Mauritanie: Alakhbar publie le Procès de Biram et coaccusés (1ere partie)

 Le premier procès de l’opposant et militant antiesclavagiste mauritanien, Biram Dah Abeid, a été ouvert mercredi 24 décembre devant la cour correctionnelle au Palais de justice de Rosso(Sud) avec 5 heures de retard.

La salle d’audience, réhabilitée en 2012 sur financement de l’Union Européenne (UE), est d’une capacité de moins de 100 places. Les trois entrées qui y mènent ont été surveillées par une quinzaine de policiers.
Les journalistes d’Alakhbar ont cependant constaté un déploiement massif d’éléments cagoulés de la Garde nationale et de la police dans la cour intérieure et aux alentours du palais. Un foule immense était cependant massée au portail et au pied des murets et grilles entourant l’édifice.

Elle scandait des slogans favorables à Biram. La plupart des personnes qui constituait cette foule était des Harratines âgés de moins de 30 ans, ont rapporté les journalistes d’Alakhbar.

A 14h : 43mn, Biram, en grand boubou bleu, son vice-président Brahim Ould Bilal, en boubou blanc, et 6 coaccusés, tous de l’ONG IRA, en t-shirt blanc et saroual, turban noir bien serré autour de la tête, ont été présentés devant la cour. Plus d’une vingtaine d’avocats à majorité Beïdane (maure blanc) étaient habillés en robe noire pour assurer la défense.

« Vos droits seront respectés. Si vous sentez la faim vous pouvez le dire. Vous êtes même permis d’aller fumer», a promis le juge qui a rappelé au Parquet, aux avocats et à l’audience leur rôle ou le comportement à adopter.

Le premier prévenu à la barre était Biram Dah Abeid. Il a corrigé à deux reprises son nom et prénom que le juge n’arrivait pas à bien prononcer.

L’accusé s’est après présenté étant né en 1965 à Rosso, marié et père de cinq enfants. Il a ajouté en réponse au juge qui voulait s’informer de son travail: « Je suis greffier. J’’ai réussi le concours. Mais on a fait disparaître mon dossier depuis que j’ai engagé le combat contre l’esclavage.» (Rire dans la salle).

Le juge a ensuite lu les chefs d’accusation retenus contre Biram dont « Appartenance à une organisation non reconnue, incitation à l’attroupement; résistance à l’autorité publique, refus d’obtempérer aux forces de l’ordre.» Il a également noté que la peine encourue était « de 3 à 5 ans de prison ». 
« Répétez moi un à un ces chefs d’accusation», a demandé Biram.

Question-réponse

Le juge: Vous êtes accusé d’incitation à l’attroupement. 

Biram: La caravane était autorisée par le Ministère de l’Intérieur et les participants étaient pacifiques et bien organisés. L’attroupement a été plutôt créé par les 160 éléments de la Police, de la Gendarmerie et de la Garde nationale qui ont assiégé puis chargé la caravane.

– Des gens se regroupent et tiennent des sit-in tous les jours devant le palais présidentiel à Nouakchott sans qu’on ne leur colle ce genre d’accusation.

Le juge: Vous êtes accusé d’avoir ordonné à la caravane d’entrer à Rosso par tous les moyens. 

Biram: La destination de la caravane était Cheggar avec une lettre qui devait être transmise aux autorités de Rosso.

Un avocat de la défense (intervient subitement) : « Pourquoi ne parlez-vous pas de la torture dont ont subie les membres de la caravane de la part des forces de l’ordre ? »

Le juge (reprend la parole s’adressant toujours à Biram): Vous êtes accusé d’avoir ordonné à la caravane d’occuper la voie publique.

Biram : Trente (30) minutes ont été accordées aux membres de la caravane pour se disperser. Les forces de l’ordre n’ont finalement attendu que dix (10) minutes pour les charger.

Le juge: Ces chefs d’accusation ont été avoués et signés par les personnes arrêtées avec vous. 

Biram: Le premier PV qui concernait la caravane a été déchiré. Ils ont ensuite établi un autre en inventant ces accusations.

Le juge: Vous êtes accusé de refus d’obtempérer au Hakem. 

Biram: Le Hakem a appelé Djiby Sow (président de l’ONG Kawtal) et il lui a parlé dans une langue qu’il ne comprenait pas en lui notifiant que c’était en tout cas la langue officielle.

Le juge: Vous êtes accusé de résistance à l’autorité publique et aux forces de l’ordre. 

Biram: Est-ce que j’ai agressé un élément des forces de l’ordre ? Est-ce que j’ai tiré la chemise d’un policier ou d’un gendarme ? Montrez-moi une pierre que je leur aurais jetée ou un bâton avec lequel je les aurais frappées ?

-Il faut plutôt dire que les forces de l’ordre ont ciblé les Harratins. Pourquoi ont-elles arrêté seulement les Harratins membres d’IRA. Pourquoi ont-elles laissé partir les Peul et les Wolof qui participaient eux aussi à la caravane? Nous sommes en fait devant un régime perplexe de Ould Abdel Aziz qui s’en prend à une communauté particulière.

