RFI a diffusé jeudi dernier (3 octobre) une interview avec le chercheur François-Xavier Fauvelle qui présentait ce jour-là sa leçon inaugurale au Collège de France. Signalons que Monsieur Fauvelle a fait d’importants travaux sur le site de Sijilmâsa (Maroc) et qu’il vient d’achever avec sa collègue du CNRS Clémentine Gutron une visite d’exploration en Mauritanie pour jauger les perspectives de coopération avec les institutions scientifiques.
Le Collège de France, à Paris, aura désormais une chaire permanente entièrement consacrée à l’étude du continent, et c’est inédit. Baptisée « Histoire et archéologie des mondes africains », elle est confiée à François-Xavier Fauvelle, qui a prononcé jeudi 3 octobre au soir sa leçon inaugurale.
Ses cours sur l’Afrique médiévale, ouverts à tous, au Collège de France, commenceront à la fin du mois, à raison d’une heure par semaine. Et c’est un événement, tout un symbole, souligne le professeur Fauvelle. « Cela veut dire que quelque chose bouge dans nos perceptions, que nous ne soyons plus à une époque où l’on peut encore penser et dire qu’il n’y a pas d’Histoire sur le continent africain, ou qu’elle ne serait pas faisable », se réjouit-il, « au contraire, c’est un domaine de connaissance érudite, et la responsabilité de tous les historiens, c’est de diffuser ces savoirs détenus aujourd’hui par quelques dizaines de chercheurs ».
Parce que ces savoirs n’ont pas été suffisamment exposés, explique encore François Xavier Fauvelle, « le vide relatif s’est meublé d’affirmations péremptoires comme quoi il n’y a pas d’histoire de l’Afrique. Il s’est meublé aussi d’idéologies, de discours faciles, identitaires, comme l’afrocentrisme, qui voit une parenté unique entre toutes les sociétés africaines et l’Égypte antique ».
Mettre à bas les clichés
Pour mettre à bas les clichés dont souffre l’histoire du continent, François Xavier Fauvelle a lui-même publié des livres qui ont fait date, touchant le grand public. Parmi eux, Le Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen-Âge africain, en 2013, traduit depuis en une dizaine de langues. L’an dernier, il a aussi coordonné un volumineux ouvrage collectif, L’Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 ans avant notre ère – XVIIe siècle. Auparavant, en 2002, il avait publié sa thèse sur les Hottentots, ou plutôt sur le regard occidental porté sur ces populations d’Afrique australe depuis disparues, les Khoisan : L’invention du Hottentot. Histoire du regard occidental sur les Khoisan, XVe – XIXe siècle.
C’est d’ailleurs ce travail qui l’a incité à creuser plus loin l’histoire ancienne de l’Afrique. « J’ai eu le sentiment, à la fin de cette thèse, d’avoir appris plus de choses sur les sociétés européennes que sur les Khoisan, ces sociétés pastorales qui parlent avec des langues à clics, qui avaient été décrites et en même temps détruites par les voyageurs européens », explique l’historien, « c’est ce qui m’a incité à remonter plus haut dans le temps, à me doter de compétences archéologiques, en espérant déchirer les voiles qu’avaient interposé les sources européennes entre les sociétés africaines, et nous ».
C’est ce qui fait de lui aujourd’hui autant un érudit qu’un homme de terrain. François-Xavier Fauvelle a en effet depuis mené des recherches sur le continent. En Afrique du Sud. En Éthiopie aussi, où il a dirigé le Centre français d’Études éthiopiennes et co-découvert il y a une dizaine d’années des vestiges de cités musulmanes, et notamment d’Ifat, capitale du sultanat du même nom au XVe siècle. « Dans le grand public, on a l’idée d’une Éthiopie depuis longtemps chrétienne », raconte François Xavier Fauvelle, « en réalité, des sources chrétiennes du Moyen-Âge et des sources arabes extérieures mentionnent des sociétés musulmanes en Éthiopie. Longtemps, on a cherché au mauvais endroit, en se fiant aux écrits chrétiens qui laissaient entendre que l’ennemi musulman était forcément loin. On a fini par trouver ces villes musulmanes tout près du royaume chrétien », dit-il encore, « ce qui invalidait partiellement l’idée véhiculée par les sources écrites : toutes ces sociétés n’étaient pas simplement juxtaposées, ennemies les unes des autres, mais en conversation économique, politique ou culturelle les unes avec les autres ».
