Le discours d’investiture : entre l’apparent et le non-dit de Ethmane Ould Bidiel ( Première et Seconde partie )

                                                              (Première partie)

L’exclusivisme, la marginalisation et le racisme sont-ils vraiment ce qui infeste le pays ou c’est plutôt les visées communautaristes, particularistes et racistes, comme le prétend le président ?

Exceptées les organes de presse officielle, rompus à faire des éloges du pouvoir et de la désinformation leur fonds de commerce, l’autisme a fait main basse sur les médias privés, qui, en occultant ou presque le discours d’investiture du président Mohamed Ould Abdel Aziz, dont le décryptage des allégories et des métaphores méritaient plus d’analyses et de commentaires, ratent une nouvelle fois encore l’occasion de renouer avec l’histoire. Les médias privés qui suscitèrent en leur temps engouement et espoir de rupture avec le monolithisme, la propagande et la démagogie grâce à la libéralisation de l’espace audio-visuelle, ont absolument déçu. Peut-être que devaient-ils savoir que leur mission ne se limitait uniquement point à reporter directement ou en différé la cérémonie et l’allocution sachant que chacune peut bien en cacher une autre, comme c’est le cas. On souhaite qu’une telle déficience ne soit pas le résultat d’une volonté de collusion manifeste ou tacite avec le pouvoir.

D’aucuns peuvent rétorquer que le discours n’était ni hermétique ni mystérieux. J’ose affirmer que ceux qui le pensent n’y ont rien compris. On ne pouvait l’appréhender, du moins dans certains de ses passages truffés d’intimidations, qu’à travers un décryptage attentif qui puisse dépasser le sens premier des expressions en essayant de lire entre les lignes.

Mon objectif, dans cet article, n’est point l’évaluation du mandat écoulé de Mohamed Ould Abdel Aziz ni au plan politique ni au plan économique, même si, par ailleurs, j’ai l’intime conviction que plusieurs revers ont été concédés dans ces deux domaines, du fait de l’incapacité du président à tirer profit des situations favorables tributaires à certains facteurs d’ordre national et d’autres d’ordre géopolitique et économique international ; mon objectif étant cependant l’appréciation de la situation sociale relative aux droits humains considérés à l’unanimité comme seul gage d’unité nationale, de cohésion sociale, de sécurité et de paix civiles. J’ai nommé l’esclavage, le passif humanitaire, l’exclusion, la marginalisation, le racisme et le tribalisme que son Excellence pense à tort pouvoir résoudre par des formules grandiloquentes et des traitements superficiels et occasionnels, des fois par la surenchère, les provocations et les escalades.

Ces injustices multidimensionnelles, constituant de véritables volcans dormants dont on ne souhaite pas le réveil sont l’expression de déséquilibres structurels certains, surtout l’esclavage, auquel il faut trouver les voies et moyens de faire face avec force, sincérité et urgence ; tout en sachant qu’il n’y a pas des dangers plus grands, plus graves et plus imminents que ceux auxquels on oppose aujourd’hui la dénégation et/ou le refus d’un règlement total, à l’instar de l’esclavage. Aussi faut-il affirmer, dans ce cadre, que nous avons malheureusement été témoins d’un mandat présidentiel qui cristallise les mauvaises appréciations des problèmes doublées de manœuvres inconsidérées visant leur instrumentalisation et leur banalisation gans l’intension de les réduire à de purs et simples slogans politiques vaseux.

Il y a longtemps que les partis politiques et les organisations des droits humains comptés sur les communautés opprimées multipliaient les appels en faveur de la restauration des équilibres structurels entre les communautés. Ils n’ont toujours de cesse d’insister de nos jours comme par le passé sur l’impérieuse nécessité de prendre à bras le corps tous délits de justice et les préjudices historiques en faveur desquels l’instrumentalisation de la religion, l’assujettissement des opinions religieuses et l’utilisation du fonds culturel (mythes, légendes, contes, poésie, histoire et historiographie, etc.) ont été orchestrés en vue de charger la mémoire collective pour instituer, légiférer, légaliser, ancrer et de légitimer les tares et pesanteurs sociales.

