Mauritanie, « les chiffres diffusés sur l’esclavage sont loin de refléter la réalité », selon Me Bouhoubeyni

Mauritanie, Le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, Me Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni, est l’une des personnalités les plus éminentes qui s’intéressent à la promotion des droits de l’homme dans le monde, en Afrique et, en particulier, dans son pays, la Mauritanie.

Me Bouhoubeyni est un ancien bâtonnier de l’ordre national des avocats mauritaniens et un ancien président de la Conférence internationale des barreaux des traditions juridiques communes. Il est réputé pour son combat énergique en faveur des libertés et pour sa lutte ininterrompue contre l’impunité.

En plus de tout cela, il est connu pour être l’un des plus célèbres demandeurs d’enquêtes sur les violations des droits de l’homme et l’un des infatigables défenseurs des libertés publiques.

Il s’est déjà fait décerner des distinctions internationales à plusieurs reprises et, récemment, l’ambassadeur d’Espagne en Mauritanie, SEM Jesús Ignacio Santos Aguado, lui a remis la médaille d’honneur de l’Ordre des avocats de Madrid. En plus, le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) de Mauritanie a reçu, il n’y a pas longtemps, une délégation de l’Agence espagnole des droits de l’homme(Ombudsman).

La Tribune de Madrid l’a rencontré durant son séjour en Espagne et eu avec lui l’entretien qui suit :

Question : Un article controversé est paru récemment sur le site Europe Press, relatant une histoire choquante concernant les pratiques d’esclavage en Mauritanie. Dans cet article, l’auteur, Antonio Sola, a déclaré que l’ancien candidat à la présidence de la Mauritanie, Biram Dah Abeidi, lui avait fait part de l’histoire du mariage d’un jeune homme de sa mère dont il est le fils du maître. Ce jeune homme a fait des enfants avec elle, en considérant qu’elle est sa propre propriété parce qu’elle est esclave de son père. C’est une image choquante de l’esclavage, elle s’ajoute à des chiffres stupéfiants de cas d’esclavage dont parlent les militants des droits de l’homme dans votre pays. Pouvez-vous donner à l’opinion publique espagnole et européenne votre perception de la situation des droits de l’homme en Mauritanie, en particulier en ce qui concerne le problème de l’esclavage?

Réponse : Il ne fait aucun doute que le problème de l’esclavage en Mauritanie fait l’objet de la propagation de nombreuses histoires et commentaires qui ont fait croire à certains journalistes et politiciens occidentaux que la Mauritanie est une jungle où sont exercées les pratiques les plus ignobles de barbarie.

Personnellement, j’ai déclaré devant les missions diplomatiques de l’Union européenne et des États-Unis d’Amérique, le 10 décembre dernier, qu’il était temps que l’Occident rectifie la vision qu’il a de l’esclavage en Mauritanie. La Mauritanie n’est pas le plus grand pays au monde où s’exerce l’esclavage ; elle ne renferme pas de marchés pour la traite des esclaves ; il n’y a pas d’esclaves enchainés ; et il n’y a pas 20% d’esclaves, comme c’est publié sur Internet !

C’est une supercherie qui ne sert ni la vérité, ni l l’esclavage et que nous cherchons à surmonter par de nombreux mécanismes, méthodes et procédures. En tout état de cause, je puis vous affirmer, comme je l’ai souligné à maintes reprises, qu’en Mauritanie, il y a des cas d’esclavage que le pays a hérités, comme le reste du monde, des siècles passés, lorsque ce phénomène était une affaire banale.

Par conséquent, les gouvernements mauritaniens ont décidé de créer des tribunaux pour barrer le chemin devant la pratique de l’esclavage et prononcer des jugements pour juguler ce phénomène. Ils ont également convenu avec les Nations Unies sur une feuille de route pour combattre les séquelles de l’esclavage et ont autorisé des organisations dont une au nom de « SOS Esclaves », ce qui signifie la reconnaissance de l’existence du phénomène et qui exprime une détermination à y faire face. Mais, en réalité, l’existence de l’esclavage en Mauritanie est exactement à l’image de son existence dans le reste du monde, pas plus, ni moins.

