Mohamed ould El Ghazouani est à la tête de l’État depuis le 1erAoût 2019. Depuis cette date, les Mauritaniens s’interrogent sur ce que le nouvel homme du pays va faire. Surtout, qui sera nommé, qui partira et qui ne partira pas…Un état d’esprit inchangé depuis le 28 Novembre 1960 marquant notre indépendance nationale : celui de nomades, bédouins, cultivateurs, éleveurs. Blancs ou noirs, nous étions et sommes toujours restés infatigablement curieux de savoir ce que le chef de l’État va faire et son conseil des ministres prendre comme mesures individuelles. Depuis ce 28 Novembre 1960, nous donnons la preuve que nous souffrons d’un énorme déficit intellectuel, doublé d’un excès de curiosité, nous versant dans d’interminables spéculations sur des détails sans importance qui ne nous avancent en rien.
Depuis cinq mois, Mohamed ould El Ghazouani, bédouin intellectuel, religieux moderne, militaire habillé en civil, président en voie de formation et dirigeant très hésitant, tient les rênes du pays. Depuis qu’il en est arrivé à la tête, nous avons consacré le premier mois aux spéculations sur le contenu des malles embarquées sur le vol conduisant l’ex-président en Turquie. Le mois suivant à ergoter sur l’incompréhensible et controversée nomination du « financier réhabilité » Ould Diaye à la tête de la SNIM. Le troisième, au problème de « l’horoscopiste » de Tekeyber, l’ex-première dame déboutée de trois mille parcelles. Le quatrième, à supputer sur la vraie-fausse tentative de coup d’État et à la question du vrai référant du parti UPR dont Ould El Ghazouani voulait faire gazra et se « l’approprier ». Et le cinquième, aux commentaires sur l’interview stérile, réalisée par un de nos confrères on dirait plus « fauché » que curieux, nous apprenant au moins ce que nous savions déjà : Ould Abdel Aziz a décidé de divorcer d’Ould El Ghazouani, après trois mois de séparation de corps.
Questions sans importance
Cinq mois durant, nous sommes restés ce que nous étions : des bédouins autour d’un thé, perdant leur temps à débattre de questions sans importance, comme pour contourner l’essentiel, essentiel qui n’en reste pas moins encore et toujours l’essentiel. C’est-à-dire les sujets d’intérêt national auxquels aucune solution n’a encore été trouvée. Elle est incroyable, cette Mauritanie dont l’unité nationale est déboussolée depuis 1966 et qui cherche encore à coller ses morceaux ! Elle est incroyable, cette Mauritanie qui saigne depuis 1989 et dont aucun des premiers responsables n’arrive à stopper l’hémorragie, en dépit des pouvoirs dont ils sont investis et qui leur donnent tous les moyens à cette fin. Elle est incroyable, cette Mauritanie déchirée seulement par deux problèmes majeurs : l’esclavage et le passif humanitaire ; sans parvenir à se consacrer à l’essentiel pour les résoudre. Elle est incroyable, cette Mauritanie qui laisse fermenter les conséquences de problèmes contre lesquels luttent, seuls contre tous, quelques rares mais inconditionnels activistes humanitaires, comme Biram ould Dah ould Abeid, Thiam Samba, Ibrahima Moctar Sarr, Mohamed ould Maouloud, Boubacar ould Messoud, Aminetou mint El Moctar, entre autres, rappelant à tout bout de champ, à tous et inlassablement que les maux dont souffre la Mauritanie n’ont toujours pas été soignés.
Pendant que des veuves dont les maris ont été exécutés sans raison et de la manière la plus abjecte manifestent comme des mendiantes pour réclamer leurs droits, pendant que les activistes chevronnés susdits courent à dénoncer les abus dont sont victimes des personnes réduites à l’esclavage physique ou sexuel, d’autres mauritaniens passent tout le temps leur temps, et ce depuis très longtemps, à spéculer, mensonges aidant, sur de faux problèmes ; à commenter de faux sujets d’actualité, pour donner de l’importance à des évènements qui nous éloignent de nos préoccupations réelles. Il est temps que les Mauritaniens arrêtent de jouer aux comédies récréatives et passent à l’essentiel. Il est temps que les premiers responsables de ce pays recherchent et trouvent des solutions définitives aux problèmes réels de ce pays ; c’est-à-dire : le passif humanitaire et la pratique de l’esclavage, déguisée ou voilée.
