Ses analyses géopolitiques font référence et il adore la Corse. Ces deux qualités caractérisent le parcours d’Alexandre Adler, historien et journaliste réputé. Si son nom revient dans l’actualité, c’est en lien avec un livre paru en 2009, qu’il a notamment préfacé.
Dans Le nouveau rapport de la CIA – Comment sera le monde demain, paru aux éditions Robert Laffont, le conseil national du renseignement américain émet des hypothèses sur l’avenir du monde.
Parmi les scénarios envisagés, l’éventualité d’une pandémie mondiale.
Comment est né le projet de publier la traduction des rapports de la CIA ?
La CIA, pendant très longtemps, collectait des informations d’ordre géopolitique, émettait des hypothèses puis en informait de façon confidentielle une partie de l’opinion qui l’intéressait, notamment des directeurs de journaux.
Plus tard, la CIA a rendu public une partie de ces rapports. Ce furent de grands succès de librairie. La CIA ne s’adressait plus à une petite élite mais au grand public. Les Américains ont eu le sentiment que la CIA leur parlait directement. Cela a donc intéressé l’édition française.
C’est Nicole Lattès, alors directrice générale des éditions Robert Laffont, qui s’y est intéressée la première. Elle m’a demandé de lire la traduction française des rapports puis d’y adosser un commentaire en fonction de ce que j’avais lu.
C’est ainsi que je me suis inscrit dans ce projet tout en gardant mon esprit critique.
Dans l’un de ces rapports, datant de 2007, les experts de la CIA prévoient l’éventualité d’une pandémie à l’horizon 2025. L’apparition d’un virus type Covid-19 et sa propagation mondiale a-t-elle été négligée ?
Le romancier Tom Clancy, lui-même très bien informé par la CIA, avait écrit Executive Orders en 1996.
Il y décrivait déjà, avant l’heure, les ravages d’une pandémie mondiale dont on pensait à l’époque qu’elle serait provoquée par le virus Ebola. Cette description effrayante m’avait déjà interpellé.
Il y fait un certain nombre de recommandations dont je me suis inspiré. J’ai écrit un texte dans lequel je préconisais de garder des stocks de médicaments. Mes amis me disent que j’ai été visionnaire mais j’ai simplement été inspiré par les idées de Philippe Séguin, dont j’étais proche.
Je pensais notamment que c’était une erreur d’expatrier notre industrie pharmaceutique pour des raisons de coût. On a fait fabriquer nos médicaments en Asie, essentiellement en Chine.
Je pensais qu’il était extrêmement dangereux de procéder ainsi, que l’on se retrouverait en difficulté, sans stock ni mesures de précautions.
Quand on repart de zéro, il faut plusieurs mois pour que l’on puisse les refaire fabriquer en France, même si on dispose des ordonnances.
Dans ce même rapport, les experts citent parmi les agents pathogènes, le coronavirus du Sras.
Je l’avais oublié et je l’ai observé en le relisant. Je me souviens que le rapport baptisait le virus « corona » parce qu’il symbolisait la pandémie ultime, le couronnement.
Il semblait tellement grave que l’on pensait qu’il n’y en aurait plus. Je l’évoque donc dans le texte auquel vous faites référence, écrit en 2009, et qui prévisualise le monde en 2025.
La probabilité d’un gros coup dur était évidente et il aurait fallu prendre des mesures de précaution, stocker des vaccins, des médicaments. C’était une attitude plus prudente, certes plus coûteuse aussi, qu’il aurait fallu observer. Pour être tout à fait honnête, je n’y ai plus fait attention après avoir écrit ce texte. « Le virus Corona symbolise la pandémie ultime, le couronnement »
Malgré toutes ces précisions prémonitoires, pourquoi n’étions-nous pas mieux préparés à l’apparition de ce virus ?
Parce que nous étions dans l’idée absolument dominante, et dont Emmanuel Macron est un porte-parole, qu’il fallait essayer de maîtriser les coûts de la santé. Et ces économies, que personne n’a vraiment contestées, pas même moi je l’avoue, nous reviennent à la figure.
De plus, on a complètement sous-estimé la rapidité du processus de mondialisation. L’apparition massive de touristes chinois ou russes en France était un indicateur. Cette immigration touristique était un phénomène nouveau qui m’avait interloqué.
J’ai compris que la mondialisation n’était pas un vain mot. Tom Clancy dans son roman et la CIA dans ses rapports ont envisagé que ces flux touristiques deviennent des vecteurs de propagation d’un virus.
D’autres ont tiré le signal d’alarme sur l’apparition de ces phénomènes de masse.
Dans son analyse, la CIA ne pointe-t-elle pas également les dangers de la mondialisation ?
Absolument, c’est d’ailleurs pour ça que j’étais en adéquation avec le rapport de la CIA qui plaidait déjà, à l’époque, pour une moindre dépendance au marché mondial.
Les gouvernements américains avaient décidé d’investir énormément sur les nouvelles technologies et de délocaliser la production pharmaceutique courante, obtenue à un prix inférieur sur le marché asiatique.
Dans son analyse, la CIA estime que ce n’est pas sage. Elle estimait qu’en cas de pandémie, en pensant surtout à Ebola, les États-Unis subiraient d’une part le chantage de la Chine et s’exposeraient d’autre part au risque de pénurie en temps de crise.
Alors certes, on a trouvé le vaccin contre Ebola plus vite que prévu. Mais le vaccin contre le Covid-19, on ne l’a toujours pas trouvé.
Dans ses prévisions les plus alarmantes, la CIA envisage des dizaines voire des centaines de millions de morts. Est-ce plausible en l’état actuel de la pandémie ?
