A l’est de ce pâté de maisons se trouvait l’imposante résidence du Commandant. C’est un bâtiment gigantesque, un palais peut-on dire, comprenant plusieurs chambres spacieuses qui communiquent les unes avec les autres.
Avec ses murs épais et solides, ses magasins, ses terrasses, ses réserves d’eau, ses guérites, sa buanderie, ses dépendances et ses lourdes portes en fer, elle a été construite pour résister au temps et probablement à un siège prolongé de la résistance.
En face de cette muraille imprenable il y avait le bureau du Résident, un solide bâtiment en dur où travaillaient généralement le Commandant, son secrétaire et l’agent spécial.
A l’extrémité nord de la cour du Commandant se dresse le gîte d’étape, une bâtisse discrète et peu connue du public.
Jusqu’à la fin des années soixante, on pouvait admirer, soigneusement rangés dans ses placards, des lits pliants, de la vaisselle, de la draperie et des matelas, toute une logistique héritée de l’administration coloniale et destinée à l’hébergement des fonctionnaires en mission.
Equipe médicale dévouée
En empruntant la petite artère bordée de gros prosopis qui relie la résidence du Commandant au centre-ville, on passe inéluctablement devant le vieux poste de santé.
Là travaillait l’une des équipes médicales les plus expérimentées et les plus dévouées que la Mauritanie ait jamais connue.
Les opérations bénignes et le suivi des malades en observation étaient du ressort de Sidi Niang, l’administration des piqûres et les petits soins revenaient à Jiddou Ould Yargueit, le suivi des grossesses et les accouchements étaient assurés par Khadaja mint Moloud, l’accueil et le tri des patients revenaient au chef du centre médical, Monsieur Mohamed Jules.
Ce dernier était un bel homme de haute taille, galant et fier, un personnage un peu autoritaire certes mais droit, consciencieux, généreux et très bon musulman.
Il s’habillait avec goût, possédait une très belle collection d’armes et était un champion du tir à la cible.
Mohamed Jules aimait passionnément les jolis parfums et les parties de chasse.
Je descendais chez lui le dimanche et les jours fériés où sa grande fille, Tfeila, et ses fils : Cheikhani, Demba et feu Ahmed Salem m’accueillaient toujours en ami et en frère.
Sa première épouse, Toutou, c’est son nom si je ne m’abuse, était une femme remarquable et généreuse dont la disparition subite avait ému tous les Mederdrois.
Son fils, Cheikhani Jules, qui est devenu plus tard avocat puis maire de Mederdra est un promotionnaire et ami d’enfance que j’ai rarement eu l’occasion de rencontrer.
Curieusement, notre première et dernière rencontre, depuis la fin de notre scolarité à l’école Folanfant, a eu lieu en 1995 à… Melun, en Ile de France.
Tous deux étions invités à assister à des festivités commémorant je ne sais plus quel anniversaire du jumelage de certaines villes du Trarza et du Brakna avec des communes de la Nouvelle ville de Sénart, en Seine et Marne.
Il était là en tant que maire de Mederdra, j’y étais en tant que membre de la délégation de Tiguent.
Juste à côté du dispensaire se trouvait la grande mosquée, un lieu de prière et de piété où l’on pouvait rencontrer à l’époque d’éminents érudits, aujourd’hui disparus : Ahmed Salem Ould Beibah (Haham), Ahmed Salem Ould Bagaa, Mohamedou Ould Alem, Mohamed Baba Ould Enneda et le reste de la respectable djemaa.
Le dispensaire faisait face à des magasins, de modestes maisons poussiéreuses recouvertes de tôles ondulées appartenant, je crois, à Mohameden Ould Ivekou, un riche homme d’affaires mederdrois.
Mohameden, je m’en souviens encore, était un bel homme, de haute taille, avec un grand visage et une barbe fournie mais toujours soigneusement taillée.
Il avait l’habitude de porter d’amples boubous de Bazin riche, des pantalons noirs de cotonnade et des chemises longues manches.
Je le voyais souvent au volant de sa « Deux Chevaux » parcourant l’artère menant à la résidence du Commandant, sous l’œil émerveillé des enfants.
Les camions d’Ehl Ivekou
Derrière ces magasins il y avait un pâté de maisons où résidait la famille d’Ehel Ejiwane : Sidina, ses sœurs et sa nièce Chreive, une amie et promotionnaire que j’ai eu l’occasion de rencontrer il y a quelques années à Nouakchott. Elle était devenue bibliothécaire.
Du côté opposé de la rue, il y avait une grande maison en dur construite, aux dires des gens, par feu Cheikh Sidati Ould Cheikh Taleb Bouya.
Elle était munie d’escaliers grossiers et de portes en bois délabrées. On l’appelait Dar Lechyakh.
J’avais l’habitude de venir y jouer à « ma maison », la marraine, ou de m’exercer, avec des amis, à griffonner des absurdités truffées de fautes d’orthographe et de fautes grammaticales, sur les rares surfaces encore vierges de ses murs délavés.
La maison de Lechyakh était aussi, j’allais l’oublier, un coin vers lequel convergeaient, en fin d’après-midi, tous les jeunes enfants de la ville.
Les gamins restaient là des heures et des heures à attendre l’arrivée des camions en provenance de Rosso.
Au volant de ces automobiles T 46, de marque Citroën, il y avait d’intrépides chauffeurs : Djibi Ndiaye, Seck, Malik, Saliou, Saad Bouh, El Id, Boy Nar, Soued Ahmed Lekreibolli, Boibih et j’en oublie.
La plupart de ces grosses voitures appartenait à une grande famille de Mederdra : Ehel Brahim Vall, principalement aux frères Mohamed Abdel Hay et Ivekou, des hommes qui ont fait fortune dans le transport terrestre*.
