Un outil dans notre combat politique
Les débats identitaires commencent à être affichés réellement durant les années 50, particulièrement à partir de 1958, avec la sortie dans la presse des colonies et dans celle de Paris de déclarations à caractères racistes et exclusivistes de certains leaders Bîdhân arabo-berbères.
Dans son numéro 334 du 21-27 avril 1958, un hebdomadaire de Dakar (Sénégal) « Echos d’Afrique noire » publie un article intitulé : « Les Maures veulent se rallier au Maroc parce qu’ils ne veulent pas être commandés par des Noirs ». Deux mois plus tard, dans le quotidien français, Le Monde du 29-30 juin, le vice-président du conseil du gouvernement de la colonie de Mauritanie, et futur président de la première république choisi par l’administration coloniale, Mokhtar Wul Daddah déclarait : « Si nous devions choisir entre une fédération maghrébine et une fédération d’AOF, nos préférences nous porteraient vers le Maghreb ».
[1]Territoires habités par ceux qu’on appelle communément, selon la terminologie coloniale « Maure » ou « Arabo-berbère », et qui se dénomment eux-mêmes, habituellement, « Bîdhân » qui veut dire « Blancs » par opposition aux « Sudan », les « Noirs ». Toutefois, depuis les événements de 1966 et surtout à partir de 1979 (Radio Mauritanie), le discours panarabiste revendique l’appellation « Arabe » à la place de « Bîdhân ». Le panarabisme obtus les conduit à affiche une hostilité maladive contre leurs identités partagées « raciales » (Noirs), culturelles (Berbères et juives) et géographiques (Afrique : ils disent qu’ils ne sont pas Africains).
[1]MARTY, Paul : « Considérations sur l’unité des pays maures de l’Afrique occidentale française » (Annuaires et Mémoires du CEHS/AOF. série B. 1916. pp. : 262-270)
[1]MARTY, Paul : « L’Emirat du Trarza ». Revue du Monde Musulman. Paris, Leroux. 1919, in 8°. 438 pages.
–SALL Ibrahima Abou : « Mauritanie du Sud. Conquêtes et administration coloniales françaises. 1890-1945 » (éd.). Paris, Karthala, 2007. 815 pages.
Face aux prises de position exclusivistes de cette personnalité qui prétendait construire l’unité de la Mauritanie, un conseiller territorial de la colonie du Sénégal, Dr Moustapha TOURE (1922 – vendredi 16 avril 2004) répondit dans le même journal : « (…) Si les Maures ne veulent pas accepter le jeu normal de la démocratie qui postule la loi du nombre ou que,(…) [s’] il leur coûte beaucoup trop d’être dirigés par des Noirs, le problème qui se pose à notre conscience nous Africains, nous Sénégalais, nous riverains du Fleuve, c’est celui du retour des Noirs de la Mauritanie actuelle dans la Fédération d’Afrique Noire, parmi leurs frères Nègres»[4]
Le Ministre d’Etat chargé des Affaires étrangères de Mokhtar Wul Daddah, Hamdi Wul Moukhnas (1968-1978), consolidera cette thèse dans une interview qu’il accorda au journaliste et ethnologue italien Attilio Gaudio dans un numéro spécial consacré en août 1976 au « Réveil mauritanien » dans la revue Remarques africaines de Bruxelles : « Certains observateurs ont peut-être été étonnés de notre entrée si tardive au sein de la Ligue des Etats arabes. En fait, elle est surtout due aux lendemains difficiles de notre indépendance. Nous étions alors coupés de tout et de tous. La colonisation nous avait intégrés à l’Afrique occidentale bien que notre culture soit arabe » [5]
[1] « Echos d’Afrique noire » Sur la photocopie de l’article que nous avons, le numéro et la date ne sont pas mentionnés.
[1] GAUDIO, Attilio : « Le dossier de la Mauritanie » Paris. Nouvelles éditions latines. 1978. 431 pages. p. : 270.
Chef de Service Maghreb et Afrique du Centre Ouest de l’Agence nationale italienne de presse (A.N.S.A.)
C’est le père de ce même Hamdi Wul Moukhnas qui a assassiné le leader politico-religieux du Fuuta Jaloŋ, Alfaa Yaayaa JALLO, dans le courant du mois d’août 1912 à Port Etienne où il était exilé depuis le mois d’octobre 1911. L’Administration coloniale française de Mauritanie avait fait courir le bruit qu’il est décédé des suites de mauvaises conditions de détentions ; mais, en réalité, il fut tué par ce garde Bîdhân à la suite d’une vive altercation. L’homme politico-religieux du Fuuta Jaloŋ se plaignait de ses difficiles conditions de détention. Le père de Hamdi Wul Moukhnas ne supportant pas d’avoir été engueulé par un « sale nègre » tira sur lui un coup de fusil mortel.