L’existence de ce phénomène dans le monde à travers l’Histoire fait que dans chaque pays, il y a des séquelles, des résidus, de la pauvreté, de l’ignorance, de la vulnérabilité des personnes asservies et de l’exploitation. Aujourd’hui, selon des statistiques fiables, il y a environ 40 millions d’esclaves dans le monde, y compris dans les pays occidentaux. Parmi les pays où ce phénomène existe, il y en a qui l’appellent ‘’esclavage moderne’’, il en a qui l’appellent ‘’séquelles de l’esclavage’’, il y en a qui l’appellent ‘’traite des esclaves’’, il y en qui l’appellent ‘’exploitation humaine’’, il y en a qui l’appellent ‘’traite des personnes’’ et il y a très peu de pays où il n’y a pas de cas d’esclavage classique.

Développer de la propagande centrée sur les exagérations de cas l’esclavage en Mauritanie ne sert pas la lutte contre l’esclavage dans le pays. Ce qui sert la lutte contre l’esclavage, c’est la contribution des militants mauritaniens des droits de l’homme à la mise en œuvre de l’approche adoptée par la Commission Nationale des Droits de l’Homme, qui est entérinée par l’État, ce qui sert la lutte contre l’esclavage, c’est que ces militants-là deviennent de véritables partenaires dans les plans visant l’élimination de l’asservissement, ce n’est pas la dramatisation à outrance du phénomène et son exagération qui serviront cette cause qui gagnerait à être traitée à partir de sa réalité et de sa vraie dimension.

Concernant les pays amis de la Mauritanie, ils peuvent servir la lutte contre l’esclavage en soutenant les efforts nationaux fournis par le pays, les mesures juridiques qu’il prend pour triompher de ce phénomène et les actions de développement visant à en traiter les cas existants en renforçant les services de base de l’éducation, de la santé, du logement et de l’emploi au bénéfice des citoyens les plus vulnérables.

La Mauritanie dispose d’un arsenal juridique complet que les plus grands défenseurs des droits humains, même les opposants parmi eux, ont considéré comme exemplaire. Les textes existent, donc et il ne reste qu’un effort commun pour les mettre en application. C’est pourquoi, à la Commission Nationale des Droits de l’Homme, nous avons organisé une caravane qui a parcouru toute la Mauritanie, de long en large, afin de sensibiliser les gens sur leurs droits et d’accréditer auprès de tous l’idée que l’esclavage est un crime contre l’humanité.

Question : Que dites-vous de ce qu’affirment les organisations des droits de l’homme, à savoir que les autorités ignorent leurs revendications?

Réponse : En vérité, je suis d’accord avec les organisations de défense des droits de l’homme sur l’existence de cas isolés d’esclavage, je suis d’accord avec elles sur l’existence de dossiers qui n’ont pas été traités de manière suffisamment rigoureuse, je suis d’accord avec elles lorsqu’elles disent que certaines autorités judiciaires et administratives n’ont pas traité la question de l’esclavage et les plaintes qui y sont liées comme il se doit, mais je ne suis pas d’accord avec ces organisations sur l’image qu’elles ont cultivée dans l’esprit des cercles occidentaux sur l’ampleur et la nature du phénomène de l’esclavage en Mauritanie, c’est une image dévoyée qui est sans commune mesure avec la réalité, c’est une image basée sur l’exagération.

Ici, à travers votre honorable journal, j’appelle l’Occident, gouvernements, médias et organisations, à rectifier les idées inexactes développées auprès d’eux sur le dossier de l’esclavage en Mauritanie. Je les convie, une fois de plus, à visiter le pays afin de prendre connaissance directement des réalités sur le terrain, du système juridique, de la manière dont le problème est traité aux plans judiciaire, social et développemental et de découvrir, d’eux-mêmes et sans intermédiaires, tous les défauts et lacunes que nous pouvons avoir dans ce domaine.

Et, comme tout le monde insiste pour clore le dossier de l’esclavage une fois pour toutes, nous avons décidé, au niveau de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, d’organiser une deuxième caravane à laquelle nous invitons, de nouveau, les organisations mauritaniennes, les représentants de la communauté internationale en Mauritanie, les médias occidentaux et les organisations intéressées pour qu’elles y participent et en sortent avec des conclusions obtenues à partir des réalités telles qu’elles se présentent sur les terrain.

Question : A qui, au plan local, votre commission s’adresse-t-elle dans son approche pour éradiquer le phénomène de l’esclavage?