François-Xavier Fauvelle vient aussi de terminer un chantier de fouilles de huit ans à Sijilmâsa au Maroc. Il voulait en savoir plus sur cette oasis, principal port des sables pendant 700 ans, qui permettait de traverser le Sahara en 50-60 jours pour atteindre les Royaumes du Mali ou du Ghana et commercer avec l’Afrique de l’Ouest. Alors que ses cours au Collège de France vont démarrer, alors qu’il enseignera également dans la foulée à l’université américaine de Princeton, il reste membre du laboratoire Traces de recherche en archéologie, qu’il a dirigé de 2013 à 2017 à Toulouse.
Projets pluridisciplinaires et cosmopolites
Et ce jeune quinquagénaire volubile, qu’on dit boulimique de travail, avoue se chercher un nouveau terrain d’investigation, en Afrique de l’Ouest cette fois. Pourquoi pas en Mauritanie, ou au Mali ? « J’aurais par exemple envie de découvrir la capitale du royaume du Mali médiéval, à l’époque des rois Moussa et Souleymane, au milieu du XIVe siècle », précise le chercheur, « elle est sans doute quelque part sur la rive gauche du fleuve Niger. Deux auteurs arabes du XIVe siècle, Ibn Battûta et Al-Umari, la décrivent, si bien qu’on pourrait presque la dessiner, mais on n’est pas encore parvenus à la localiser. Cela reste un mystère ».
Pour François Xavier Fauvelle, rien de mieux que les projets collectifs, pluridisciplinaires, et cosmopolites, pour remonter le fil du temps en Afrique. Il faut, selon lui, croiser les sources, nombreuses, et variées. D’abord, des sources écrites existent, qu’elles émanent de voyageurs ou de marchands qui ont visité ces royaumes, ou qu’elles aient été produites par des sociétés africaines : « pensez à l’Éthiopie, par exemple, qui a une tradition écrite depuis plus d’un millénaire ; on a des milliers de manuscrits à notre disposition », souligne François-Xavier Fauvelle.
À cela s’ajoutent d’autres types de sources : « l’épigraphie (l’étude des inscriptions sur la pierre), les traditions orales, recueillies depuis un siècle ou un peu plus, l’archéologie, qui à elle seule est un continent documentaire encore largement enfoui dans le sous-sol de beaucoup de pays africains », mentionne le chercheur, « l’art rupestre, du Sahara au Drakensberg, et puis on peut partir aussi de la génétique des populations, des animaux et plantes domestiques, qui nous raconte elle aussi beaucoup de choses », et de conclure : « ainsi, on peut reconstituer des nappes d’histoire remontant à 10 ou 15 000 ans en arrière ».
D’où l’idée de faire appel à des confrères aux compétences croisées, pour ce cours au Collège de France. Il s’agira de raconter au mieux l’histoire des mondes africains, au pluriel, comme le souligne l’intitulé de la chaire créée au Collège de France. Car à la différence de l’Europe, des sociétés et des périodes très différentes ont pu cohabiter sur le continent.
« En arrivant à l’embouchure du fleuve Congo au XVe siècle, les navigateurs portugais ont par exemple découvert un puissant état centralisé, le Royaume du Kongo, qui avait tous les attributs de l’État, et qui était pourtant contemporain de sociétés pygmées de chasseurs-cueilleurs avec lesquels il était en interaction, économique en particulier. » « L’Afrique est un continent géographique », insiste François-Xavier Fauvelle, « mais c’est plusieurs continents d’histoire, qui évoluent dans le temps et sont connectés les uns aux autres, connectés aussi avec les mondes non africains ».