-même, à travers le MASEF (Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille) et le Ministère de la Justice, a proposé un projet de loi portant sur les violences faites aux femmes et aux filles. Il a été adopté par le Conseil des ministres et devait être présenté à l’Assemblée pour être voté. Mais, entre-temps, il y a eu une forte pression de certains partis politiques et de certains islamistes. Ils lui reprochent d’être anti-islamique, alors même qu’il a déjà été passé au peigne fin par le Ministère des Affaires Islamiques. Pour eux, cette loi mènerait vers la déperdition, la prostitution, etc. Cette contre-campagne a bloqué le processus d’adoption de la loi : le gouvernement a reculé. Nous, les associations féministes et de défense des droits humains en Mauritanie, pensons qu’au regard de nos besoins la loi est loin d’être complète. Mais elle est un premier pas, essentiel, pour régir les questions qui ont rapport aux violences faites aux femmes et aux filles.
En 2020, les appels de femmes victimes de violence ont augmenté. Les meurtres de femmes ont fait l’actualité mauritanienne. Malgré cela et la mobilisation des associations, l’État n’a pas eu le courage de présenter ce projet de loi à l’Assemblée.
Comment agissez-vous concrètement en faveur de l’adoption du projet de loi ?
Avec le collectif Voix des femmes en Mauritanie, nous menons une campagne numérique et médiatique. Nous mettons en avant la nécessité d’avoir ce cadre juridique, notamment via des interviews vidéo portant sur les thématiques dont traite le projet de loi – Mutilations sexuelles féminines, harcèlement sexuel, violences conjugales (même si ces dernières ne sont pas directement évoquées) – en Arabe, Français, Pulaar, Soninké, Wolof. Nous voulons rendre nos messages, mais aussi le projet de loi, accessibles au plus grand nombre. C’est pourquoi nous avons traduit et expliqué la loi dans les quatre langues nationales, ce que même les ministères concernés n’avaient pas fait. Nous préparons également des podcasts pour communiquer sur la question.
Voix des femmes propose aussi des espaces d’expression pour les femmes. Avec le contexte sanitaire, nous œuvrons grâce au digital. A l’occasion des 16 jours d’activisme, je participe à de nombreux panels et débats en ligne sur les grandes questions liées aux violences faites aux femmes en Mauritanie et dans la sous-région.
En quoi une loi peut-elle permettre d’améliorer le quotidien des femmes mauritaniennes ?
La loi a elle seule ne peut en aucun cas suffire. Mais elle permettrait d’avoir un cadre juridique. Aujourd’hui, les personnes qui vont porter plainte sont face à des juges qui ne peuvent s’appuyer sur aucune loi portant spécifiquement sur les violences faites aux femmes. En Mauritanie, une femme victime de viol a plus de chance d’être condamnée à la prison que l’auteur du viol. Elle sera accusée de Zinâ (rapport sexuel hors mariage consenti) – notamment parce-que le viol n’est pas assez clairement défini dans les lois mauritaniennes. Il y a une volonté politique derrière ce manque de sanctions des auteurs de violence : le système administratif mauritanien est très patriarcal et légitime certaines violences, comme les violences conjugales. Bien sûr, il faut aussi mener tout un travail sur l’éducation, l’égalité de genre, contre le patriarcat et sur de nombreux autres plans qui permettront une société égalitaire.
Nous devons continuer nos efforts, dans tous les pays, pour donner naissance à une société où tout être humain – quels que soient ses besoins et sa diversité – y trouve son compte. Quand nous y serons arrivé·e·s, nous vivrons mieux et plus en paix.
Source : Equipop (France)