“La vision est l’art de voir les choses invisibles.” Jonathan Swift
Dans la vie d’une nation les personnes passent, les institutions restent. Seules ces dernières sont pérennes et survivent aux êtres. Et quelle que soit la valeur de l’homme ou de la femme qui occuperait une fonction gouvernementale, ou de décision à quelque niveau que ce soit dans l’appareil d’Etat en Mauritanie, elle se trouvera aussitôt réduite à néant pour la simple raison, qu’elle ne trouvera pas le cadre d’action qui lui permettra d’agir.Ce qui manque ce ne sont pas les compétences, mais ce plus qui fait que les compétences puissent agir, progresser, atteindre des objectifs, engranger des résultats, mesurer les réalisations aux objectifs et ajuster les moyens.
En somme, un Etat boostant l’effort pertinent et de concert avec ses compétences pour atteindre l’efficience et l’efficacité dans l’emploi de ses ressources matérielles et financières, mises en œuvre par des ressources humaines déployant leur savoir et leur savoir-faire au service du développement.
Les compétences ne déploient leurs capacités optimales que dans un environnement où leur savoir-être (l’honnêteté, la loyauté, la sincérité, la confiance, le respect) qui façonne leur conscience professionnelle s’allie à leur savoir et leur savoir-faire dans une combinaison de l’effort condition « sine qua non » et moteur du développement du pays.
Il faudrait, pour qu’il y ait synergie de développement et une osmose d’actions constructives, que les compétences ne naviguent pas, dans leur environnement institutionnel, à vue.
Les compétences ont besoin d’ajuster leur sextant sur des repères tangibles afin qu’elles suivent la bonne direction et atteindre les objectifs à l’image exacte des navigateurs, utilisant cet instrument de navigation (le sextant) pour déterminer leur position par rapport à la hauteur angulaire d’un astre au-dessus de l’horizon (exemple le soleil).
Tout développement a besoin de repères, qui sont autant de sextants qui permettent aux concepteurs et exécutants, de déterminer dans leur horizons, politique, économique et social la bonne direction. Celle de la bonne gouvernance.
Une bonne gouvernance, dont les résultats tangibles, mesurables, seront la présomption irréfragable du « bien-faire », du chemin vers le développement économique et social, en somme, le bien-être des nations.
La bonne gouvernance dans toute ses dimensions, ne peut être réalisée, soutenue et mise au concret par les compétences que si ces dernières ajustent leur sextant sur un horizon de développement permettant de déterminer leur position exacte par rapport à la vision définie par le politique (ici le chef de l’Etat), et d’ajuster ses déclinaisons (ses changements) à travers un plan de développement économique et social dont ils tirent leurs plans stratégiques et leurs plans d’action les menant à bon port.
La vision, la stratégie et la planification, sont les repères des compétences en action. C’est dans ces repères, et nulle part ailleurs, que leur savoir, leur savoir-faire et le catalyseur de ces derniers, leur savoir-être, se mettent au service du développement.
La nécessaire Vision
C’est certainement un défi pour tous nos politiques, juristes, économiques, financiers et tout autre adepte de quelque discipline qu’elle soit des sciences humaines aux science exactes, de dire qu’elle est la vision de développement de la Mauritanie.
Vers quel développement allons-nous ? A quel type de développement économique et social aspirons-nous ? Quelles options avons-nous fixé pour gérer l’évolution économique et sociale de notre pays face aux défis de l’économie monde ? Quels jalons allons-nous poser pour nous hisser au niveau industriel et de maitrise des technologies ?
Quels impacts nos processus décisionnels, sur l’éducation, la formation et la recherche auront à moyen et long terme sur nos capacités de création, d’innovation à forte valeur ajoutée, pour l’essor économique et social du pays ?
Pour quelles intégrations optimales, culturelles, sociales, linguistiques et communautaires œuvrons-nous ?
Quelles projections réalistes, ajustées aux risques potentiels, avons-nous de l’épuisement de nos ressources naturelles permettant, d’investir, dès à présent, dans le domaine porteur du futur (sciences, technologie set industries) offrant des ressources pérennes pour les générations futures ?
Qu’avons-nous à revoir, à repenser à reconceptualiser, dans notre façon de réfléchir, de penser, de concevoir le monde d’aujourd’hui pour nous préparer pour demain ? Quels efforts dans notre marche vers le développement, devons-nous faire dans tous les secteurs pour qu’à chaque décroissance de nos ressources naturelles corresponde une croissance industrielle indépendante du sol (laminé et épuisé) et porteuse d’enrichissement manufacturier, de transformation ou d’immatériel ?
