La censure de la presse se généralise en Afrique


Dans de nombreux pays d’Afrique comme ailleurs, la tentation est grande pour les États de profiter de la crise du coronavirus pour accentuer leur contrôle sur l’information. « État de guerre ! », « Plan d’urgence ! », « Unité ! », « Raison d’État ! »…

Une enquête de Frédéric Mantelin parue sur « Mots d’Afrique », les Blogs du monde diplomatique. Le virus de la censure et du musellement des médias se propage en Afrique.

Les officiels martèlent l’idée qu’en ces heures graves, la critique est irresponsable, inacceptable, voire répréhensible. En temps normal, déjà, la plupart des dirigeants voient d’un assez mauvais œil une indépendance trop grande des journalistes, tous médias confondus (presse écrite, audiovisuel, radio ou Internet) .

Or, c’est bien dans une telle crise que le rôle des médias s’impose comme essentiel. À la fois pour étudier l’avancée de la pandémie, avertir les populations, mais aussi pour relayer, suivre et évaluer les décisions des gouvernements. Devant l’urgence, vérité, transparence et indépendance sont plus que jamais la règle pour que chaque citoyen puisse savoir et juger en conscience et donc, s’il le faut, critiquer. Indépendance et, s’il le faut, impertinence des médias.

Arrestations de journalistes, blocages ou fermetures de médias, pression et agressions sur des reporters de terrain, expulsion de correspondants étrangers, circulaires pour instituer un monopole étatique de l’information… Début 2020, l’arsenal de la censure et du musellement de l’information s’est amplifié de façon virale. De la Chine à l’Arabie saoudite, en passant par les Philippines, l’Irak, la Hongrie, l’Inde ou encore l’Iran, l’information est partout corsetée et verrouillée. Au point que l’organisation Reporter sans frontières (RSF) décide, fin mars 2020, de tirer la sonnette d’alarme en lançant un nouvel outil baptisé « l’Observatoire 19 » afin d’« évaluer les impacts de la pandémie sur le journalisme ». Le chiffre « 19 » fait bien sûr référence au Covid-19, mais également à l’article 19 de la Déclaration des droits de l’homme (1948) qui, rappelons-le, stipule que : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». À la censure sous toutes ses formes s’ajoute la précarisation des journalistes : la Fédération des journalistes africains s’inquiète du bien-être des professionnels, surchargés de travail et privés de ressources, qui travaillent sans matériel de protection (14 avril 2020).

Les autorités du Nigeria, du Cameroun, de Madagascar limitent l’accès à la présidence ou au gouvernement à une poignée de médias, souvent proches du pouvoir. Dans une note consacrée à l’Afrique datée du 10 avril, l’association Amnesty International (AI) rappellent que les autorités « ne doivent en aucun cas utiliser le contexte de la lutte contre la pandémie pour prendre ou justifier des mesures attentatoires aux droits humains ». Comme c’est le cas au Niger où, quelques jours après des mesures sur les rassemblement, AI signale que « plusieurs journalistes ont été convoqués par la police ou arrêtés après s’être exprimés ou avoir fait des entretiens liés à la question du Covid-19 ». L’un d’entre eux, Mamane Kaka Touda, journaliste et défenseur des droits humains, « est toujours détenu, accusé de “diffusion de données pouvant troubler l’ordre public” simplement pour avoir informé de l’existence d’un cas suspect ». Fin 2019, l’enquête réalisée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) faisait état de près de 75 journalistes (identifiés) emprisonnés en Afrique. Trois mois plus tard, mi-avril 2020, la galerie des nouvelles entorses à la liberté de la presse documentés par « L’Observatoire 19 » est édifiante.

