Abeid parle de l’enfer des esclaves en Mauritanie

Abeid parle de l’enfer des esclaves en Mauritanie Abolitionniste, Biram Dah Abeid (55 ans) milite depuis son jeune âge pour la disparition de l’esclavage en Mauritanie. Il est présentement en Belgique où il se soigne dans un hôpital bruxel-lois. Dans une interview accordée au quotidien belge « La Libre Belgique » (1), il dénonce l’esclavage qui sévit encore dans ce pays d’Afrique, malgré son abolition officielle en 1980.Président du mouvement IRA (Initiative de résurgence du mouve-ment abolitionniste), le parlementaire Biram Dah Abeid (2) se bat depuis des années afin que cesse l’esclavage dans la République is-lamique du Nord-Ouest de l’Afrique. Il dit toujours qu’il le doit à son père dont la première épouse fut une esclave. Il perdra son épouse et ses deux enfants, qui ont été vendus.

Prix des Nations unies pour la cause des Droits de l’homme, Abeid a connu plusieurs fois la prison, ce qui n’est pas sans impact sur sa santé. Cet homme atypique classé deuxième lors des dernières élections présidentielles, avec un score de moins de 20 %, est une menace pour le système en place. Il dérange plus d’un par son en-gagement et son combat.

Connu pour son courage et la solidité de ses convictions, il provoque par ses attaques frontales contre l’institution actuelle, ce qui lui vaut le qualificatif de « noyau dur » de l’anti-esclavagisme en Mauritanie.

Comme il est actuellement en train de se soigner en Belgique, la presse en profite pour l’interviewer. La première question que le journaliste lui posera concernera justement sa santé, affaiblie par ses nombreux passages en prison. « Je continue de me soigner à la clinique Saint Jean de Bruxelles.

Mon corps subit encore les effets des différents emprisonnements. Les conditions d’hygiène étaient inexistantes, l’accès au soin était difficile. Je suis très fatigué, mais aussi très content d’être ici. La cause des droits de l’homme, c’est mon cheval de bataille. »

À la question concernant la situation en Mauritanie depuis l’élection du président Mohamed Ould el-Ghazouani en juin 2019, il affirme qu’en ce qui concerne l’esclavage, elle a empiré. « Depuis l’avènement du président, les juges éconduisent systématiquement les victimes.

Ils les remettent à leurs maîtres, dans l’enfer qu’elles ont fui. Je prends l’exemple de Ghaya Maiga, une fille âgée de 14 ans. Le juge d’instruction a purement et simplement remis la fillette à ses bourreaux. Ils ont utilisé son exemple pour menacer les autres esclaves avec un mot d’ordre : si vous fuyez vers l’IRA ou la justice, vous subirez le même sort ! »

La discrimination raciale s’est aussi aggravée, dit-il. « Avant, l’État prenait le soin de « colorer » les différents corps de l’État en recru-tant 1%, 2% ou 3% de ses membres parmi les communautés noires. Sous Ould el-Ghazouani, les recrutements dans les différents corps de l’État sont systématiquement monocolores ».

« Les esclaves peuvent être vendus, gagés, cédés »

Concernant sa rencontre avec le président Mohamed Ould el-Ghazouani, rien de concret n’en serait sorti. Selon lui, le chef de l’État n’a pas respecté toutes les promesses qu’il a faites. Parmi celles-ci, la reconnaissance de son mouvement, qui est toujours in-terdit.

Il n’aurait pas non plus levé les poursuites judiciaires contre les exilés politiques de son prédécesseur. Bref, Mohamed Ould el-Ghazouani a poursuivi « la même ligne de conduite faite de racisme et d’exclusion ».

Il estime qu’il faut que le pouvoir change ses positions et s’oriente vers les droits de l’Homme. « Pour changer les choses, il faut d’-abord changer les orientations du pouvoir, qu’il se détourne de la violation des droits de l’homme, de la gabegie que représente la corruption, de la gestion raciste et ethniciste de l’État. ». Il faut aussi réparer les victimes.

C’est à ce moment qu’il pourra savoir s’il acceptera ou non un poste de ministre, dit-il en réponse à la question du journaliste belge.

Le militant n’hésite pas à qualifier la Mauritanie « d’apartheid non écrit ». « Un système basé sur une discrimination raciale qui s’ap-parente beaucoup au système d’apartheid sud-africain. Les Hara-tines (NDLR) les habitants noirs du Sahara) sont toujours en bas de l’échelle. »

Selon The Global Slavery Index, 1 % de la population maurita-nienne est touchée par l’esclavage. Abeid n’est pas d’accord avec ce chiffre. Son mouvement évoque plutôt un pourcentage de 20 %. Il estime que ceux qui avancent le chiffre de 1% sont des gens étrangers à la société mauritanienne, mais les descendants d’esclaves et ceux qui côtoient cet esclavage comme lui pensent qu’environ 20% des Mauritaniens sont des esclaves par ascendance, par la naissance.

