Un appel à dépénaliser le blasphème dans les pays de l’ONU

Un appel à dépénaliser le blasphème dans les pays de l’ONU Cinq ans après l’attentat à Charlie Hebdo, l’ONG Reporters sans frontière constate que les leçons n’ont pas été tirées et appelle les organisations internationales et les États à protéger les journalistes face à la montée de l’intolérance religieuse.

« L’expression « je suis Charlie » signifiait : je suis solidaire, car je n’accepte pas qu’on puisse tuer au nom d’un dessin », quelque soit son sujet, rappelle le dessinateur Mykaïa, membre de Cartooning for peace, qui multiplie depuis dix ans les rencontres dans les collèges et lycées.

« Le gros souci est que la jeunesse ne lit plus le dessin de presse, elle n’en a plus la culture et les codes. Pour la plupart, un dessin ne peut pas se moquer du sacré, d’où un refus a priori du droit au blasphème ».

Le témoignage de ce dessinateur illustre une montée de l’intolérance religieuse, que dénoncent, cinq ans après l’attentat de Charlie Hebdo Reporters sans frontières (RSF) et deux rapporteurs de l’ONU sur la base du rapport The freedom of Thought de l’organisation Humanists International.

Blasphème ou apostasie punis de mort

Si huit pays ont retiré la notion de « blasphème » de leur cadre juridique depuis 2015, 68 États continuent de réprimer l’offense à la religion, avec des sanctions juridiques pour ces transgressions allant de l’amende à la peine de mort (Somalie, Mauritanie, Brunei, Pakistan, Iran, Afghanistan…), en passant par des châtiments corporels (Arabie saoudite) et des peines d’emprisonnement en (Égypte).

L’apostasie, dont des journalistes et dessinateurs peuvent aussi être accusés, est juridiquement condamnable dans 18 pays, dont 12 par la peine de mort. Certaines législations anti-blasphème ont même été renforcées, relève RSF, comme à Brunéi (île de Borméo) ou en Mauritanie.

L’Europe, meilleure élève

« C’est sur le continent européen que le processus de “dépénalisation du blasphème” a été entrepris le plus largement depuis 2015 », souligne RSF, en citant la Norvège, la pionnière (2009), l’Islande (2015), Malte (2016), le Danemark (2017), l’Irlande (2018). En France, où le délit de blasphème n’existe plus depuis 1881, il subsistait en Alsace Moselle, où il a été abrogé en 2017.

En 2019, trois pays ont suivi cette même voie : le Canada en février, la Nouvelle-Zélande en mars et la Grèce en juillet. « Si le délit de blasphème stricto sensu tend à disparaître en Europe, l’insulte aux croyances religieuses ou l’atteinte aux sentiments des croyants demeurent punissables dans certains pays », nuance l’ONG.

Les pressions des réseaux sociaux

RSF juge aussi « contestable » la récente décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) validant la condamnation pour blasphème d’une personnalité autrichienne d’extrême droite, « au motif de l’emploi d’un qualificatif peu amène contre le prophète Mohammed ». RSF s’interroge : cette jurisprudence laissera-t-elle encore la possibilité de caricaturer des prophètes ?

Même dans les États comme la France où le blasphème n’est pas réprimé, des journalistes doivent vivre sous protection policière à Charlie Hebdo, et la liberté d’expression subit pressions et menaces via les réseaux sociaux, comme le dénonce aujourd’hui l’hebdomadaire satirique dans son numéro spécial.

Dans ces pays, s’inquiète Christophe Deloire, le directeur général de RSF, il existe un risque sérieux que «les États, les plateformes et les médias cèdent, que l’autocensure l’emporte, et que le droit subsiste formellement, mais qu’il ne soit plus exercé».

Un appel solennel à une meilleure protection

Lors d’une conférence de presse, lundi 6 janvier, Christophe Deloire et les rapporteurs de l’ONU Ahmed Shaheed et David Kaye ont appelé à ce que les questions sur l’intolérance religieuse soient inscrites dans les actions internationales pour la protection des journalistes, en demandant notamment la dépénalisation du blasphème dans les États membres de l’ONU.

Aude Carasco

Source : La Croix (France)