Je pense que ces évaluations sont surestimées et qu’heureusement, nous n’atteindrons pas ce bilan. Ils ont peut-être voulu faire peur et ils ont eu raison de penser au pire.
Le déséquilibre de l’ordre mondial y est également évoqué. Des conflits internes ou transfrontaliers liés à la pandémie menacent-ils de déstabiliser le monde ?
Cela me semble très exagéré. Je ne le crois pas. Lorsque des nécessités patentes se font sentir, je pense par exemple aux besoins en masques, il est évident qu’il peut y avoir des concurrences et la France vient d’en être victime.
Mais à la fin des fins, la production se remet en marche et on finira par donner des masques aux soignants puis à toute la population. Pareil pour les tests. On va y arriver mais il faut un peu de patience. Et surtout ne pas donner la parole aux paniquards, aux lâches.
Une fois l’épidémie derrière nous, quelles leçons sociétales, économiques et commerciales devront nous tirer ?
Je pense que nous avons été trop loin et trop vite dans la mondialisation. Cela ne veut pas dire que l’antimondialisation est la réponse à apporter. Il faut penser une modélisation plus modérée.
Certaines régions du monde doivent s’orienter vers une plus grande autonomie. De ce point de vue, la coordination européenne est absolument nécessaire. Nous sommes une trop petite zone de la planète pour refuser une unification. Mais elle doit être raisonnée et raisonnable.
La santé publique, notamment, doit faire l’objet de mesures de précautions beaucoup plus importantes. La crise sanitaire nous montre que c’est un impératif plus important que d’autres.
Nous devons essayer de ne pas faire prévaloir le raisonnement comptable, même quand il est séduisant. Les ralentissements liés à l’augmentation des coûts deviennent des accélérateurs en période de crise.
2009, les éditions Robert Laffont publient Le nouveau rapport de la CIA – Comment sera le monde en 2025 ? Au cœur de cet ouvrage de 310 pages, préfacé par Alexandre Adler et qui traduit les rapports du conseil national du renseignement américain, un texte court sur les pages 256 et 257.
Le chapitre est intitulé « Le déclenchement possible d’une pandémie mondiale » et détaille avec une précision saisissante les risques liés à l’émergence et à la propagation exponentielle d’un nouveau virus, à l’horizon 2025.
« L’apparition d’une nouvelle maladie respiratoire virulente, extrêmement contagieuse, pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat, pourrait déclencher une épidémie mondiale », y est-il mentionné. Dans leurs analyses géopolitiques, les experts du renseignement américains envisagent une crise sanitaire que personne, pourtant, n’a vu venir.
« Les experts voient dans les souches hautement pathogènes de la grippe aviaire telles que le H5N1 des candidats probables à ce type de transformation, mais d’autres agents pathogènes, comme le coronavirus du Sras et diverses souches de la grippe, auraient les mêmes propriétés », détaille le rapport.
Coronavirus, maladie respiratoire, Chine : tout y est
Mais ce n’est pas tout. Signe que les experts avaient quasiment tout prévu, l’émergence du virus y est décrite jusqu’à sa région d’apparition.
« Si une maladie pandémique se déclare, ce sera sans doute dans une zone à forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux, comme il en existe en Chine et dans le Sud-Est asiatique où les populations vivent au contact du bétail. »
Le scénario catastrophe, analysé et écrit en 2007 aux États-Unis, avant sa parution en France en 2009, s’avère glaçant de précision, a posteriori.
« Il faudrait des semaines pour que les laboratoires fournissent des résultats définitifs confirmant l’existence d’une maladie risquant de muter en pandémie (…), poursuit le rapport. En dépit de restrictions limitant les déplacements internationaux, des voyageurs présentant peu ou pas de symptômes pourraient transporter le virus sur d’autres continents. Les malades seraient de plus en plus nombreux, de nouveaux cas apparaissant tous les mois. L’absence d’un vaccin efficace ou d’immunité dans le reste du monde exposerait les populations à la contagion. »
L’analyse s’achève sur des prévisions sanitaires catastrophiques, prédisant plusieurs dizaines de millions de morts. Une évaluation revue à la baisse par Alexandre Adler (lire ci-dessus). L’historien et journaliste a signé la préface et les commentaires du livre Le nouveau rapport de la CIA – Comment sera le monde en 2025 ?
Alexandre Adler préconise de stocker des vaccins
« Le rapport prétend nous livrer des scénarios construits et alternatifs du destin de notre monde », explique l’historien dans son prologue.
« Avant cela, poursuit-il, les auteurs du rapport ont aussi voulu un peu sacrifier aux préoccupations du moment en imaginant plusieurs films catastrophe qui sont autant de signaux d’alerte nécessaires à une approche globale des risques futurs. »
Terrorisme, bouleversements climatiques, conflits internationaux, guerres de religions, luttes commerciales, tous les grands enjeux géopolitiques sont passés au crible et commentés par Alexandre Adler.
Ce dernier s’arrête notamment sur l’éventualité d’une crise sanitaire.
« Un peu plus vraisemblablement, on évoque aussi dans un encadré la transmission d’une maladie infectieuse sans vaccin connu de l’Afrique vers le reste du monde, hypothèse inspirée de l’apparition du virus Ebola. » Comme il le précise dans l’interview qu’il a accordée à Corse-Matin (lire-ci dessus), il préconise déjà, en 2009, de prendre des dispositions pour lutter contre ces bouleversements annoncés.
« Il résulte de ces nouvelles menaces autant d’actions de veille technologique et de protection, telles que des stocks de vaccins, qu’il faudra envisager de prendre à l’avenir », prévient-il.
Manifestement, il n’a pas été entendu.
Propos recueillis par Jean-Philippe Scapula
Source : Corse Matin (France)