Quelle industrie de la connaissance, de la culture, du savoir, du savoir-faire génératrice de croissance par la valeur ajoutée à l’économie nationale et au bien-être des populations devons privilégier ?
Quel avenir pour notre environnement, face au déclin des industries extractives ? Quelles projections professionnelles, quels métiers de substitution à ceux qui vont disparaitre ?
La vision est celle qui va guider et fédérer tout l’élan d’un pays, à travers ses forces créatrices, ses forces inventives et ses forces productives autour d’une esquisse d’un avenir commun, d’une représentation politique engagée qui pilote avec assurance et clairvoyance les étapes de la vie d’une nation.
Une telle vision, claire, partagée rationnelle attrayante pour tout un peuple, associé à sa réalisation, créant le sentiment d’engagement qui fait de l’impossible, le possible.
Cette vision-là n’existe pas aujourd’hui. Il n’existe que des programmes politiques qui tous se ressemblent et sur lesquels des élus interchangeables s’engagent, le temps d’une campagne électorale.
La vision est celle du visionnaire, celui qui y croit, qui la traduit en discours charismatique, et qui par-dessus tout y met l’espoir possible face aux défis de l’incertain. Il y voit un chemin qui mène vers un but traduit en modèle de développement, viable, accepté, compris et partagé.
La vision confisquée
Nos pays ne sont pas maitres de leur développement, ni de leur modèle de développement. Ils sont tous rangés dans un canevas de développement qui leur échappe et lorsque la volonté est absente, il n’y a point de libre-arbitre, or le libre arbitre est l’essence même de toute vision.
Quant à nos compétences, sans une vision dynamique nationale, édictée en toute liberté par le dirigeant, ils sont prisonniers du canevas de développement imposé. Ce sont des exécutants passifs d’un modèle qu’ils ignorent ou n’y adhèrent pas forcément.
Parmi les instruments qui confisquent la vision de développement des pays et leur capacité à déterminer leur propre voie vers le progrès, il y a ce « corset » d’engagements, de programmes et de conventions dans lequel les puissances financières internationales les enserrent et les mettent à genoux. En Mauritanie, la SCAPP en est un exemple.
Ainsi depuis que la Mauritanie s’est engagée dans la « Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP) », la vision nationale de tout développement autre que celui qui correspondrait à la vision du Fonds monétaire international est inexistante, traduite formellement en l’approbation de la SCAPP par le conseil des ministres et par le Parlement.
La vision de développement, s’est réduite à une justification périodique par le gouvernement mauritanien de l’exécution de la SCAPP pour bénéficier des financements concessionnels du FMI à la Mauritanie dans le cadre des facilités de crédit…
En effet, ces dernières années le gouvernement transmet au FMI un document dit Document de développement économique (DDE) qui donne un aperçu de l’exécution de la Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP) et dans lequel il étale ses « réalisations » afin de bénéficier des financements concessionnels mentionnés.
Cette Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP) qui s’étalera jusqu’en 2030, a bouché tout horizon de développement du pays qui serait basé sur la nécessaire vision nationale moteur de sa destinée.
En effet outre qu’elle défie tout entendement par son objet irréaliste (« croissance accélérée ») et son objectif surréaliste (« Prospérité Partagée »), cette stratégie a mis la Mauritanie dans une dépendance qui annihile toute volonté de choisir d’autres voies de développement ou de décider de son modèle de développement.
L’on aurait pu certes, penser que La SCAPP, serait une véritable stratégie de développement et qu’elle promeut la croissance et la prospérité, or il n’en est rien. Car auto-administrée et exécutée hors de toute vision nationale de développement, elle est l’instrument de technocrates (entre ministère des finances et fonctionnaires du FMI) totalement détachée des réalités du pays.
Pour preuve voici un extrait du document de développement économique (DDE) transmis par le ministre de l’économie et des finances et le Gouverneur de la Banque centrale en mai 2018, au FMI et présentant les pseudo- « réalisations » de la SCAPP (2001-2015), alors que le pays vit la misère et le dénuement :
« L’évaluation du CSLP (2001-2015) a fait ressortir des acquis majeurs (..) le taux de pauvreté a enregistré une diminution continue sur la période (51%en 2001, 46,70 % en 2004, 42% en 2008 et 31 % en 2014). Cette réduction, accélérée entre 2008 et 2014, a été accompagnée pour la première fois par la baisse du nombre absolu de pauvres qui est passé de 1,4 millions à moins de 1,1 millions et ce malgré l’évolution démographique.