Réparer les injustices
Notre pays ne peut pas continuer à laisser sa crédibilité sociale, humanitaire, politique et morale en otage de problèmes qui freinent son développement, alors que des solutions réelles et définitives leur sont opposables. Pendant que des veuves attendent que le régime reconnaisse la responsabilité de l’État dans des événements douloureux qui prirent malheureusement des tournures dramatiques et qu’il mette en place un environnement politique favorable à la réconciliation ; pendant que des victimes avérées de l’esclavage attendent d’être judiciairement rétablies dans leurs droit ; nous autres mauritaniens passons nos journées à spéculer sur ce qu’Ould Abdel Aziz est pour Ould El Ghazouani et que sera Ould El Ghazouani, dans l’avenir, pour Ould Abdel Aziz. La profonde et solide amitié devenue éphémère entre ces deux hommes et ce que sera l’un pour l’autre ne nous regardent pas. Et ne doivent surtout pas nous éloigner de nos préoccupations réelles.
La Mauritanie est spoliée. Elle est vendue au marché noir national et international par des affairistes mauritaniens parfois malintentionnés qui profitent de la lenteur des pouvoirs publics à mettre en place une volonté politique réellement attelée à trouver des solutions définitives aux problèmes qui nous divisent et, surtout, perturbent notre cohésion et notre unité nationale. Il est important–primordial même, pour ce régime en période d’essai de cinq ans – de s’atteler à mettre au plus vite en place de très bons vrais mécanismes voués à réunir les Mauritaniens autour d’une table, pour trouver des solutions consensuelles définitives aux problèmes liés aux sujets qui fâchent. Pour être efficace, une vraie lutte contre la pauvreté doit commencer par mettre fin à l’injustice, à l’exclusion, aux inégalités, réparer les dommages et préjudices physiques, psychologiques et moraux causés à des mauritaniens par d’autres mauritaniens.
Les milliards que le gouvernement veut mettre à la disposition de la lutte contre la pauvreté doivent être affectés, avant tout, à réparer les injustices et à donner la priorité aux victimes de l’esclavage et des événements douloureux de 89. Parce qu’Il y a aujourd’hui, dans ce pays exportateur d’or, de cuivre, de fer et de poisson, des victimes de l’esclavage reconnues, par règlement de contentieux juridiques, en tant que telles mais vivant pourtant dans la plus totale misère, sans abri ni moyens réels de subsistance. Parce qu’il y a aussi aujourd’hui, dans ce pays dont le fer rapporte quotidiennement au Trésor public quatorze millions d’euros, des enfants de victimes des événements de 89 sans toit ni périmètre agricole à exploiter, avec désormais pour unique parent leur pays, mais vivant toujours pourtant en-dessous du plus bas palier de la pauvreté.
Guerre des tranchées
Or leur pays, leur désormais unique parent, la Mauritanie, est un pays riche. Très riche. Ould Abdel Aziz nous en a fait la très grande révélation avant son départ : la Mauritanie a énormément de moyens permettant à la fois (comme on l’a vu ces dix dernières années) de réaliser énormément de projets importants, dans les domaines de la santé, l’éducation, l’énergie et l’hydraulique, d’une part, et de bourrer, d’autre part, on ne compte plus combien de valises destinées à des paradis fiscaux. S’il s’y ajoute les retombées de l’exploitation du gaz réputé en abondance dans les profondeurs de notre sous-sol maritime, cela veut dire que nous avons largement les moyens de faire vivre dans la dignité – à tout le moins, réparer dans leurs droits – tous les mauritaniens victimes de l’esclavage ou des événements douloureux de 89. Cela signifie simplement aussi que la Mauritanie peut, si elle le veut, revenir au rôle que lui confère son statut d’État. Qu’elle peut se consacrer à l’essentiel et au plus urgent. Aziz, c’est du Aziz ; Ould Ghazouani, du Ghazouani. Aziz et Ghazouani, une affaire entre Aziz et Ghazouani. La Mauritanie ne peut pas continuer à tourner en rond autour de ces deux noms, nous faisant oublier l’essentiel de nos préoccupations nationales. Les mauritaniens victimes d’injustices contraires à tous les principes de Droit ne peuvent ni ne doivent continuer à regarder en spectateurs qui de Aziz ou de Ghazouani va gagner la bataille qui les oppose, à la fois amis et ennemis. La guerre des tranchées que se livrent ces deux généraux doit être le cadet de nos soucis.
M. Chighali
Journaliste indépendant