Enviable gloire

Le prix de la gloire est un lourd fardeau. Entièrement assumé, il suscite un nationalisme, une renommée, une célébrité qui sont à l’honneur éternel de celui qui les porte : un défi. Il n’y a pas de place pour le laxisme, si l’on veut de cette gloire ; si l’on y croit, on la porte en soi, dans le but réel de réaliser, dans la célérité et la sérénité, les objectifs saints qu’on s’est fixés. En la présente conjoncture, il faut que le pouvoir, je veux dire l’État dans toutes ses institutions, commence, parallèlement aux procédures judiciaires consécutives aux recommandations de la CEP, par un déblayage total et radical de la grande administration actuelle : elle est, par ses complicités multiformes dans la gestion de la chose publique, aussi responsable que les auteurs premiers, exécutifs, de l’état de notre économie ruinée par la gabegie, les détournements de deniers publics, le vol, les accointances et le favoritisme.

Les racines du mal

Il ne suffit guère de vouloir mettre fin à l’impunité en engageant des procédures législatives et faire appel conséquemment au pouvoir judiciaire pour juger les protagonistes impliqués. Il FAUT que la Présidence de la République – responsable fondamental de la gestion de la chose publique – s’attache, déterminée, à suspendre, radier, écarter ou isoler, en fonction de l’échelle des responsabilités, tous les hauts fonctionnaires ayant collaboré de manière directe ou indirecte, dans la facilitation ou la corruption, aux montages financiers , administratifs, juridiques, origine évidente de la situation du pays. Sinon, les racines du mal ne disparaîtront jamais. Même si les enquêtes judiciaires d’ores et déjà engagées au crédit de notre Président – et en lesquelles le peuple a décidé de croire – se poursuivent normalement dans le respect des lois, prélude, on l’espère, de jugements crédibles et transparents. Un conditionnel d’autant plus prégnant que les hauts fonctionnaires et autres agents de l’État encore en leur poste respectif peuvent, impliqués qu’ils sont, nuire sans souci aux enquêtes et aux procédures de la justice, puisque disposant entre leurs mains de documents hautement instructifs, preuves de leur complicité, source de leur richesse illicite et aisément localisable.

Quelle est donc cette République qui veut combattre l’impunité pour des lendemains favorables au développement économique, politique et socio-culturel, sans appliquer et généraliser les principes et règles que recommande la logique de la lutte contre l’impunité ? Pour quelles raisons devrions-nous laisser nos entreprises publiques, nos administrations sensibles, nos services financiers pourvoyeurs des caisses de l’État – en un mot, nos institutions étatiques – à la merci encore d’un groupe d’individus ayant indubitablement sabordé note économie et spolié nos richesses ? Serait-ce au titre du respect des procédures judiciaires… qui peuvent durer des années ? Ou sommes-nous gênés ou perturbés par l’ampleur des effets ou dégâts collatéraux subjectifs et déraisonnables ? L’État aurait-il des difficultés, quand bien même ses caisses seraient vides, de remplacer des fonctionnaires, d’en recruter au besoin, de signer des contrats avec des consultants nationaux et internationaux, pour se séparer des rapaces insatiables ? Non évoquées, ces raisons entre autres, si elles l’étaient face à cet engrenage, n’ont pas de sens et ne peuvent justifier le maintien des malfaiteurs. Une refonte en amont et en aval de l’administration et une généralisation  de l’application de la justice est impérativement nécessaire : juger Ould Abdel Aziz, sa proche famille, ses parents ou membres proches de sa tribu et même ses acolytes connus, sans aller aux creux de la Vallée, n’épargne en rien des récidives.

La gabegie de la décennie

N’est-il pas utile de savoir, chers lecteurs, que certains hommes d’affaires encore actifs sur la place, assis dans leurs spacieux et luxueux bureaux, mêlés et impliqués, sans l’ombre d’un doute, dans la gabegie de la décennie, se frottent les mains dans le plus immérité des bonheurs. Ceux-ci se sont démesurément enrichis au préjudice de l’État et seulement de celui-ci ; un enrichissement illégal dans le cadre de certains fameux contrats et conventions bilatérales où la part qui devait revenir à l’État : droits de douane, impôts, taxes spéciales réglementaires et autres redevances plus juteuses (pénalités pour transbordements, pêche illégale en zones interdites, etc.) ; dont les partenaires étrangers furent exemptés, fut versée sous forme de commissions et corruption aux partenaires mauritaniens. Le partenaire étranger n’eut jamais le choix : verser à l’Etat mauritanien ou à l’intermédiaire l’argent qui revenait normalement à l‘autorité publique revenait au même pour l’entreprise étrangère : produire en paix et dans la sécurité qui lui était assurée. C’est d’ailleurs le sens du contenu de la déclaration, peu conforme à la déontologie diplomatique, de son Excellence l’ambassadeur de la République Populaire de Chine en Mauritanie, au demeurant amie intime de notre pays, interpellant l’attention de nos hautes autorités sur les « intérêts intouchables » de son pays, par une espèce de chantage, dirai-je, alors que la CEP n’avait pas encore achevé son rapport. La Chine a raison : l’argent de notre pays est allé dans d’autres poches ici, avant de se retrouver ailleurs placé. Pas seulement la Chine : d’autres pays aussi sont tout autant concernés par cet état de fait. Tous, y compris la Chine, doivent collaborer avec nos juridictions pour permettre à notre pays de recouvrer ses biens, afin que celui-ci  survive à ces pandémies – Covid19 et désastre causé par nos « frères » et « amis » – et de faire face à nos créanciers… dont la Chine elle-même.

En attendant, fasse Dieu que notre Président et ses collaborateurs francs et instruits prennent conscience et acte de ce que le pays regorge de cadres honnêtes, hommes intègres de bonne foi,  diplômés au chômage et, aussi et surtout, hommes d’affaires de haut niveau, compétents, prêts à collaborer tous, à tous les niveaux, y compris celui de leur détriment, pour l’édification d’une Mauritanie d’avenir. Encore faut-il ne jamais oublier que les dupeurs guettent toujours le pouvoir et que la gloire n’est pas réductible…

Senny Ould Khyar

Conseiller des affaires étrangères à la retraite