En Somalie, dès le 3 mars, le ministère de la santé a convoqué des journalistes pour leur signifier que les informations sur le Covid-19 ne pouvaient être recueillies qu’auprès du ministre délégué et du porte-parole d’un « groupe de travail » dédié au coronavirus. De leur côté, d’autres sources, pourtant légitimes sur ce sujet, étaient invitées à ne plus parler aux journalistes. Des mesures similaires ont été prises à Hargeisa, au Somaliland, lorsque le vice-président de cet État autoproclamé de la Corne de l’Afrique, Abdirahman Abdillahi Sayli’I, a ordonné aux journalistes de ne publier aucune information « négative » liée au virus et de relayer « uniquement les messages du gouvernement ». L’Union nationale des journalistes somaliens (NUSOJ) a aussitôt demandé que « les journalistes puissent remplir leur mission essentielle d’information de manière libre et indépendante ». La Fédération internationale des journalistes appellent le gouvernement somalien à considérer la presse comme une activité essentielle dans la lutte contre le coronavirus.

En Égypte, les autorités ont retiré, le 16 mars, l’accréditation de Ruth Michaelson, correspondante du quotidien britannique The Guardian, pour avoir publié des chiffres jugés « exagérés » sur l’épidémie de coronavirus dans le pays. Son article mentionnait une étude scientifique canadienne estimant que l’Égypte comptait alors plus de 19 000 cas, au lieu d’une… centaine officiellement. Le State Information Service (SIS) — l’organisme chargé de donner les accréditations aux journalistes —, a considéré que l’article constituait une « violation de toutes les lois sur le travail journalistique reconnues en Égypte et dans le monde » et « une tromperie délibérée sur un sujet grave ». Le jour même, le SIS convoquait le correspondant du New York Times, Declan Walsh, pour avoir retweeté une publication du médecin auteur de l’étude citée par le Guardian. Il va sans dire que dans ces conditions, les journalistes égyptiens sont, eux aussi, poursuivis dans leur travail sur la pandémie. Le Conseil suprême de régulation des médias a interrompu (pour six mois) des pages et sites Internet, au motif de « diffusion de fausses nouvelle » et poursuivi leurs propriétaires. Il a aussi mis en place un numéro de téléphone pour le signalement de pages diffusant des informations « de nature à susciter l’inquiétude de l’opinion publique ».

Autres méthodes, plus expéditives encore… En République démocratique du Congo (RDC), Tholi Totali Glody, un journaliste de Alfajari TV, l’une des chaînes phares de la deuxième ville de la province du Haut-Katanga, a été agressé par les forces de l’ordre, le 24 mars, alors qu’il circulait à moto dans le cadre d’un reportage sur le confinement. Selon le directeur des programmes de la chaîne, contacté par RSF, le journaliste, qui a d’abord tenté d’expliquer aux policiers qu’il était en reportage, a été pris en chasse par deux agents qui l’ont fait tomber de sa moto-taxi. Il souffre de nombreuses blessures au visage, aux bras et d’une fracture à la jambe.

Mêmes violences physiques au Tchad où Aly Mahamat Bello et Abakar Mahamad Seid, journaliste et caméraman pour Télé Tchad, ainsi que leur chauffeur, ont été interpellés et brutalisés dans la capitale N’Djamena, jeudi 26 mars, par des membres du groupement d’intervention de la police (GMIP) alors qu’ils étaient en reportage pour la télévision nationale sur les mesures du Covid-19. Réaction immédiate de l’Union des journalistes tchadiens (UJT) qui révèle que les journalistes ont été interrogés pendant trois heures au commissariat avant d’être finalement relâchés. À ce stade, le Tchad n’avait officiellement recensé que sept cas de personnes touchées par le coronavirus, mais avait déjà pris plusieurs mesures visant à restreindre les déplacements de la population.

Au Libéria, le journaliste Frank Payne de la radio communautaire Magic FM a également été agressé, le 27 mars, lors d’une veillée de prière d’un proche d’un agent de la Liberia Drugs Enforcement Agency (LDEA) à Grand Bassa. Sur ordre de l’Institut national de santé publique, le ministère de l’information, de la culture et du tourisme a annoncé, le 23 mars, que seuls huit organes de presse étaient désormais autorisés lors du point presse trihebdomadaire du ministère de la santé consacré au Covid-19. Alors que le Libéria compte plus de 150 stations de radio, de nombreux journaux et médias en ligne, la moitié des médias accrédités étaient des agences gouvernementales.