Très honnêtement, on constate malheureusement que l’idée que sont faite, dans la foulée, certains, interprétant certaines passages du discours d’investiture comme preuve sur la bonne disposition du régime en place à rompre avec l’ordre préétabli et sa procession d’abus et de dysfonctionnements, est erronée. Certes le président semble avoir fait preuve d’aveu et à tue-tête sur des réalités que ses prédécesseurs et lui-même ont jusqu’ici considéraient comme tabous ; des faits qu’on nommait par détour et périphrase, de crainte d’heurter la volonté seigneuriale des maîtres d’esclaves dont le respect et la déférence portaient préjudices à de larges couches de la population mauritanienne confrontées au mépris, au défi et déni d’ostracisme et de stigmatisation.

Or il fallait, au moins, et en toute logique faire montre d’un peu plus de recul et d’attention pour bien comprendre les mobiles inavoués et les intensions réelles du président qui s’est érigé plus d’une fois en défenseur des stéréotypes et des pesanteurs qui ne seraient qu’au goût des nostalgiques du passé.

Malgré l’existence incontestable de l’esclavage et ses séquelles qui sont encore, pour l’essentiel, autant de raisons objectives de perdre patience , Ould Abdel Aziz s’évertue à les occulter au profit d’ersatz dénommés « les visées racistes, communautaristes, particularistes et tribalistes » dont le rappel en ce moment particulier n’est pas fortuit. En fait cela vise à détourner l’attention d’une partie de l’opinion publique nationale de plus en plus focalisée sur l’interférence des Nations Unies et dans la question, convaincue que le pouvoir et soutiens au sein de la société essuient des revers au plan international.

Rappelons que jamais les positions officielles des régimes sur l’esclavage et ses séquelles n’ont été constantes. Elles se sont caractérisées par la vacillation entre un révoltant déni du phénomène et une reconnaissance feutrée de ses séquelles. Dans l’un comme dans l’autre cas, leurs effets malencontreux ont rythmé la marche du combat anti-esclavagiste inauguré à la fin des années soixante-dix par le mouvement d’ELHOR laquelle s’est poursuivie sous l’égide de son leader emblématique Mesaoud Ould Boulkeïr, lequel, fort du soutien populaire, est parvenu à hisser haut la cause au rang des questions nationales par excellence, noble et juste, après avoir été longtemps objet de banalisation et du mépris. Le combat mené par SOS-Esclaves et autres organisations et mouvements de droits de l’Homme contemporains en matière d’abolitionnisme constitue une preuve de rejet cinglant par les Haratines d’une quelconque compromission sur cette question existentielle ou de toute autre prétention à l’exclusivité de la liberté et le droit de disposer de la vie d’autrui quelles que soient les raisons.

Malgré les revendications de plus en plus pressantes et les pressions de plus en plus fortes pour une éradication absolue de l’esclavage et de ses séquelles, le pays n’en demeure pas moins encore l’otage d’un système traditionnel et d’un pouvoir politique dont les intérêts se croisent partout où se fomentent et s’élaborent les complots et les manœuvres de perpétuation des pratiques d’esclavage, d’exclusivisme, de marginalisation, de favoritisme et de racisme. Certes des lois ont été promulguées, des traités et des conventions ratifiés, à chaque fois que les processions de contestataires se sont ébranlées ; mais jamais cela n’a pu obliger les autorités à les appliquer. Aujourd’hui, le défilement de Ould Abdel Aziz vis-à-vis de ses engagements et de ses devoirs de président de la République, ses visées protectionnistes d’une communauté et d’une race au détriment d’autres dont le ton menaçant et insultant dans le discours d’investiture à l’adresse des revendicateurs des droits à la justice et à l’égalité en est l’exemple, ne font tous que l’affaire des forces du conservatisme et du mal grégaires.