Durant la période coloniale, il faut préciser que le débat sur la question identitaire était rendu encore plus compliqué par les prises de position politique et idéologique raciste de l’autorité coloniale elle-même. Comme on dit en Pulaar ou Fulfulde : « jeddi ngalaa » (Nulle personne ne peut contester ce fait historique)
Comparés aux Bîdhân, les Noirs (Bamana, Fulɓe, H’râtîn, Sooninko, Wolof) étaient considérés inférieurs culturellement. L’administration coloniale avait la certitude qu’il y avait chez ces derniers un « vide culturel » qu’il fallait combler. Alors elle se crut dans le devoir de créer pour eux des écoles destinées à « (…) donner satisfaction aux légitimes aspirations des populations noires à la culture française »[6]. Tandis que chez les Arabo-berbères, le même gouverneur avait écrit « (…) il faut tenir compte du fait qu’il existe une civilisation musulmane fortement poussée que, partout nous respectons et favorisons »[7]. C’est la raison pour laquelle, à la différence des Noirs « (…) l’enseignement chez les Maures doit être avant tout un moyen d’action politique. (..) [pour] (…) former dans d’excellentes conditions et sans porter ombrage à l’esprit d’indépendance de nos administrés (…) »[8]. Le Lieutenant-gouverneur de Mauritanie par intérim, Beyries, a écrit quant à lui dans son rapport politique annuel de 1938 que l’enseignement constituait par ailleurs un moyen « (…) de doter la nouvelle génération d’une culture arabe que leurs parents n’avaient pas »[9]. Cette politique de l’enseignement fut renforcée dès 1954 par la publication de l’arrêté n°139 du 24 mai 1954 du gouverneur de la Mauritanie rendant l’enseignement de l’arabe obligatoire sur l’ensemble du territoire[10].
Donc, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas le premier gouvernement dirigé par Mokhtar Wul Daddah qui a imposé l’enseignement obligatoire de l’arabe, mais bien l’administration coloniale française. Les textes de février 1966 imposés par le régime de Mokhtar Wul Daddah étaient dans une logique de renforcement de cette arabisation.
La politique scolaire appliquée à partir de 1905, mais sans aucune formalisation au préalable, eut pour effet de diviser la communauté scolaire « mauritanienne » en deux groupes distincts sur des considérations raciales. En Mauritanie, dans l’exercice de l’administration coloniale, les « Mauritaniens » étaient administrés sur des critères raciaux aussi dans les domaines de la justice, de la santé, dans le recrutement pour l’armée coloniale, dans le paiement des impôts[11].
Un des successeurs de Beyries, Christian LAIGRET, quant à lui, avait trouvé normal que cette colonie (qu’il assimilait à une seule ethnie, celle des Bîdhân et leurs H’râtîn et esclaves) se tienne, après les élections de juin 1946, « (…) à l’écart de toute réforme et de toute propagande. [car], (…) la circonscription électorale unique Sénégal/Mauritanie avait déçu les Maures, peu satisfaits de voir « (…) un Noir représenter un pays de Blancs »[12].
Evidemment, les chefferies guerrière et Zwâya avaient fini par être convaincues par cette thèse coloniale qui affirmait l’appartenance de la Mauritanie à une seule ethnie, la leur, les Bîdhân, et la primauté de ceux-ci sur les Noirs, quelles que soient leurs appartenances ethnique, culturelle et sociale (Bamana, Fulɓe, H’râtîn, Sooninko et Wolof)
La volonté de confier la direction du pays à des dirigeants politiques bîdhân, la conviction acquise par ces derniers que la Mauritanie était une « colonie ethnique maure », l’argumentation classique de groupes d’influence permanents issus des administrations civile et militaire de la colonie qui luttèrent pour que celle-ci ne soit pas annexée au Sénégal pour des raisons de non-rentabilité, et selon laquelle il fallait tenir compte du « (…) refus et de la crainte des Maures d’être dominés par des Noirs »[13], les prises de position des Noirs, tout ceci constituait un ensemble de facteurs psychologiques peu favorables à une stabilité sociale et politique. C’est dans ce contexte de culture politique ethnico-raciste que la colonie de Mauritanie accéda à l’indépendance le 28 novembre 1960.