Aux Comores, fin mars 2020, le petit État insulaire était l’un des rares pays africains sans cas du coronavirus enregistré. La raison ? Aucun des échantillons de six cas suspects n’avait été envoyé pour analyse. C’est ce qu’a révélé, le 1er avril, la journaliste Andjouza Abouheir du quotidien La Gazette des Comores. Ces informations ont valu à la journaliste d’être accusée de « désinformation » par les autorités. Par la suite, le porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidie, a menacé de porter plainte contre tous les journalistes tentés de publier sur la crise sanitaire sans passer par les « canaux officiels ». La journaliste Andjouza Abouheir a par ailleurs été contactée par la direction générale de la santé qui a fermement insisté pour connaître la source de son enquête. Le Syndicat national des journalistes aux Comores (SNJC) a aussitôt dénoncé ce harcèlement contraire à l’esprit de transparence promis par le président de la République dans la gestion de cette crise, arguant que les journalistes « ne vont pas croiser les bras et subir l’information à travers des points presse et des communiqués ».

En Côte d’Ivoire, à l’issue d’audiences expéditives, six journalistes ivoiriens ont été condamnés à de très lourdes amendes. Fin mars 2020, Vamara Coulibaly, directeur de publication du journal indépendant Soir Info et Paul Koffi, directeur de publication du Nouveau Réveil, journal proche de l’opposition, sont condamnés à payer une amende de 2,5 millions de francs CFA (3 812 euros) pour « diffusion de fausses nouvelles ». Dans un texte publié le 1er avril par la Fédération internationale des journalistes (FIJ), l’Intersyndicale du secteur des médias en Côte d’Ivoire (ISMCI), qui regroupe 11 syndicats de la profession, a immédiatement condamné ces « amendes infondées ». Son secrétaire général Guillaume Gbato accuse le procureur de la république, Adou Richard de « se donner à son jeu favori qu’est la chasse à la plume ». L’intersyndicale déplore qu’« en Côte d’Ivoire la liberté d’expression et avec elle, les acteurs des médias [soient] en train d’être bâillonnés. C’est un recul que nous saurons admettre sans réagir ».

Enfin, et non des moindres, l’Algérie est en passe de voir le long et profond mouvement du Hirak être décapité de ses principales figures, parmi lesquelles des hommes et femmes de médias (2). Amorcé dès 2019, ce durcissement des autorités d’Alger à l’égard des journalistes s’est accentué avec la crise du coronavirus et l’impossibilité pour les Algériens de poursuivre leurs marches hebdomadaires de contestation. « L’État cherche clairement à profiter de cette pause de la mobilisation populaire pour arrêter de nombreux cadres du mouvements et des journalistes. C’est juste scandaleux ! », s’insurge Khakled F. un journaliste indépendant de 35 ans. La révision de la Constitution algérienne adoptée en 2016 avait pourtant fixé des nouvelles garanties pour la liberté de la presse dans le pays. L’article 50 stipule qu’« aucune peine privative de liberté » ne saurait être infligée pour un délit de presse. Lors de son premier conseil des ministres, le 5 janvier, le nouveau président algérien, Abdelmadjid Tebboune avait même appelé le gouvernement à renforcer la liberté de la presse.

Devenu la cible des autorités d’Alger, le reporter Khaled Drareni, 39 ans, correspondant de TV5 Monde en Algérie et de RSF, incarne ce harcèlement contre les médias indépendants. Alors que l’épidémie de coronavirus menaçait le pays, la justice algérienne a décidé d’incarcérer le journaliste, le 29 mars, en application d’un mandat de dépôt délivré quelques jours plus tôt. Cette détention provisoire survient après sa mise en examen, le 10 mars, pour « incitation à attroupement non armé et atteinte à l’unité nationale ». Au-delà du seul cas de Khaled Drareni, de nombreux autres journalistes et figures indépendantes algériennes sont toujours pourchassés par la police et la justice d’Alger.

La Rédaction de Mondafrique