Voilà pourquoi la majorité des intellectuels et cadres Haratines, au sein de la jeunesse entre autres, accuse les autorités de parrainer le maintien des déséquilibres structurels et la volonté de préservation des avantages indument acquis de la nomenklatura seigneuriale maraboutique et guerrière. Voilà aussi une des principales raisons efficientes qui justifie le recul du pouvoir en place vis-à-vis de ses engagements d’ouvrer avec force pour l’ancrage de liberté, l’égalité et la justice. Ainsi l’on assiste sans surpris à la démobilisation tous azimuts de l’ensemble des rouages de l’Etat au grand mépris du patriotisme pour défendre jalousement le monopole des préséances édictées au gré des pesanteurs coutumières, leurs préjugés et leur logique discriminatoires aux relents de stigmatisation absolue.

Tous ces faits, participant du coup à un renforcement de l’étau asphyxiant de la condescendance teintée de dédain, expliquent pourquoi l’on s’achemine malheureusement aujourd’hui vers un durcissement de positions augurant d’un radicalisme certain, dont bien des événements qui se sont précipités ces dernières années ne sont que les prémices. En effet, pressentant, il y a de cela quelques années, l’imminence d’un radicalisme frisant l’extrémisme, Messaoud Ould Boulkeïr a aussitôt lancé un appel plusieurs fois réitéré dans le sens d’une mobilisation national grâce à l’enclenchement d’un processus concerté, reposant sur l’application de l’arsenal juridique national existant, dont la loi N° 0048 – 2007 constitue la pierre angulaire ; convaincu que les rapports sociaux apaisés sont inhérents à la reconnaissance dela dignité humaine dont le recouvrement de la plénitude des droits personnels et collectifs aux plans social, économique et social dans la justice et l’égalité sont la condition. Pour cela il va falloir procéder à une refondation systématique de la République sur la base d’un réel partage du pouvoir et des richesses du pays.

Aussi faut-il rappeler qu’en dépit de la promulgation de la loi criminalisant et sanctionnant l’esclavage, et malgré la levée de ces pratiques au rang de crime contre l’humanité qui ne peut tomber par péremption, les tribunaux mauritaniens s’empêchent de traitement impartialement et équitable des dossiers soumis. Ils préfèrent s’inscrire en faux avec les dispositions juridiques et défendre de façon attentatoire et pernicieuse les auteurs des crimes de l’esclavage. Souvent les décisions se prennent sur l’instigation des hautes autorités dont les agissements constituent un rempart à toutes les velléités de trépignement des lois nationales et des traités et toutes les conventions internationales ratifiées. Vu tout cela, la démission de l’administration, de la police et de la gendarmerie de leurs rôles respectifs ne nous surprend outre mesure.

Les esclaves et les anciens esclaves (Haratines) anxieux et impatients de s’arracher aux serres brutales de la servitude, aux affres de la privation, de l’humiliation, de l’exclusion, de l’incompréhension et de la trahison ont cru pouvoir compter pour une fois sur le concours des institutions de l’Etat. Cependant ni l’agence mâtinée Tadamoun bâtie sur les décombres de l’ANAIR pour, dit-on, éradiquer les soi-disant séquelles de l’esclavage, ni la création d’un simulacre de tribunal dit spécialisé n’ont au fond changé les choses. Ces institutions se sont révélés n’être que de viles slogans creux s’évertuant à transposer et reproduire ingénieusement la même sujétion incomparable, avatar d’un asservissement multiséculaire, perpétué par la volonté d’un système né de l’injustice et survivant de l’inégalité ;la fin étant de mystifier et impressionner les instances spécialisées des Nations-Unies tout comme l’opinion en vue de réhabiliter un régime complètement décrié et dépassé par le degré de dynamisme de certaines organisations mauritaniennes des droits humains, de plus en plus écoutés et dont l’influence au plans national et international est sans équivoque.