« Des hommes, des femmes naissant comme la propriété d’autres personnes. Ils peuvent être vendus, gagés, cédés, loués, ils travaillent sans repos, sans salaire, sont violés. Personne n’est épargné aussi bien les femmes, les fillettes… Dans une impunité totale. L’esclave se transmet par la ligne de la mère. Toute femme qui est esclave voit sa progéniture naître esclave. »

Il y a 40 ans, l’esclavage est aboli en Mauritanie. Mais Biram Dah Abeid indique que tous les textes ne l’ont pas proscrit. « Il y a aussi une loi suprême qui est la charia islamique et qui n’est, ni plus ni moins, qu’un Code noir toujours valorisé dans la Constitution mauritanienne ». Il ajoute que dans les écoles pour former les ma-gistrats, les imams, les officiers de police, ces textes sont enseignés. « Les lois onusiennes et modernes ne sont pas appliquées en cas de conflit avec la loi sacrée.

Il y a des lois destinées à l’international, citées par les partenaires de la Mauritanie (l’Union européenne, la France, l’Espagne…) pour justifier de nous fréquenter bien que la Mauritanie viole de manière très grave les principes sur lesquels sont fondés les systèmes européens et onusiens. »

Mais il ne perd pas espoir

Interrogé à propos de l’accusation d’un quotidien sénégalais, en novembre 2019, selon lequel il aurait volé des munitions à l’armée du Sénégal, il affirme qu’il s’agit d’une « cabale de diabolisation ». Orchestrée dans la presse sénégalaise, cette campagne de dénigre-ment serait reprise par certains quotidiens mauritaniens.

« Cette rumeur, affirme-t-il, ne vient pas du pouvoir mauritanien ni du pouvoir sénégalais, mais de groupuscules tapis dans l’ombre du pouvoir de mon pays et de l’opposition mauritanienne sectaire qui veulent nuire à notre mouvement ».

En ce qui a trait à l’alliance passée durant les élections de 2018 avec le parti Sawab (formation nationaliste d’obédience baasiste), il explique que c’est la seule organisation politique qui ait accepté son combat vu que sa propre formation politique est interdite et qu’il faut selon la loi électorale être membre d’un parti pour se porter candidat pour les législatives.

Quant aux partis « esclavagistes et réactionnaires », ils lui auraient fermé la porte. Quant aux autorités, elles auraient eu peur de cette alliance en raison de la force populaire du mouvement IRA. « Les autorités m’ont arrêté à la veille des élections législatives pour m’empêcher de faire cam-pagne. », dit-il. Il raconte que du fond de sa prison il a quand même été élu. Quelques mois après, il s’est présenté aux élections présidentielles. « J’ai fini premier, mais un coup d’État m’a placé deuxième. »

Pourtant, il ne perd pas espoir pour les élections prévues dans 4 ans « 2024 sera notre année. Ce sera le sacre des mouvements aboli-tionnistes. Nous sommes majoritaires dans la population qui place ses espoirs en nous ». D’où cette inébranlable confiance ? « Vous savez, confie-t-il, mon père est né libre, mais ma grand-mère est restée esclave jusqu’à sa mort.

Le premier mariage de mon père avec une fille esclave s’est terminé de manière triste, car son épouse et ses deux enfants ont été vendus. Lorsqu’il s’est marié avec sa deuxième épouse qui était libre (ma mère), il a décidé de me scolariser, j’étais le premier à aller à l’école dans une famille de 12 enfants.

Il m’a confié la mission de me battre contre l’esclavage et je lui en ai fait la promesse (de continuer le combat). Mon père me donne cette force, cette fierté d’aller de l’avant. Sans concessions, sans compromissions. Je pense à lui, je suis fier de lui et fier de moi. »

Huguette Hérard

N.D.L.R.

1) Interview accordée à Jacques Besnard et publiée dans « La Libre Belgique », 8 août 2020.

2) Les grands-parents de Biram Dah Abeid étaient esclaves. En 1979, le garçon entre au lycée de Rosso, dans le Trarza. À 19 ans, il a fondé le Mouvement national africain contre les castes, la discrimination et l’esclavage. À 28 ans, il se présente pour la première fois à une élection de district. Il a obtenu une maîtrise en histoire et a suivi une formation d’avocat en Mauritanie et au Sénégal

 

 

 

Source : Le National (Haïti)