Le 10/12/2019 – Mondafrique
Alors que le sentiment anti-français croît de nouveau au sein des populations dans le Sahel, Ahmedou Ould Abdallah, ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, estime que cette aigreur est parfois entretenue par les pouvoirs en place en Afrique.
Comment réagissez vous à l’enveloppe de 100 millions de dollars promise par l’UEMOA au Mali, au Niger et au Burkina Faso pour lutter contre le terrorisme?
Ahmedou Ould Abdallah : Je pense que c’est un bon exemple de ce qu’il faut faire avant de faire appel à l’extérieur, à l’ensemble du continent africain ou des partenaires extérieurs. C’est très bon qu’on montre qu’il y a une solidarité nationale et régionale mais j’espère qu’il y aura des mesures d’accompagnement parce que le problème n’est pas seulement l’argent. Il faut des mesures d’accompagnement.
Les trois pays qu’on a cités sont les plus affectés actuellement. Quand vos voisins, vos pays frères, vous aident il faut que vous fassiez un effort interne pour montrer votre engagement et cet effort interne, ce n’est pas seulement une meilleure formation des armées mais aussi ouvrir un débat, un dialogue national, pour ouvrir le champ politique.
Il y a un problème sécuritaire mais le problème sécuritaire ne tombe pas du ciel. Il faut que les gouvernements concernés, que le G5 Sahel et leurs amis ouvrent le champ politique à la société civile et surtout aux partis de l’opposition, qu’il y ait des fonts communs.
Je continue à répéter que si les radicaux sont solidaires, il faut que dans nos pays on montre une solidarité par des fronts patriotiques des fronts communs, ouvrir le gouvernement ou l’économie à toutes les couches de la population ou aux partis politiques les plus représentatifs.
Que dites vous du problème d’adhésion des populations à toute entreprise qui serait lancée du haut, des Etats…
Ahmedou Ould Abdallah : Nous ne pouvons pas avoir un gouvernement qui dit « je suis élu démocratiquement » – ce que tout le monde est prêt à accepter- mais il faut montrer qu’on s’ouvre davantage à la société civile, aux hommes d’affaires, aux syndicats et aux partis politiques d’opposition.
Qu’il y ait un véritable front commun pour faire face à des groupes qui créent eux-mêmes des ententes communes pour déstabiliser le pays. C’est important : solidarité extérieure, régionale, front commun intérieur tout en continuant à professionnaliser l’armée. C’est-à-dire s’assurer qu’il y ait de vrais entraînements des recrutements, des promotions de manière professionnelle et au mérite. C’est une lutte qui va être de longue haleine. Je ne dis pas que ça va être comme la Somalie. Je ne dis pas que ça va être comme l’Afghanistan mais il faut supposer que ça va être un combat de longue haleine et préparer les arrières.
Comment les politiques peuvent se mettre d’accord pour gérer ces aides ?
Ahmedou Ould Abdallah : C’est très difficile mais je pense que le G5 a un bon secrétariat général. L’actuel secrétaire général a une grande expérience nationale et il a une grande expérience internationale. Il a servi au sein des Nations unies.
Il n’y a pas de complot extérieur contre nous. Nous devons rattraper le retard passé et il faut beaucoup de modestie de la part de toute de l’élite, politiques ou autre.
Il faut changer la méthode de gestion de protocole, des tas de choses qui sont restées longtemps dans des armoires, dans des boîtes. Il faut s’ouvrir, être plus modeste, plus transparent et plus proche des populations.
Dans ce contexte où des pays ont montré leur solidarité avec le G5, il est bon qu’on mette fin aux démagogies qui veulent attribuer les difficultés actuelles ou la difficulté de résoudre la crise, soit aux Nations unies, soit à des pays extérieurs, en l’occurrence la France.
Nous devons concentrer les efforts pour vaincre un ennemi mais jouer à la démagogie que les Nations unies ne font pas d’un travail… tout le monde sait que les forces de maintien de la paix ont été établies et déployées pendant la guerre entre Israël et l’Egypte en 1956 et c’était donc pour séparer deux armées classiques.
Aujourd’hui, les Nations unies que ce soit au Congo Kinshasa ou en République centrafricaine ou dans le Sahel – au Mali en particulier – sont exposées dans un contexte où il s’agit d’une guerre civile. Donc il n’y a pas d’armées classiques à séparer. Il n’y a pas de front militaire à respecter et la tâche n’est pas facile. Donc dans ce cas, nous, élite civile et militaire, nous devons essayer de voir comment gérer cette question au lieu d’attribuer des fautes à tel ou tel pays, telle ou telle organisation.