C’est exactement dans ce cadre que se situent les nominations successives de deux Hartines au poste d’ambassadeurs à Genève (seule mission diplomatique, sur un peu plus de cinquantaine à travers le monde, comptée sur les Haratines). Il s’agit respectivement de Monsieur Cheikh Ahmed Ould Zahaf et Madame Salka Mint Bilal Ould Yamar, chargés par le système de mener une guerre par procuration, en vertu de laquelle ils sont sommés de calomnier les abolitionnistes et autres activistes qui attestent l’existence en Mauritanie de fromes d’injustice horrible qu’exacerbent leurs velléités étatiques de dénégation et de dissimulation qui ne trompent personne.

La récurrence, ces dernières années, des visites de très hauts responsables des Nations Unies, à l’instar de Chahinïane, apporteuse chargée des formes d’esclavage et celui en charge du racisme traduit l’intérêt capital qu’accorde la communauté internationale aux règlements des préjudices. En effet, rien qu’à la lecture des rapports publiés, ces dernières décennies, par les commissions onusiennes spécialisées en droits de l’Homme épinglant les régimes se succédant au pouvoir en Mauritanie, on se rend à l’évidence que la sentence est sans appel. Suffisamment renseignées sur la recrudescence des revendications communautaires inhérentes aux dérives esclavagistes et aux pratiques racistes, la mobilisation des Nations unies se justifie par la prise de conscience des risques d’aggravation des dangers et la crainte de voir le syndrome malien se rééditer. D’autant plus que la sous-région, proie à l’insécurité et à l’instabilité politique et sécuritaire, dans un contexte international d’extrême tension, risque en l’absence de stratégies locales spécifiques doublées de mesures préventives adaptées de règlement des problèmes relatives à l’unité nationale et la cohésion sociale de se transformer en véritable poudrière.

Le constat est là, amère certes mais sans ambages. C’est un argument qui renforce davantage la position des défenseurs des droits humains plus que jamais convaincus que sans l’implication totale et sincère de l’Etat dans tous ses organes tous ces problèmes énumérés resteront entiers. L’on est surpris de constater que le pouvoir ne rate hélas jamais l’occasion de monter au créneau pour renier les évidences. Mais nous sommes certain du reste qu’un tel agissement, pourrait dans le meilleur cas, peut-être, assurer à son auteur le sursis, mais jamais la victoire.

Dans ces conditions où tout le monde s’interroge à raison sur le devenir de la Mauritanie, en ce moment particulier où les chocs à répétition, les actes de défiance, l’esprit de méfiance et parfois l’observation en chien de faïence ravissent la palme à la sérénité du débat sur l’ensemble des questions relatives aux torts et aux préjudices historiques, le pouvoir en place se berce d’illusions et se dérobe se délaçant de son devoir. Les preuves sont là. De jour en jour, elles s’accumulent sans appel : l’immobilisme, le langage de bois et la politique d’autruche. Parfois le pouvoir s’évertue à créer ses boucs émissaires à rendre seuls responsables des soi-disant échecs collectifs et en faire des objets de vindictes pour masquer son échec personnel de n’avoir jamais essayé…

 

(Deuxième partie)

Qu’est-ce qui exacerbe le radicalisme ? Est-ce le sentiment d’injustice que ressentent les Haratines ou le favoritisme dont jouissent les maîtres et les anciens maîtres creusant vertigineusement le fossé des disparités ? Ou c’est plutôt l’absence de collaboration et de sérieux de la part d’un l’Etat-oligarchique l’instrumentalisation politique ?