Réponse : Nous adressons continuellement des messages à trois parties:

– Ceux qui sont présumés exercer l’esclavage. Nous leur parlons avec beaucoup de fermeté, en leur disant que nous les poursuivrons jusqu’à ce qu’ils soient jugés et condamnés s’il arrive à être prouvé qu’ils sont impliqués dans un cas d’esclavage.

– Ceux qui sont soumis à tout type d’esclavage. Nous leur disons que nous leur ouvrons la porte et leur garantissons la protection pour déposer une plainte contre ceux qui les exploitent,

– Aux autorités et responsables administratifs. Nous leur disons qu’ils doivent traiter avec rigueur tout problème lié à l’esclavage en termes d’enquête, de protection des témoins et nous les mettons en garde contre les pressions.

Question: Quelle est votre approche de travail sur le dossier de l’esclavage en Mauritanie ?

Réponse: Nous avons remarqué au sein de la Commission Nationale des Droits de l’Homme que le gouvernement et les organisations de défense des droits de l’homme se retrouvent depuis un certain temps dans un cercle vicieux, axé sur des accusations mutuelles. Ainsi, chaque fois que l’État mène une enquête qui révèle l’inexactitude des cas d’esclavage soulevés par certaines organisations de défense des droits de l’homme, celles-ci reviennent à la charge en accusant l’administration et le pouvoir judiciaire de complicité et disent que ces milieux entourent les dossiers d’opacité. Et à ce niveau-là, l’Etat accuse les organisations de créer des cas d’esclaves de toutes pièces pour servir leurs propres agendas.

La Commission Nationale des Droits de l’Homme a développé une formule pour nous sortir de ce cercle vicieux.

Question : Comment la commission a-t-elle travaillé pour surmonter ces tiraillements et dans quelle mesure la méthode que vous adoptez est-elle crédible?

Réponse : A la Commission Nationale des Droits de l’Homme, nous avons adopté une approche spécifique qui repose sur le déplacement sur les lieux pour identifier les cas présumés d’esclavage. Là, nous menons notre propre enquête pour obtenir des informations que nous glanons auprès de sources neutres, sans nous fier, ni au point de vue du gouvernement ni à celui des organisations de défense des droits de l’homme.

Afin de se soustraire aux accusations qui pourraient être portées par certains à notre endroit en tant qu’institution publique, nous avons pris l’option de ne plus traiter les cas, à nous seuls. Ainsi, nous invitons désormais le Bureau, en Mauritanie, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, l’organisation Save the children, et les ONG nationales à participer avec nous à nos investigations et à nos caravanes.

L’expérience de l’implication de ces organisations a indéniablement donné beaucoup de crédibilité à l’évaluation des situations soulevées.

Par conséquent, le gouvernement n’est plus en mesure de couvrir les cas d’esclavage, comme l’en accusent les organisations de défense des droits de l’homme et ces dernières ne sont plus en mesure de créer de toutes pièces des cas d’esclavage pour servir leurs propres agendas, comme l’autre partie le prétend. C’est ce mécanisme, que nous avons appliqué pour le dernier cas soulevé dans la région du Guidimagha et c’est cette méthode que nous appliquerons à l’avenir.

Ici, nous vous invitons, comme nous invitons toutes les organisations espagnoles et européennes à travailler dans ce contexte avec nous et à nous accompagner dans notre deuxième caravane de sensibilisation.

Question : Quelle est votre vision sur le présent et les perspectives de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie?

Réponse : Nous sommes convaincus de la nécessité de poursuivre et accroître les efforts d’éveil et de sensibilisation, de se saisir de chaque cas qui se présente, dans le même esprit de travail d’équipe que nous avons mentionné plus haut. Nous renouvelons ici l’invitation aux organisations nationales et internationales pour qu’elles se joignent à nous dans ce travail. Nous disposons d’un arsenal juridique complet, de tribunaux spéciaux dédiés à la lutte contre l’esclavage et ce qui nous manque, c’est une application plus rigoureuse des textes.

Nous sommes déterminés à tourner définitivement la page de l’esclavage en Mauritanie et nous sommes convaincus que cela ne se fera pas sans l’implication pleine et entière de tout le monde dans cette entreprise.

Source : Correo Madrid (Espagne)