A chaque sommet, celle-ci s’invite dans les débats, l’UA étant la seule organisation où le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique (RASD) siègent côte à côte, mais souvent dos à dos.
« C’est une vraie cause de blocage de l’organisation ! » Pour un haut responsable de l’UA, ce dossier du Sahara occidental est l’un des sujets de ce sommet et plus largement de l’Union africaine.
Un avis que n’a pas hésité à partager le président de la Commission de l’organisation, Moussa Faki Mahamat, devant tous les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Addis-Abeba : « Le conflit du Sahara occidental demeure préoccupant pour le fonctionnement de notre organisation. » « C’est compliqué, confirme un diplomatique marocain, parce que c’est le plus vieux conflit non résolu du continent. »
« Nous avons cru être malins, avec l’histoire de la Troïka », ajoute le haut diplomate, « mais elle n’a pas encore réussi à se réunir. » La Troïka, c’est une décision de l’Union africaine qui remonte à l’été 2018 lors du sommet en Mauritanie. Comme souvent lors des rendez-vous de l’organisation, la question du Sahara occidental refait surface. Les chefs d’État adoptent alors à l’unanimité une résolution qui met en place une Troïka. Elle est composée de trois présidents de l’UA (l’actuel président en exercice, son prédécesseur et son successeur). Cette Troïka a pour mission de faire le lien avec les Nations unies en première ligne sur ce dossier. A cette époque, les deux camps crient à la victoire. Le Maroc estime en effet que le dossier reste entre les mains de l’ONU, ce qui constitue l’une de ses revendications. La RASD, de son côté, met en avant le fait que la question est désormais montée au niveau des chefs d’État.
Nouvel échec de la Troïka
Sauf que depuis, cette Troïka ne s’est jamais réunie. Et pour l’instant, ce 33e sommet ne déroge pas à la règle. Prévue à l’agenda ce dimanche avant l’ouverture de la réunion, la Troïka sur le Sahara occidental a encore une fois été annulée.
« Le Maroc essaye de gagner du temps. Ce sont des blocages au niveau de l’UA qui empêche cette réunion. Le Maroc n’en veut pas. Ce sont les mêmes entraves qu’on voit à l’ONU », confie un responsable du Front Polisario.
Le Maroc s’en défend. « Il n’y a aucune raison que cela fasse peur au Maroc. Il y a eu des tensions pendant plusieurs mois, après le retour du Maroc à l’UA, jusqu’à cette décision du sommet de Nouakchott. Nous étions d’accord avec la mise en place de ce processus de Troïka. Le dossier est à New-York et la Troïka doit accompagner ce travail. Si elle ne s’est pas réunie, j’imagine, que c’est pour des raisons de télescopages de calendrier », explique Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères du Maroc.
Pourtant, du côté des Nations unies, le dossier n’avance plus. Après plusieurs rounds de négociations à Genève, l’émissaire onusien Horst Kholer a démissionné pour des « raisons de santé » en mai 2019. Pour la chercheuse à l’Université Paris I, Khadija Mohsen-Finan, « le dossier est au point mort aux Nations unies. Le fait qu’il n’y ait pas d’émissaire, ce n’est pas gratuit, si personne n’en veut, c’est parce qu’il n’y a pas d’avancée possible. L’ONU n’a plus la possibilité de résoudre ce conflit. »
Avancées marocaines sur le terrain
Sur le terrain, le Maroc avance ses pions avec deux lois qui étendent son emprise aux eaux territoriales du Sahara occidental. Plusieurs pays africains ont aussi récemment annoncé l’ouverture de consulats à Laâyoune. Il s’agit de la Côte d’Ivoire, du Gabon, des Comores, de la Centrafrique ou encore de Sao Tomé-et-Principe.
Elsa Pinto, ministre des Affaires étrangères de Sao Tomé-et-Principe reconnaît que cette décision est avant tout politique : « Pour nous, l’ouverture d’un consulat, où que ce soit au Maroc, c’est avant tout la mise en place pour nos ressortissants d’une instance administrative. Après que ce soit précisément à Laâyoune, la lecture que l’on puisse en faire, c’est que le Maroc a voulu y témoigner de sa suprématie locale. »
« C’est clairement une offensive du Maroc en plusieurs temps, analyse Khadija Mohsen-Finan. Ces ouvertures n’ont pas de raison diplomatique, mais c’est effectivement une mise en avant de la souverainement du Maroc, d’une souveraineté active. » Un responsable sahraoui fait exactement la même lecture : « L’objectif pour le Maroc, c’est la normalisation, Il veulent arriver à faire accepter par la communauté internationale à un état de fait. »
L’Afrique du Sud affiche sa position
« L’idée [du Maroc], explique un chercheur, c’est de marginaliser la RASD au sein de l’Union africaine. » La République arabe sahraouie occidentale peut encore compter sur des alliés de poids que ce soit l’Algérie ou le Nigeria. Et surtout l’Afrique du Sud, dont le dirigeant prend pour un an la présidence tournante de l’organisation. Et dès l’inauguration, Cyril Ramaphosa a exposé son point de vue déclarant son soutien sans faille « au peuple du Sahara occidental » et rappelant son « droit à l’autodétermination ».
« Ce n’est pas une surprise, confie le chef de la diplomatie marocaine. Il y a la position nationale, celle de l’Afrique du Sud que nous connaissons, et puis il y la présidence de l’UA, c’est autre chose. Quand l’ONU a voté la dernière résolution sur le Sahara rappelant les principes que l’on défend, le Conseil de sécurité était présidé par l’Afrique du Sud. Ça n’a pas empêché que cette résolution soit adoptée. »
« Mais ce sera tout de même difficile, prévient Ibrahima Kane de la Fondation Open Society. Cyril Ramaphosa va être partagé entre la ligne directrice de son parti l’ANC, qui soutient depuis toujours le Front Polisario, et son envie de ne pas rentrer en conflit direct avec le Maroc. D’autant plus que le Maroc commence à être un acteur important sur le continent sur le plan politique et économique. »
De notre envoyée spéciale à Addis-Abeba,
Paulina Zidi
Source : RFI Afrique