C’est une image carrément hallucinante. «Si chaque personne s’asseyait sur ses richesses sous la forme de billets de 100 dollars empilés les uns sur les autres, la plus grande partie de l’humanité serait assise sur le sol. Une personne de la classe moyenne vivant dans un pays riche serait assise à la hauteur d’une chaise. Les deux hommes les plus riches du monde se retrouveraient dans l’espace.»
Cette représentation est celle de l’ONG Oxfam qui vient de publier son dernier rapport annuel sur les inégalités dans le monde.
Loin de se résorber, les inégalités mondiales ne cessent de se creuser. La planète compte 2 153 milliardaires, rien comparé aux 7 milliards de Terriens. Des milliardaires qui possèdent néanmoins l’équivalent de la richesse de 4,6 milliards de personnes, soit 60% de la population mondiale. Et si l’on prend le top du top, les 1% les plus riches, leur abondance est égale à celle de 92% de la population mondiale. Des chiffres qui dépassent l’entendement.
Une fiscalité favorable aux plus riches
A contre-courant d’un discours dominant, selon lequel l’enrichissement des milliardaires favoriserait celui des populations moins riches (certains parlent de «ruissellement»), le rapport d’Oxfam démontre le contraire. Ceux en haut de la pyramide s’approprient des richesses au détriment du reste de la population mondiale. Pour preuve : dans les pays du G7, le salaire moyen a augmenté de 3% entre 2011 et 2017. Sur la même période, les dividendes versés aux actionnaires et autres investisseurs ont augmenté de 31%.
En cause, des politiques fiscales qui profitent aux plus fortunés. «On a deux tendances lourdes, explique Pauline Leclere, porte-parole d’Oxfam France. Les impôts régressifs, comme la TVA, explosent, alors qu’ils touchent particulièrement les plus pauvres et alors même que l’impôt sur le revenu devient de moins en moins progressif.» En France, la réforme fiscale de 2017 qui a supprimé l’impôt sur la fortune (ISF) en est un exemple. Selon les calculs d’Oxfam, l’impôt sur la fortune au niveau mondial ne représente qu’un minuscule 4%. Pourtant, estime en substance l’ONG, il suffirait d’augmenter de 0,5% le taux d’impôt sur la fortune des plus riches pour amorcer un recul des inégalités.
Les femmes : les grandes perdantes
Partout dans le monde, ce sont les femmes qui endurent le plus les effets des inégalités. Ce sont pourtant elles et leur travail non rémunérés qui constitue une part importante de l’économie. Oxfam estime que leur contribution à l’économie s’élève à environ 10 800 milliards de dollars par an, soit trois plus que la valeur du secteur des technologies. Le rapport estime que la richesse des 22 hommes les plus fortunés est égale à celle de l’ensemble de la population féminine africaine. Sans compter que le travail domestique qui pèse sur les femmes les éloigne de la vie politique et sociale. Ce qui ne leur permet pas de faire entendre leur voix.
Et rien ne semble à terme en mesure d’améliorer le sort de ses travailleuses de l’ombre, dont la contribution à la société est ignorée par un système qualifie par Oxfam de «sexiste». Pourtant, le vieillissement de la population devrait impliquer une hausse des travaux liés aux soins non rémunérée… Et essentiellement effectué par les femmes. Idem pour les effets liés au réchauffement climatique. Les femmes, le plus souvent en charge de rapporter de l’eau, devront effectuer des trajets toujours plus long.
Les dirigeants sourds aux demandes citoyennes
Les différentes mobilisations qui ont eu lieu en France et dans le monde en 2019 tendent à montrer à quel point les populations sont majoritairement favorables à une économie plus égalitaire. Récemment, pas moins d’une trentaine de pays ont vu des populations manifester pour une plus grande redistribution des richesses. Mais pas de quoi (du moins pour l’instant) inverser les tendances.
A Davos (Suisse), pendant le Forum mondial de l’économie qui s’ouvre ce mardi, il sera sans doute question, une fois de plus, d’évoquer le sujet des inégalités. Il y aura les mots. Mais risque bien de manquer des gestes en relation avec les grandes déclarations. Une fois encore.
Par Sarah Chopin
Source : Libération (France)