Cette date symbolise l’affichage officiel local et international de l’hégémonie politique ethnico-raciale des Bîdhân et de l’arabité de la Mauritanie construite et cautionnée avec un accompagnement très lisible d’une Administration coloniale française très raciste anti-Noirs dans le cadre de cette colonie.
Pour confirmer cette vocation raciste anti-Noirs et panarabiste, après les arrestations de septembre 1986, celles de 1987-1990 et les massacres de militaires WaalFuuGi (Bamana, Fulɓe, Sooninko et Wolof), les déportations de 1989-1990, le Système Bîdhân mit en pratique, pour la première fois depuis novembre 1960 une nouvelle et inhumaine action pour montrer ses réelles convictions idéologiques et ses fermes intentions de réaliser ses objectifs politiques et socioculturelles d’arabisation intégrale de la Mauritanie : les pendaisons d’Inal dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990.
[1] ANSOM. Aix-En-Provence. Carton 2256. Dossier 2. Enseignement en Mauritanie. 1950-1958.
[1] SALL, Ibrahima Abou : « Mauritanie du Sud. Conquêtes et administration coloniales françaises. 1890-1945 » (éd.). Paris, Karthala, 2007. 815 pages.
[1]caran : 200 MI 1872/ANS 2 G 46/20. Mauritanie. Rapport politique annuel 1946. III : Elections. P. 9. Il s’agissait du député Léopold Sédar SENGHOR, le futur président de la République du Sénégal (1960-1981).
[1]TERRIER, Auguste et MOUREY, Charles : L’expansion française et la formation territoriale. Gouvernement Général de l’AOF. Paris, Leroux, 1910. p : 301
Une inhumanité installée aux antipodes de la solidarité très humaine exprimée par un des rares Bîdhân qui fait exception : le lieutenant Mohamed Lemine Ould …, de la tribu des Tenwâjib. C’est seulement à Waalata que j’ai eu personnellement l’occasion de trouver pour la première fois depuis les arrestations de septembre 1986 ce cas exceptionnel de sympathie à notre égard. Dès les premiers contacts, il manifesta ce sentiment. Il commanda le fort pendant une courte période (27 avril – 27 juillet 1988). La raison de la brièveté de son séjour trouve, à l’évidence, son explication dans le témoignage de sa sympathie qu’il exprima à notre égard dès les premiers contacts dans notre salle d’enfermement. Une sympathie qui était mal tolérée par ses subalternes dont son premier adjoint, Mohamed Ould BOWBÂLI qui refusait ouvertement de lui obéir à chaque fois qu’il donnait des ordres pour une amélioration de nos conditions de détention. La plupart d’entre nous comprirent que ce qu’il avait vu dans la salle de séjour des prisonniers politiques le jour de son arrivée l’avait choqué : « Comment peut-on faire ça à un être humain ? Comment peut-on faire ça à des êtres humains, des musulmans, des Mauritaniens !». Il fit tout pour améliorer nos conditions de détention (amélioration alimentaire, ouverture des fenêtres qui étaient condamnées et qui le seront de nouveau après son affection pour sanction parce que son comportement humanitaire avait été signalé par ses subalternes à la Direction de la Garde nationale à Nouakchott). Le premier jour, dès qu’il sortit de la salle de détention, il envoya même un garde acheter au village de Waalata du sucre, des arachides et du lait en poudre pour ceux qui étaient les plus marqués par la malnutrition.
Une solidarité humaine qui contrastait dans son intégralité avec l’inhumanité absolue affichée par le lieutenant Ghâli Ould SOUVY, de la tribu des Awlâd Gheylân (Adrâr) : «On vous a fait venir ici pour vous tuer. Vous ne retournerez jamais auprès de vos familles. Nous vous tuerons tous à petit feu, et nous ferons des rapports dans lesquels nous dirons que vous êtes morts de paludisme. C’est fini pour vous. C’est ma mission. Ordre du patron».
Le nom du lieutenant Mohamed Lemine Ould …et ceux d’autres qui ont agi comme lui doivent être mémorisés et honorés publiquement un jour, même à titre posthume lorsque notre pays trouvera un jour sa dignité humaine.
Ce jour viendra. J’en suis convaincu.
A l’opposé, ceux des criminels qui ont organisé et réalisé ce sinistre projet de destructions humaines au nom de l’arabisation et de la Bîdhânisation de la Mauritanie et leurs « Tirailleurs sénégalais » administratifs et militaires issus des milieux H’râtîn, Bamana, Fulɓe, Sooninko et Wolof seront mémorisés dans la négative absolue. La justice citoyenne et républicaine absolue sera appliquée contre eux.
