– Mohamed Ghadda : Pourquoi maintenant ? C’est parce que j’ai senti un manque de sérieux dans les promesses du gouvernement et un blocage au niveau de la constitution de la commission parlementaire. J’en ai déduit que l’actuel pouvoir ne voulait pas assumer ses responsabilités dans la dénonciation de la mauvaise gestion du précédent et j’ai donc décidé de produire ces émissions (deux sur El Wataniya, NDLR)
– Certains partis politiques de l’opposition ont réclamé l’audit de la gestion du régime précédent mais le président Ghazwani n’a pas réagi, à ce jour, tout comme son gouvernement ne pipe mot sur le rapport de la Cour des Comptes mettant en cause la gabegie en certaines institutions de la République. Ne craignez-vous pas que le pouvoir ne réserve le même sort à votre campagne d’alerte ?
– C’est ma campagne, disent les gens, qui aurait dynamisé le processus de constitution de la commission, un temps gelé. Preuve, en ce sens, de la réaction positive du pouvoir à la publication de ces preuves.
– Bientôt six mois que le président Ghazwani est à la tête du pays. Comment appréciez-vous son début de mandat ? Avez-vous perçu une réelle volonté de rupture vis-à-vis de la gouvernance de son prédécesseur ?
– Effectivement, il y a bien eu des choses positives au cours de ces six premiers mois, à l’instar des modifications au règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui ont facilité la constitution des commissions d’enquête.
C’est très positif pour la transparence et l’efficacité du Parlement en son rôle de contrôle. Donc une rupture totale avec l’ancienne gouvernance opposée à toute constitution de telles commissions. J’ai moi-même essayé d’en constituer, à cinq reprises, et elles restèrent toutes lettres mortes, en raison des multiples écueils dressés contre elles.
Quoique votée, la dernière, celle relative aux marchés de gré à gré, ne put accomplir son travail car les ministres concernés refusèrent de s’y présenter, malgré les convocations qui leur furent adressées. Le seul fait que le nouveau régime ait légiféré pour faciliter de telles commissions, constitue donc une rupture par rapport au passé.
Mais il y a d’autres problèmes toujours en suspens ; comme, à titre d’exemple, le déni de justice dont sont encore victimes les hommes d’affaires exilés.
– Des divergences sont vite apparues entre Aziz et Ghazwani au sujet de l’UPR. Depuis, leurs rapports se sont à ce point dégradés que les observateurs considèrent l’ex-Président comme le seul opposant, voire adversaire du nouveau. Vous attendiez-vous à cette évolution entre les deux amis de quarante ans ?
– Oui, on s’attendait bien à un tel affrontement, parce que l’intention d’Ould Abdel Aziz était de conserver indirectement le pouvoir, en utilisant son successeur comme un simple paravent. Il semble ainsi qu’il ait procédé au changement du règlement intérieur de l’UPR, en constituant un conseil présidentiel qui regroupait, autour de lui, le chef du gouvernement, les présidents du Parlement et du groupe parlementaire UPR, avec l’objectif d’instaurer une direction bicéphale au sommet de l’État : l’affrontement était inévitable.
– Que sont devenus les ex-sénateurs qui osèrent défier Ould Abdel Aziz ?
– Ils ont tout d’abord réussi à empêcher le troisième mandat. Leur résistance, face à Ould Abdel Aziz, a dissuadé celui-ci de renouveler sa tentative de faire sauter le verrou des mandats auprès des parlementaires, suite au cuisant échec subi devant les sénateurs.
Quant à leur avenir propre, il est certain que leur audience est immense auprès des populations mauritaniennes, compte-tenu des sacrifices consentis et des points positifs importants enregistrés, à des moments difficiles, dans la lutte contre la dictature. Même s’il reste encore beaucoup à accomplir : l’audit et la répression de la gabegie requièrent une volonté sans faille.
– Que vous inspire l’état actuel de l’opposition démocratique ? N’aurait-elle pas perdu sa voie ?
– En ce qui concerne la démocratie, on peut considérer que nous sommes actuellement en phase de transition : le pays aborde une nouvelle étape. Mais dire qu’Ould Abdel Aziz est l’unique opposant, non, je ne suis pas d’accord avec ce propos.
Ni sa personnalité, ni son profil, ni son parcours ne lui permettent de se prétendre tel, encore moins lutter dans la rue au nom d’une quelconque cause. En fait, la seule cause d’Ould Abdel Aziz est la conservation du pouvoir et je ne lui vois donc aucune place au sein de l’opposition démocratique.
– Que vous inspire l’arrestation d’un blogueur proche de l’ex-Président, accusé d’avoir diffusé des vidéos insultant le régime en place et « incitant à la haine et au racisme », selon le communiqué du ministère de l’Intérieur ?
– En ce qui concerne l’arrestation de militants, j’y suis effectivement opposé et l’ai exprimé au quotidien à travers mes écrits, c’est une atteinte à la liberté d’expression. Aussi acerbe soit-elle, la critique des dirigeants ne constitue pas un délit passible d’arrestation.
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)