-Nos oreilles dans l’armée et dans les forces de sécurité m’ont déjà informé que Ould Abdel Aziz et son directeur général de la Sûreté, [le général Mohamed] Ould Megett considèrent que les Harratins constituent une menace qu’il faut parer en ciblant Biram et les leaders Harratins autour de lui.

Le juge: Djiby Sow a déclaré que vous avez utilisé son ONG (Kawtal Djélitaré), qui a obtenu l’autorisation de la caravane, à d’autres fins. 

Djiby Sow (se lève et dément): Non, je ne l’ai pas dit, Monsieur le juge.

Biram: La caravane a été organisée par sept ONG dont celle de Djiby Sow et IRA. Pourquoi a-t-on ciblé seulement IRA et ses membres ? En réalité ce procès est politique. Il a été orchestré par le [président] Mohamed Ould Abdel Aziz qui cherche à casser ma popularité.

-Après l’incident opposant [Ahmedou Ould Lemrabott] Ould Habibourrahmane à des militants d’IRA que cet imam [de la grande mosquée de Nouakchott] avait qualifié d’apostats, j’ai proposé une trêve de six mois et la libération des arrêtées. Mais Ould Abdel Aziz ne voulait surtout pas que cette trêve soit une initiative de Biram.

Le juge: Vous êtes accusé d’appartenir à une organisation non reconnue. 

Biram: L’arrestation, la détention des membres d’IRA et ces accusations portées contre nous ne s’expliquent que par le racisme. Notre organisation est bien reconnue parce que nous avons déposé une demande de d’autorisation suivant les procédures légales et aucune notification de rejet ne nous a été adressée à ce jour.

Le juge: Pouvez-vous définir l’esclavage foncier. 

Biram: L’esclavage foncier désigne ces Maures et ces Soninkés qui exploitent de pauvres esclaves dans des terres agricoles. Les esclaves peinent à cultiver les champs et quand arrive l’heure de la récolte le maître récupère tout et laisse peu à ces pauvres.

-Les autorités mauritaniennes ont légalisé en faveur des Beïdanes des terres qui étaient exploitées durant des années par des Harratines notamment dans les Adwabas. La justice mauritanienne a aussi tranché en faveur de Beïdanes sur 250 litiges fonciers qui les opposaient à des Harratines.

(15 :45 mn)

Le substitut du procureur: Où partiez-vous quand vous étiez mêlé à l’attroupement ? 

Biram: Même dans la tombe je serai prêt à répondre aux questions des anges, vous, à plus forte raison. Je partais à Dakar pour récupérer mon visa et continuer sur le Canada. Mais quand la caravane a été bloquée je suis venu pour trouve une solution.

(A un moment, le substitut du procureur semblait subir la pression du public qui dans sa majorité soutenait les accusés, ont constaté les journalistes d’Alakhbar).

« La salle s’en offusque à mes questions; je vais finir par ne plus poser de question», a lancé le même substitut. (Le bruit retentit dans la salle).

(16 :33 mn)

Un avocat de la défense: Est-ce qu’il y avait dans la caravane des gens qui scandaient ou qui brandissaient des slogans racistes. 

Biram: C’est aux forces de l’ordre de réunir les preuves s’il en existe. Je leur ai déjà dit ça.

Un avocat de la défense: Pourquoi estime-t-on que Biram nourrit une haine vis-à-vis de la communauté Beïdane ? 

Biram: Il y a un groupe de Beïdanes qui s’accapare les biens du pays et qui réduit les autres en esclavage. Ceux qui dénoncent cet état de fait sont qualifiés de gens détestant les Beïdanes.

-J’ai défendu moi des Beïdanes. J’ai soutenu par exemple un juge Beïdane que Ould Abdel Aziz avait abusivement démis de ses fonctions. J’ai été solidaire à des Beïdanes dans les Gazeras (bidonvilles). Et je développe de bons rapports avec les Beïdanes dont certains sont membres de notre organisation IRA.

Un avocat de la défense: Que répondez-vous à ceux qui traient Biram d’apostat ou estiment que l’homme s’en prend à l’Islam et aux oulémas ? 

Biram: L’apostasie est une arme dangereuse utilisée par (le président mauritanien) Mohamed Ould Abdel Aziz contre ma personne. Il veut que les gens aient peur de Biram. Malheureusement les medias et les imams se sont laissé entrainer dans son jeu.

-En ce qui me concerne moi, je prône le vrai Islam et je combats les « savagats (laudateurs)» et les oulémas de Ould Abdel Aziz, comme l’imam Ould Habibourrahmane, qui traitent les Harratins d’apostats.

-Beaucoup m’accusent d’apostasie dans les médias et dans les mosquées mais personne ne va pas le prouver devant la justice. J’ai été d’ailleurs inculpé pour apostasie, mais où est le dossier ? Ils l’ont fait disparaitre.

(A 17h : 45 mn, le juge suspend le procès jusqu’à demain (jeudi 25 décembre) à 10 H).

Source : Alakhbar (Mauritanie)