Il n’est pas surprenant que nous assistions aujourd’hui à la recrudescence du sentiment d’injustice et du favoritisme qu’attisent l’absence d’équité dans l’emploi, la répartition des postes de responsabilité et des ressources nationales. Aujourd’hui, l’approfondissement des disparités sociales, économiques et même politique sur la base de droit de la naissance et de la couleur favorise l’intolérance et la montée fulgurante du radicalisme et de l’extrémisme, perpétuant le mal sous la chape de plomb d’un ordre empreint d’archaïsmes et d’inaptitude à l’autocritique.

En effet, les premiers soubresauts du radicalisme se sont fait sentir avec le Front Uni de l’Action des Haratines (FUAH) créé dans la première moitié de 2008. C’est lui l’auteur du manifeste « Bilan : 50 ans de marginalisation et d’exclusion systématique des Haratines», dont les renseignements de l’Etat incapables de découvrir l’identité des rédacteurs, accuseront insidieusement un bureau d’Etude israélien d’être le concepteur. FUAH est une réaction de colère contre l’acharnement dont les esclaves victimes dont la récurrence des heurts opposant, à l’époque, esclaves et anciens esclaves (Haratines), d’un côté, et la féodalité traditionnelle (Beydhane) jouissant du soutien tacite des organes du pouvoir, de l’autre, ne sont des preuves irréfutables. Tous les accrocs, qui se sont produits, à l’époque, ont eu lieu sur fonds de démêlés ou conflits fonciers. Les cas des tirs à feu Demabt el Atchan, de bagarres rangées à Guerou et de Bareïna, etc. entre maîtres d’esclaves et les esclaves, ou bien la casse de Nouadhibou (en mois de ramadan), à la suite du lynchage d’un boucher Hartine par un groupe de Bidhanes, levant le voile sur l’implication odieuse et partisane des pouvoirs publics (administration, police, garde gendarmerie et justice), provoquent la lire collective des esclaves et anciens esclaves (Haratines) dans et hors le pays.

A cela s’ajoute le traitement inconsidéré réservé à la question d’esclavage par le régime de Sidi Mohamed, à la suite de promulgation de la loi de criminalisation et de condamnation des pratiques d’asservissement en l’absence des mesures d’accompagnement requises. En effet, l’incompréhension et le choc produits étaient sans appel. Le lancement officiel de la campagne de sensibilisation sur la loi donné à partir d’un lieu peu auguste et boycotté par le symbole historique de combat abolitionniste, le leader Messaoud Ould Boulkheïr, est la goutte qui a fait déborder le vase. Plus qu’une insulte, ces comportements ne pouvaient résulter, selon FUAH que d’une volonté officielle de l’Etat de banaliser les crimes et de se désengager de ses promesses d’œuvrer pour leur éradication.

Après la chute de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi rien n’a changé. Le même mépris, les mêmes machinations, la même et constante exclusion sociale, économique et politique des Haratines sur la base de l’origine et de la classe sociale. Faisant preuve d’incapacité de tirer les enseignements nécessaires des régimes antérieures, on a assisté depuis le coup d’Etat du08 Août de recrudescence desrevendications des esclaves et anciens esclaves (Haratines), de plus en plus endurcies par les mouvements de contestation aux discours corsés, à la faveur du népotisme, du racisme, du clientélisme politique, du tribalisme et de l’exclusion rampants.

C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’acte de l’autodafé de quelques livres de point de vue religieux, dont le niveau d’adhésion manifesté à son égard par certains et l’élan de compréhension qui a été exprimé par d’autres, appartenant dans l’ensemble à des populations discriminées et opprimées, sont largement révélateurs. Cela dénote une déception générale favorisée par l’obstruction totale et réelle d’horizon.

L’hégémonie du système traditionnel contribuant, le problème de Limalmine ou forgerons, victimes eux aussi d’une discrimination vieille de plusieurs siècles n’a pu être étouffé, malgré les prétentions subversives Beïdanes d’identité de couleur et de culture. Bien que condamné par principe, l’écrit blasphématoire de Ould Mkheïtir replace de la marginalisation et du mépris des castes au bas de l’échelle sociale au cœur du débat. Le voile dissimulant l’instrumentalisation, l’exploitation de l’imaginaire et la mémoire collective arabo-berbère dans tout ce qu’il y a d’affabulation mythologique est complètement levé, mettant à nu la classification des mauritaniens.

