Malgré le combat mené au quotidien, le phénomène ne s’estompe pas. Et parmi d’autres formes de violences faites aux filles et aux femmes, on assiste même à une recrudescence des viols. Certes, à la différence d’il n’y a pas si longtemps, les victimes « osent aujourd’hui déposer plaintes » contre leurs bourreaux, selon des acteurs de la société civile.
Mais les actes de viol perdurent, et même s’amplifient, en cette République Islamique de Mauritanie.
Histoires de vies brisées
La longue lutte pour l’adoption d’une loi criminalisant les violences faites aux femmes demeure sans résultats significatifs. En 2017, un projet de loi allant dans ce sens avait déjà été rejeté. Un autre soumis au parlement en 2019 par le ministère des Affaires sociales, de l’Enfance et de la Famille (MASEF) dort toujours dans les tiroirs de l’Assemblée nationale.
Les acteurs des droits des femmes ne baissent pourtant pas les bras. Ils continuent la mobilisation, comme ce fut le cas lors du sit-in du 10 septembre 2020, devant les locaux du ministère de l’Intérieur, pour dénoncer la recrudescence des viols suivis de meurtre, dont les premières victimes sont les femmes, qui constituent la majorité de la population mauritanienne.
Des appels pour l’adoption du projet de loi en question sont lancés, qui prennent à témoin, « l’opinion nationale sur la gravité des faits« , comme le scandaient d’ailleurs les participantes au sit-in. Beaucoup d’espoirs sont, en effet, fondés sur cette loi qui viendra –on peut l’espérer – soulager les filles de tout âge et les femmes des horreurs du viol.
Le viol, « une situation inquiétante» Cette pratique est « faite par des pervers », confie Samba Ba, chargé des statistiques à l’Association mauritanienne pour la santé de la mère et de l’enfant (AMSME), la première ONG spécialisée dans la lutte contre le viol en Mauritanie.
L’AMSME, qui joint sa voix à toutes celles qui se lèvent pour dénoncer cette atteinte aux droits humains qu’est le viol des filles, a créé le Centre ElWafa pour le conseil et la prise en charge des victimes de viols à Nouakchott. Ces dernières y reçoivent une assistance psychosociale et juridique, et bénéficient d’une insertion professionnelle adaptée à leurs besoins.
Depuis le début de l’année, l’AMSME a enregistré 198 cas de viols : 26 femmes, 16 garçons, 156 filles, dont la plus jeune était âgée de trois ans. Selon le superviseur de la base de données du centre El Wafa, 21 des cas les plus récents sont des filles de moins de 18 ans.
« La situation est très inquiétante« , toujours selon cette source, pour qui il est « plus qu’urgent de mettre en place une loi criminalisant le viol des femmes. » Pour Samba Ba, de l’AMSME, « son adoption va atténuer des souffrances».
Les défis à relever
Pour sa part, l’Association des femmes chefs de famille (AFCF) a enregistré 213 cas depuis le début de l’année. Des cas enregistrés dans plusieurs villes du pays : Nouakchott, Nouadhibou, Nema, Zouerate, Aïoun. Cette organisation de défense des droits des femmes a organisé, le 23 septembre, un atelier de plaidoyer pour l’adoption de la loi, en sensibilisant des imans, des parlementaires, des journalistes, et des OSC.
Aminetou Mint Moctar, la présidente de l’AFCF estime que « les discussions avancent, il y a une très bonne attente, une appropriation de notre discours chez les nouvelles autorités mauritaniennes que j’apprécie beaucoup. C’est un moment propice pour faire le plaidoyer pour que ces crimes soient punis».
Selon plusieurs observateurs et acteurs, pour éradiquer ce phénomène, il faudra lutter efficacement contre des maux tels que : le manque de sécurité qui menace les quartiers populaires éloignés, la propagation de la drogue, l’impunité des violeurs, le manque d’une loi spécifique criminalisant le viol, les prisons surpeuplées, le confinement, le mariage des filles mineures, la médiation et la corruption pour le retrait des plaintes , autant de facteurs qui favorisent la recrudescence des viols.
Pour Djeinaba Touré, présidente de “Je m’engage”, « il faut faire en sorte en sorte que les élus se fassent leurs propres opinions sur le projet et que, comme les masses, ils sortent des “on dits”, “on a entendu”, “il parait que”, etc. » Il faut « que la législation s’harmonise avec la réalité du terrain, que son application soit rigoureuse, que le paradigme de l’éducation évolue ». Pour cette activiste, initiatrice de “Femme, voix au chapitre” et du hashtag “pasunedeplus”, il faudrait surtout « qu’on arrête de faire passer les militantes des droits féminins pour des femmes hystériques, porteuses de contre-valeurs» .
Davantage de sensibilisation communautaire
Le combat contre les violences faites aux femmes en Mauritanie est aussi mené sur les réseaux sociaux : Facebook, en particulier, à travers le mouvement MDM (Mauritaniennes du monde), créé en mars dernier par Mariem Bal. Depuis cette date, MDM, qui compte actuellement quelque 9 000 membres, mène beaucoup d’activités, notamment une pétition et des débats en direct avec des participantes éminentes, en collaboration avec RMI info.
L’objectif étant d’échanger sur cette situation chaotique, et de sensibiliser sur l’importance d’une loi protégeant les femmes et les jeunes filles.
« Nous avons fait un premier grand live en français, puis en pulaar et en hassanya« , dit Mariem Bal qui ajoute dans son témoignage : « Nous allons boucler la série avec les débats en wolof et soninké, ce samedi. Notre plateforme permet aussi de mettre en avant les actions menées par les associations, ONG et autres structures qui se battent contre les violences faites aux femmes» .
Pour relever, les défis liés à ce combat, il faut sans doute « recentrer les sensibilisations sur les communautés, renforcer l’autonomisation des victimes de viols, impliquer davantage les imams pour le changement de comportement« , recommandent Samba Ba et Siham Hamady de l’AMSME.
Traoré Awa
Source : Kassataya (France)