J’ai fait plusieurs fois la navette Mederdra-Rosso dans ces camions, gratuitement cela s’entend.
Je me souviens très bien des villages situés sur ce parcours long de soixante kilomètres : Bouzbeila, Hssey Abdou, Charatt, Lekraa Lahmar, Ehssey Evellejitt, Rach Enneye, Rach Zembotti, Rach Ehel Lemrabott, El Khoumssane et Boundreynaya.
Les camions partaient généralement le matin de bonne heure et arrivaient à Rosso entre huit et neuf heures.
Ils éprouvaient beaucoup de mal à se frayer un passage au milieu d’une végétation riche et abondante.
Cette dernière était composée, dans sa partie nord, d’acacias Sénégal (Eirwar), d’acacias raddiana (Ettalh), d’acacias nilotica (Essadra El Beidha) et de Zizuphus muratinianas (Esder).
Dans sa partie sud, les essences forestières dominantes étaient les balanités aegyptiaca (Teychott), le salvadora percica (Iverchi), le cammiphora africana (Adress), le tamarix gallica (Ettarva) et bien entendu d’immenses espaces recouverts de panicum turgidum (oum roukba).
Pas une seule fois, les défunts frères Mohamed Abdel Hay et Ivekou «Oulad » Brahim Vall n’ont exigé du pauvre élève que j’étais le payement du prix du transport.
D’ailleurs ils ne réclamaient jamais rien à personne se contentant d’empocher tout bonnement ce que les passagers scrupuleux consentaient à leur donner en contrepartie du voyage. Des âmes généreuses, le père et l’oncle de mon promotionnaire Dah Ould Brahim Vall.
J’ai rarement rencontré ce dernier qui, d’après ce que j’en sais, a fait carrière dans les banques.
Je me souviens d’un autre camionneur de Mederdra, feu Teyah Ould Ahmedou, un homme modeste et courtois, un cousin d’Ehel Brahim Vall dont le camion a pris feu, à la sortie de Rosso, juste en face du marigot de Bakh, au début des années soixante-dix.
Des commerces bien achalandés
Le centre-ville de Mederdra est traversé par une rue spacieuse et sableuse, très animée le jour, quasi déserte le soir et qui se prolongeait à l’ouest jusqu’à la fourrière.
Des deux côtés de cette rue se trouvaient les commerces : une maison basse donnant sur une grande cour intérieure où étaient disposés, pêle-mêle des articles, des produits frais et des céréales venant de la chemama, du lac Rkiz et de la campagne : sorgho, maïs, petit mil, haricot, pastèque, arachide, beurre, outres, tans, vans, peaux, cordes, etc.
C’est la boutique du vieux Yali, un mederdrois de la première heure, un homme pieux, sage et hospitalier.
Yali est le père d’un vieil ami et promotionnaire, aujourd’hui disparu, Ahmed Salem, Beichala pour les intimes, du docteur Ethmane Ould Yali, l’un des premiers médecins de la Mauritanie indépendante, de Omar Ould Yali, l’une des figures emblématiques de l’APP et de grandes filles dont j’ai oublié les noms.
Son voisin, Mohamed Sidia Ould Bah, avait une échoppe bien garnie où l’on pouvait se procurer toute sortes de marchandises y compris les meilleurs parfums de l’époque : Kiki 44, Maty Guèye, Joli soir, Nostalgie, Habanita, Dankoma et les cigarettes en vogue : Craven ״A״, Bastos, Camélia, Gauloises et Gitanes.
Elle rivalisait avec les commerces tenus par Ould Jeilani, Mohamedou Ould Hamdinou dont les fils Mohamed et El Hassène font partie de mes promotionnaires, Mohamed Abdel Hay Ould Brahim Vall, Ely Salem Ould Ely, le Chérif Bouna, le mari de Lalla mint Braika et Sidati Ould Maloum, le père d’un garçon adorable et sans histoire, Boullah.
J’ai rencontré ce dernier à Dakar en 2009, en marge des négociations mauritano-mauritaniennes ayant abouti au dénouement de la crise née du renversement du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Nous nous sommes retrouvés chez une vieille et sympathique connaissance de Mederdra, Monsieur Ahmed Bazeid Ould Bowah, un diplomate alors en poste à l’ambassade de Mauritanie au Sénégal.
Avec Boullah, que je n’avais pas revu depuis un quart de siècle, j’ai effectué le voyage retour du Sénégal jusqu’à Tiguent où nous avons passé ensemble une excellente journée parmi les siens.
A proximité de la boutique de Sidaty Ould Maloum, se trouvait un commerce tenu par le vieux El Marrakchi, un marocain qui a atterri à Mederdra au temps de l’occupation française.
El Marrakchi s’adonnait au commerce des peaux et de la gomme arabique, des produits qu’il achetait localement à vil prix et revendait avantageusement à des libanais installés au Sénégal.
Son long séjour dans l’Iguidi et ses contacts quotidiens avec la société mederdroise d’antan ne l’ont pas aidé à perdre l’accent de la région de Marrakech Tensift El Haouz ni à s’approprier quelques rudiments de l’indéchiffrable culture locale.
Nombreux étaient les malentendus qui le mettaient aux prises avec sa clientèle, constituée dans sa majorité des cousins de mon vieil ami Elim Errahal que j’ai revu par hasard, deux à trois fois depuis notre séparation, chez des amis communs.
* Ces camions appartenaient, d’après Rajala O. Meiddah, à Mohameden O. Ivekou. C’est possible, mais d’après ce que j’en sais les Ehel Brahim Vall ont fini par posséder leurs propres camions.
(A suivre)