La prolifération à un rythme effréné des mouvements et des initiatives tout comme la répétition des actes inédits en réaction à la survivance des préjudices, est une preuve réelle et indéniable sur la montée fulgurante du radicalisme, lequel prépare le terrain pour l’émergence d’un extrémise embuant, si des mesures préventives ne sont pas prises à temps afin de contrer les dangers. C’est vrai que, selon certains, que j’ose d’ailleurs qualifier de minoritaires, les raisons d’exaspération et partant de pessimisme vis-à-vis de la situation sociale nationale peuvent paraître aujourd’hui moins nettes. Et pourtant les signes ne trompent pas. Les choses se détérioreront davantage, en l’absence d’un débat national sérieux sur l’avenir de la coexistence pacifique et le respect des différences.De ce fait, il devient plus que jamais urgent que l’on saisisse tous ensemble le sens du projet de nation et que l’on se mobilise pour faire de son accomplissement une priorité ; sinon il faut s’attendre à l’accumulation des frustrations, consécutives aux affres d’un système atavique discriminatoire à inscrire dans la logique d’une bombe à retardement qu’on appelle injustice et dont l’histoire nous enseigne qu’elle explose toujours de manière inopinée et sans crier garde.

En voulant négliger ou banaliser les risques de calque des attributions sclérosés ou encore se réfugier dans une fuite en avant par le recours à l’usure du temps, le pouvoir n’en fera qu’à sa tête. Car on sait bien que le parrainage des injustices et le protectionnisme communautariste ont toujours précipité la chute des Etats. En conséquence tout entretien et toute perpétuation de l’hégémonie de la race à travers la caporalisation des organes étatiques et de l’instrumentalisation idéologique pour faire main basse sur le pays tout entier seraient fatals.

La promesse d’affronter fermement « les visées racistes, communautaristes, particularistes et tribales », constitue-elle une reconnaissance implicite des réalités longtemps occultées ou un serment de menace visant les défenseurs de la justice de l’égalité, Excellence Monsieur le Président ?

Nous nous rappelons que le président Ould Abdel Aziz a promis, dans son discours d’investiture, de faire face, dit-il, aux défenseurs « des visées racistes, communautaristes, et tribalistes ». Néanmoins on peut se demander, à juste titre, sur les raisons et les motivations réelles d’un tel engagement qui n’est du goût que des forces réactionnaires. Ces allégations s’inscrivent en faux avec toutes celles, qui jusqu’ici exprimées, refusent tout esprit de compromis ou de compromission quant à reconnaître l’existence affective de l’esclavage, de l’exclusion, de la marginalisation, du particularisme et du tribalisme.Le passif humanitaire, lui aussi, longtemps tabou allait subir un sort pareil n’eût été l’obstination de la communauté internationale faisant suspendre la menace des juridictions internationales sur la tête des différents régimes comme une épée de Damoclès.

Malgré cela, et en dépit des prétentions du pouvoir qui se targuent d’avoir complètement clos le dossier du passif humanitaire, beaucoup de rescapés des années de braise et les parents des disparus, considèrent que le problème reste entier, refusant l’indemnisation et exigeant la publication de la cartographie des sépulcres tout comme l’abrogation de la loi d’amnistie des ethnocidaires, leur poursuite judiciaire et leur sanction.

A cela s’ajoute le refus par de bon nombre de déportés de revenir au pays ; le ras-le-bol des rapatriés du non recouvrement de la plénitude de leurs biens et droits dont l’accès à l’Etat civil, leurs fonctions et leurs pensions en ce qui concerne les fonctionnaires du privé ou du public.

