Le régime d’exception travesti :
Dans l’ordre des idées présentées précédemment, à partir de 1990, les pouvoirs politiques en Afrique qui n’ont pas été emportés par la vague de changements fomentés par les conférences nationales ont bien compris les leçons tirées du nouveau contexte international et se sont, en conséquence, métamorphosés pour se mettre au diapason des impératifs du temps en se dotant d’institutions républicaines démocratiques et en amorçant une certaine ouverture vers l’opposition.
Ainsi coup sur coup, le Bénin, le Mali, le Burkina Faso, le Togo, le Gabon, la Gambie, le Niger, le Ghana, la Mauritanie……ont promulgué de nouvelles constitutions ouvrant, subséquemment, la voie à l’avènement de nouvelles Républiques.
Ces constitutions traitent généralement des questions de soubassement pour la démocratie : la séparation des pouvoirs, les prérogatives du Président de la République, celles du Parlement, appelé dorénavant à jouer un rôle de contrôle de l’action du gouvernement, celles de la Justice devant veiller de manière plus rigoureuse à l’application des lois.
On y trouve également comme cheville ouvrière la liberté d’expression et d’organisation, la défense des droits fondamentaux inhérents à la personne. Dans cet ordre d’idée, le 12 juillet 1991, un référendum fut organisé en Mauritanie et le 20 juillet 1991, le pays promulgue sa nouvelle constitution annonçant l’avènement de la troisième République.
Une flopée de partis politiques, jadis interdits, fut créée, inaugurant ainsi le lancement d’un cycle d’élections successives pour mettre en place les institutions nouvellement aménagées. L’élection présidentielle est organisée en janvier 1992. Les résultats obtenus confirment l’élection du Président sortant avec une large majorité de plus de 67% des voix exprimées.
S’ensuivirent les élections législatives en février de la même année permettant de mettre sur pied un système parlementaire bicaméral, gratifiant ainsi le Président élu d’une Majorité écrasante au niveau de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Les institutions mises en place n’ont pas apporté les changements tant espérés. Le Président reste le même et les pratiques n’ont guère évolué. L’espace de liberté reste confiné à l’apparition de quelques journaux proches de l’Opposition sur lesquels pèsent comme épée de Damoclès la censure du Ministère de l’Intérieur en fonction des désidératas du pouvoir en place.
Le multipartisme instauré, dans sa forme artificielle, n’empêche pas la survivance de l’esprit despotique du gouvernement de continuer à s’exprimer dans toute sa plénitude.
Les chefs des partis politiques, les leaders des organisations des droits de l’Homme, les syndicalistes sont pourchassés et emprisonnés, une véritable chasse aux sorcières est enclenchée, le droit d’expression et la liberté d’organisation pourtant consacrés par la Constitution sont bafoués, le régime s’enfonce de jour en jour dans des pratiques confirmant son essence de régime d’exception travesti.
Les élections présidentielles, législatives et municipales s’enchaînent de manière régulière, produisant les mêmes résultats que ceux obtenus au début de l’ère démocratique, et perpétuant le régime d’exception déguisé.
Parallèlement à cette situation les contestations populaires des résultats des élections gagnent du terrain, la clandestinité de l’action politique se développe, l’émergence des mouvements radicaux d’obédience islamiste devient plus perceptible dans la vie politique, l’enrichissement facile et insolent de la classe politique régnante se propage et le délaissement des forces armées et de sécurité se fait constater aisément alors qu’une crise économico-financière sans précédent frappe de plein fouet les ménages que la dévaluation de la monnaie nationale et l’absence de toute politique sociale placent dans une précarité inouïe.
Face à la nébuleuse des contradictions que vit le pays, le régime cherche son salut en adhérant à des nouvelles alliances à travers la réorientation de sa vision géopolitique et sécuritaire vers les Etats Unis d’Amérique et Israël sacrifiant l’axe traditionnel de la France et du monde arabo-musulman d’une part et une large partie de l’opinion publique nationale d’autre part.
Seule force omniprésente dans le centre du pouvoir du pays, les militaires renouent avec le vieil atavisme des coups d’Etat, unique voie aux yeux même de certains politiques pour changer le régime. Une tentative en novembre 2000 fut organisée. En dépit de son échec, ses artisans rééditent leur épopée en juin 2003 et en octobre 2004, mais le régime résistera jusqu’au 3 août 2005 où une véritable révolution de palais l’emporta.
A suivre …
Professeur El Arby Mohamedou
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Source : Kassataya (France)