Pour mettre fin à cette situation de « seyba » dont nos gènes gardent traces indélébiles, un illustre leader religieux s’obligea de faire appel à la France et sa période de pacification/colonisation (1830-1960). Nanti d’armes très sophistiquées (fusils, canons et mitraillettes), le colonisateur nous imposa « la loi du plus fort » reléguant celle de la jungle au musée de notre histoire. Puis, à l’indépendance, en 1960, ce fut « la loi du parti unique », une forme plus subtile de la loi du plus fort, visant à faire rentrer tout le monde dans les rangs du Parti du Peuple Mauritanien (PPM). Capitale dans l’affirmation de la nation mauritanienne dans le concert des nations, cette période n’a plus laissé de place aux émirs et autres chefs traditionnels qui jouaient un rôle de médiation sociale important. Le système du parti unique avec son quadrillage du territoire, le PPM n’autorisait qu’unique mode d’expression, en interne du parti, avec ses cellules, unités et fédérations.
Les dégâts de le démocratie
À de rares exceptions près, la classe politique fut ainsi mise au pas, une cadence que l’armée connaît bien et qui lui permit, avec le vacarme des canons de la guerre du Sahara, de prendre sans peine le pouvoir le 10 Juillet 1978. Avènement de la « force des coups d’État »… De cette date à ce jour, les militaires (en service ou à la retraite) ont toujours détenu, directement ou indirectement, le pouvoir exécutif en Mauritanie, aidée par cette partie de la classe politique toujours du côté du « plus fort ».
La « démocratie importée », comme tant de produits exogènes, a fait d’énormes dégâts. L’expérience politique aux USA, en France ou en Inde est très différente de la nôtre et nous avons dû l’adapter à ce que l’Occident voulait qu’on fasse. C’est ainsi que le Sultan a force de loi dans les orientations et choix de notre démocratie. Force ordinairement soutenue par une partie de l’élite civile et financière, qui l’assure d’un nombre « adapté » de cartes d’identité partisanes. Avec un résultat fort mitigé : élections souvent contestées, séparation des pouvoirs pas très définie, chambres trop affiliées au pouvoir et autorités locales incapables d’assurer, faute de moyens financiers et de ressources humaines, la continuité du service public à leur niveau.
En soixante années d’exercice employées à affaiblir le pouvoir traditionnel pour asseoir le sien, l’État n’a pas laissé pratiquement aucune place aux formes traditionnelles de résolutions des conflits. Les anciennes élites se sont adaptées et certaines ont intégré l’Assemblée ou le Sénat dont la suppression suscite encore, notons-le en passant, une incompréhension persistante. Les confréries religieuses n’ont pas été suffisamment ni toutes associées à la résolution des conflits et à la réconciliation, alors que se multipliaient les fractures sociales, blessures dont on n’a dû cependant reconnaître, tout dernièrement encore, la vivacité. En se lançant dans la politique ou les affaires, certains cheikhs religieux, heureusement rares, ont provoqué le doute dans les populations qui ne voyaient plus qu’eux comme dernier refuge et recours moral et spirituel. Dirigeant des initiatives politiques ou trempant dans des affaires pas très claires à la Ponzi, cette minorité de nos leaders spirituels n’a pas renforcé la position générale qu’occupent nos guides religieux.
Le mur des lamentations
En cas de conflits ou de questions critiques, le pouvoir s’est également retrouvé avec une justice où se juxtaposent trois formes de Droit : musulman, moderne et traditionnel. Une situation trop souvent mère de sentiments d’injustice, pour ceux qui ne connaissent pas tous les rouages et subtilités de cet assemblage : en tel ou tel litige, faut-il s’adresser au cadi, à l’imam, au juge, au président du quel tribunal, à l’avocat, au ministère ? La personne qui détient le pouvoir paraît ainsi le seul recours : « le Sultan » en quelque sorte et, de fait, le culte de celui-ci n’a cessé de croître depuis le règne d’Ould Taya. Les murs de la présidence sont devenus en quelque sorte « le mur des lamentations » ou des recours, pour dénoncer une injustice ou réclamer ses droits. Et à chaque un nouveau président : « le Sultan est parti, Vive le nouveau Sultan ! ».
Faudrait-il réfléchir à la mise en place d’une démocratie à la mauritanienne, avec une Chambre au niveau national ou « Jamae El Wataniya » constitués d’émirs, chefs traditionnels et/ou religieux (cheikhs), représentants de la Société civile, du secteur privé et de la Diaspora ? Une chambre nantie d’un simple rôle consultatif. Seconde proposition, les candidatures à la représentation au Parlement ne devraient être retenues qu’au regard des compétences. Parmi les critères de ce choix, une qualification avérée dans au moins un des domaines débattus en cette assemblée ou en la « Jamae El Wataniya ». Les deux chambres ne se réuniraient qu’exceptionnellement, en début et fin d’année, pour examiner les orientations et les questions d’intérêt national. Le Parlement restant seul obligé à des sessions régulières tout au long de l’année.
Il faudrait faire de même au niveau régional et local. Un conseil régional et des conseils municipaux avec uniquement des habitants de la région, sans occupations à Nouakchott et forts de compétences avérées dans les domaines en rapport avec ces espaces ; également une assemblée régionale pour les arbitrages, les avis circonstanciés et le traitement des questions idoines. Les conseils locaux et l’assemblée régionale se réuniraient deux fois par an pour voter les budgets et orientations des conseils régionaux, puis tirer bilan en fin d’année. Tout comme le Parlement national, seuls les conseils régionaux et municipaux tiendraient des sessions régulières.
Une telle démocratie plus en phase avec notre culture et nos valeurs socio-traditionnelles sera tout à la fois soutenue par la consolidation de l’État de Droit et son plus efficace soutien. L’avènement de cette Mauritanie nouvelle célèbrera pour toujours « la force de la loi ».
Ethmane BA