Comment peut-on après tout rejeter d’un revers de main ces arguments sans équivoque et prétendre que tout cela n’est que du faux et usage de faux ? Quoique l’on dise, ces injustices évoquées tout le long de l’article ne sont pas l’œuvre de manipulateurs mordus de jalousie viscérale ni encore le produit d’imagination de sycophantes au service du sioniste international comme ont tendance à l’insinuer certains politiciens véreux. C’est vrai les Mauritaniens d’aujourd’hui sont sans repères ni sans critères de référence. L’homme est évalué selon son origine sociale et sa classe sociale. Et cela fragilise le pays, compromet son avenir et l’expose aux horribles cauchemars. Temps que l’on continue à opposer un non de recevoir aux appels de revendications légitimes, le risque de désintégration demeurera bien réel voire imminent, n’en déplaise au pouvoir qui feint ne point appréhender l’ampleur des défis gravissimes.

Nous nous demandons, en outre, pourquoi le Président a-t-il attendu ce moment spécialement pour reconnaître l’existence des menaces qui pèsent sur le pays ? Les premières décisions du premier gouvernement de ce deuxième mandat s’inscrivent en faux avec toute volonté de combattre les prétendues « visées racistes, communautaristes, particularistes et tribalistes ». Qu’il n’y ait sur 27 Ministres que 4 Haratines et 7 Négro-africains contre 16 Bidhanes prouve l’absence de sincérité et de sérieux dont Ould Abdel Aziz fait montre. C’est dire que ces déclarations sont un alibi et manœuvre dilatoire pour justifier le bâillonnement voire l’accablement et la brimade des défenseurs que n’ont jamais épargnés les critiques des régimes. C’est dans ce cadre que nous notons la récurrence, ces derniers jours, d’actes de restriction des libertés collectives, qui ont frappé entre autres le FLAM et la CLTM, suite à une stigmatisation au demeurant inique et ubuesque.

Le déséquilibre structurel est là, toujours entretenu par la logique du déni et des faux-fuyants sur fonds de jeu de mots aux relents de slogans vaseux faisant autorité à l’instar du « Président des pauvres », la « la lutte contre les prévaricateurs » et « le renouvellement de la classe politique ».

Au niveau national, le premier mandat de Mohamed Ould Abdel Aziz s’est caractérisé par des heurts violents sans précédents entre les forces de l’ordre et les abolitionnistes, qui ont valu à ces derniers une campagne de diabolisation rébarbative, du fait de l’instrumentalisation des organes de presse. Le cas de M’Barka Min Essatine, celui des frères Saïd et Yarg, l’incident d’Aïn Farb – Aïuon, le dossier de Ould Eveyjah, surtout l’incident d’Araft, le 13 Décembre, communément connu sous le nom de l’affaire de Mint Bacar Vall, pour ne citer que ceux-là, sont autant d’événements ayant mis à nu la politique partisane et inique du pouvoir oligarchique en place dont les militants et les sympathisants des droits Humains ont fait le frais. Le pouvoir manipulait la justice et atermoyait les verdicts à travers les poursuites extrajudiciaires et des parodies de justice sanctionnées par l’incarcération des anti-esclavagistes dont certains croupissent aujourd’hui dans les geôles pour avoir osé exprimer leur solidarité et leur soutien envers les opprimés.

Le dit « Manifeste Pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines » lancé en 2013 est venu rééditer le Manifeste du Front Uni pour l’Action des Haratines de 2008. C’est en soi une reconnaissance de la légitimité et de la légalité du combat anti-esclavagiste. Par leur mobilisation, ses auteurs, naguère divisés entre contestataires de la pertinence de la cause et accusateurs de ses leaders historiques d’être les ennemis de l’unité et de la cohésion, participent aujourd’hui à l’affaiblissement au renforcent de l’isolement du pouvoir.