Si de leurs vivants ils ne sont pas jugés et punis, alors leurs descendances risquent d’hériter moralement de ces crimes commis contre les Bamana, les Fulɓe, les Sooninko et les Wolof au nom de l’arabisation et de la Bîdhânisation de la Mauritanie.
Des génocidaires en liberté : une honte pourl’Humain, une honte pour la Mauritanie
Comme on dit en Pulaar ou Fulfulde « Hare koko jokki haa poolgu » (le combat continue jusqu’à la VICTOIRE
Ibiraahiima Abuu SALL
2014, MBooy, 13 naasaande
[1][1]Territoires habités par ceux qu’on appelle communément, selon la terminologie coloniale « Maure » ou « Arabo-berbère », et qui se dénomment eux-mêmes, habituellement, « Bîdhân » qui veut dire « Blancs » par opposition aux « Sudan », les « Noirs ». Toutefois, depuis les événements de 1966 et surtout à partir de 1979 (Radio Mauritanie), le discours panarabiste revendique l’appellation « Arabe » à la place de « Bîdhân ». Le panarabisme obtus les conduit à affiche une hostilité maladive contre leurs identités partagées « raciales » (Noirs), culturelles (Berbères et juives) et géographiques (Afrique : ils disent qu’ils ne sont pas Africains).
[1][2]MARTY, Paul : « Considérations sur l’unité des pays maures de l’Afrique occidentale française » (Annuaires et Mémoires du CEHS/AOF. série B. 1916. pp. : 262-270)
[1][3]MARTY, Paul : « L’Emirat du Trarza ». Revue du Monde Musulman. Paris, Leroux. 1919, in 8°. 438 pages.
-SALL Ibrahima Abou : « Mauritanie du Sud. Conquêtes et administration coloniales françaises. 1890-1945 » (éd.). Paris, Karthala, 2007. 815 pages.
[1][4] « Echos d’Afrique noire » Sur la photocopie de l’article que nous avons, le numéro et la date ne sont pas mentionnés.
[1][5] GAUDIO, Attilio : « Le dossier de la Mauritanie » Paris. Nouvelles éditions latines. 1978. 431 pages. p. : 270.
Chef de Service Maghreb et Afrique du Centre Ouest de l’Agence nationale italienne de presse (A.N.S.A.)
C’est le père de ce même Hamdi Wul Moukhnas qui a assassiné le leader politico-religieux du Fuuta Jaloŋ, Alfaa Yaayaa JALLO, dans le courant du mois d’août 1912 à Port Etienne où il était exilé depuis le mois d’octobre 1911. L’Administration coloniale française de Mauritanie avait fait courir le bruit qu’il est décédé des suites de mauvaises conditions de détentions ; mais, en réalité, il fut tué par ce garde Bîdhân à la suite d’une vive altercation. L’homme politico-religieux du Fuuta Jaloŋ se plaignait de ses difficiles conditions de détention. Le père de Hamdi Wul Moukhnas ne supportant pas d’avoir été engueulé par un « sale nègre » tira sur lui un coup de fusil mortel.
[1][6] ANS. 2G34/139 (200MI 2657). Rapports statistiques scolaires 1933-1934. Mauritanie. Page 8.
[1][7] ANS. 2G34/139 (200MI 2657). Rapports statistiques scolaires 1933-1934. Op. Cit.
[1][8] ANS. 2G34/139 (200MI 2657). Rapports statistiques scolaires 1933-1934. op.. Cit.
[1][9] ANS : 2 G 38/1 (200MI 1792). Rapport politique annuel de 1938. Mauritanie. Lt-Gouverneur par intérim Beyries.
[1][10] ANSOM. Aix-En-Provence. Carton 2256. Dossier 2. Enseignement en Mauritanie. 1950-1958.
[1][11] SALL, Ibrahima Abou : « Mauritanie du Sud. Conquêtes et administration coloniales françaises. 1890-1945 » (éd.). Paris, Karthala, 2007. 815 pages.
[1][12]caran : 200 MI 1872/ANS 2 G 46/20. Mauritanie. Rapport politique annuel 1946. III : Elections. P. 9. Il s’agissait du député Léopold Sédar SENGHOR, le futur président de la République du Sénégal (1960-1981).
[1][13]TERRIER, Auguste et MOUREY, Charles : L’expansion française et la formation territoriale. Gouvernement Général de l’AOF. Paris, Leroux, 1910. p : 301
Par Sall Ibrahima Abou