De plus, d’importants investissements ont été réalisés dans le domaine des infrastructures sanitaires (construction, réhabilitation et équipement d’hôpitaux, création d’écoles de santé), en particulier au cours des cinq dernières années, ce qui a permis d’enregistrer des succès au niveau de la lutte contre la maladie, (VIH/SIDA, épidémies, tuberculose et paludisme).
Pour ce qui est de l’éducation, des progrès sensibles ont été enregistrés en matière d’accès, à la faveur de la mise en œuvre de programmes importants de construction et d’extension d’écoles et de collèges de proximité. Concomitamment, l’enseignement technique et professionnel a fait l’objet d’un effort particulier qui a permis de tripler ses capacités d’accueil. De même, des efforts importants ont été fournis pour améliorer la qualité de l’enseignement.
L’enseignement supérieur quant à lui, a connu la mise en place de nouveaux établissements universitaires et d’écoles spécialisées, ce qui a permis une meilleure professionnalisation et un doublement de ses effectifs. (..)
Sur le plan de la gouvernance, plusieurs réformes constitutionnelles ont été mises en œuvre suite à des concertations entre les divers acteurs et qui ont conduit à un changement profond du paysage institutionnel.
Au niveau des finances publiques, des réformes ont été mises en œuvre et ont permis une amélioration substantielle du rendement de l’administration fiscale et la rationalisation de la gestion des dépenses publiques. De même, une stratégie de lutte contre la corruption a été adoptée et sa mise en œuvre a permis, notamment un changement des mentalités vis-à-vis des deniers publics. »
Aujourd’hui, où la SCAPP s’exécute encore alors que l’on sait que son évaluation est erronée et que ceux qui l’on faite n’étaient pas digne de confiance, comment continuer à laisser une stratégie de développement se dérouler hors de toute vision nationale, de toute maitrise de son déroulement et de ses résultats et surtout d’accepter qu’elle soit déconnectée des réalités du pays ?
Cette SCAPP à laquelle on avait déjà consacré un article, il y a cinq ans et qui n’était pas en fait une « Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP) » mais plutôt une « Stratégie de Concussion accélérée et de Pillage public (SCAPP) » ? Et les faits nous ont donné raison. (voir notre article ici https://haut-et-fort.blogspot.com/2016/05/strategie-de-croissance-acceleree-et-de.html )
Et l’on avait déjà raison à l’époque car, aujourd’hui et suite au rapport de la commission d’enquête parlementaire, ceux-là même qui « géraient » la SCAPP et qui présentaient ses supposées réalisations font l’objet de présomption de corruption et de détournement de biens publics, et sont traduit en justice.
La leçon primordiale à tirer de cela c’est que sans vision de développement à la tête de l’Etat mauritanien, initiée par le détenteur du pouvoir et traçant un modèle national lié à une approche participative sur les voies et moyen du développement du pays, il n’y aura pas de progrès.
Et que même s’il doit y avoir une SCAPP, il faut qu’elle tire son essence de la vision nationale qui guide l’alpha et l’Omega du développement du pays et non pas de l’influence du FMI, et autres institutions, ou du vouloir d’obtenir des financements concessionnels ou des facilités de crédits.
Sans vision, il n’y a pas de gouvernance. Et sans vision clairvoyante, il n’y a pas de bonne gouvernance.
Sans bonne gouvernance, les compétences ne seront que le reflet de ce qu’est l’Etat. Elles auront, depuis longtemps, ajusté leur sextant sur un horizon de développement erroné (imposé par les institutions financières internationales) déterminant ainsi leur position dans la gabegie car ils n’ont pu prendre comme repère une vision définie par le politique (ici le chef de l’Etat), traduite en plan de développement économique et social, propre au pays, dont ils tirent leurs plans stratégique et leurs plans d’action.
C’est ainsi que le savoir, le savoir-faire et le savoir-être sans vision, ne servent qu’une compétence aveugle. Une vision confisquée.
Pr ELY Mustapha
Source : Pr ELY Mustapha