Certes, il n’y a pas longtemps, une feuille de route de 29 recommandations a été élaborée par la société civile avant d’être amendée et adoptée par les Nations Unies, ce qui aurait dû être un tournant. Mais l’absence de véritable volonté officielle des autorités publiques et l’exclusion totale de l’ensemble des forces politiques dans l’effort visant à l’éradication du phénomène constitue une entrave.

D’autre part, je pensais qu’au lieu de s’engager dans une polémique byzantine, passant aux travers de l’essentiel et versant dans les contrevérités, les fulminations et le cynisme, il aurait été plus correct et plus judicieux que le président se demande –si jamais il aurait raison – pourquoi un semblant de communautarisme est parvenu à s’insinuer dans le tissu social, gangrenant les esprits et altérant des causes aussi nobles que l’abolitionnisme, l’antiracisme, les aspirations légitimes aux principes de justice et d’égalité ! Son Excellence devrait également s’interroger pourquoi ce sont aujourd’hui les descendants des segments assujettis de la société qui sont les seuls à assumer la responsabilité de défendre les opprimés, comme si l’esclavage et ses séquelles sont de l’exclusivité des Haratines, la stigmatisation du ressort des forgerons et le passif humanitaire la propriété des négro-africains seuls ? Ne devait-il pas se demander pourquoi nos frères Beydhanes ne s’engagent pas aux côtés du reste de leurs concitoyens victimes des préjudices historiques que dans de rares cas et juste des bouts des lèvres ? Et quand ils devaient parler des souffrances de ces congénères c’est « soit pour justifier celles-ci, soit pour dire qu’ils comprennent les raisons de leur perpétuation, ou encore ils s’ériger en spectateur voyant le feu venir sans qu’il ne daigne réagir » comme l’a décrit El Hadi Ould Mohamed El Moctar Nahoui dans un article publié le 06 Juillet passé ?

Il est évident que cette attitude de total désintéressement aux relents de mépris constitue une atteinte grave aux valeurs morales et spirituelles dont d’aucuns aiment tant se gargariser ? Elle est inhérente à un souci inavoué de préservation d’avantages indus dont les pouvoirs économiques et politiques sur lesquels certains ont fait main basse.

Il est temps que le président sache que les Mauritaniens ont besoin d’entendre la vérité et non la cacophonie des voix reniant à tous vents leurs souffrances et, encore moins, l’insinuation des menaces qui ne serviront qu’à davantage de jusqu’au-boutisme, de radicalisme et d’extrémisme. Osons franchir le rubicond et nommons les maux sans recourir aux métaphores et autres prétéritions. L’existence des violations des droits les plus horribles et les plus abjects, entre autres l’esclavage, est sans équivoque. C’est d’ailleurs sans surprise que la Mauritanie est considérée par les Nations Unies comme le plus grand pays esclavagistes. Une telles image ne saurait être effacée d’un coup de balai ni l’entretien des illusions.

Monsieur le président, on aura beau vociférer, jamais on n’arrêtera la marche du changement. L’expérience a toujours prouvé que l’échec des projets sociétaux fondés sur l’iniquité et l’inégalité est sans appel et irréversible. La Mauritanie n’est pas une exception. Ses opprimés n’ont absolument rien à perdre. L’obstination dans la dénégation des faits et la témérité sans jamais rectifier le tir peuvent retarder l’explosion, mais elles ne l’empêcheront jamais.

Sachons, Monsieur le président, qu’il est encore temps de changer. Mais pour cela il faudra corriger et le discours et le parcours. Et si jamais, n’en plaise à Dieu, la situation ne change pas, c’est à vous qu’incombera la responsabilité pour avoir fait rater aux Mauritaniens l’occasion de se réconcilier. Alors posons des actes fort constructifs.

Ethmane Ould Bidiel

SOURCE : LA TRIBUNE N° 689 DU 15 SEPTEMBRE 2014