Le 27 Mai 2019, deux mois donc avant son départ du Palais gris, l’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz inaugurait, dans un tintamarre sans précédent, le barrage de Wad Séguélil, à Aïn Ehel Taya, dans la wilaya de l’Adrar. Long de 420 mètres et large de 19, l’ouvrage a été conçu pour alimenter un bassin dont la capacité de rétention était estimée à 19 millions de mètres cubes d’eau. Long de 200 mètres, son déversoir central devait réalimenter la nappe souterraine en assez suffisante quantité pour approvisionner, de manière permanente, les populations en eau potable et irriguer les oasis.
Après trente mois de durs travaux, le barrage était inauguré en grandes pompes, à cris et à joie des populations, accourues en très grand nombre de tous les coins de la wilaya, pour exprimer leurs remerciements au chef de l’Etat et lui faire leurs adieux, soixante jours avant la fin de son dernier mandat. Si l’on est peu au fait de l’étude de faisabilité de l’œuvre, on sait que la construction, entièrement financée sur le budget propre de l’Etat, a coûté six milliards d’anciennes ouguiyas au contribuable mauritanien, si ce n’est plus. Cinq cent cinquante millions de ce montant ont été versés à un bureau d’études mauritano-espagnol sélectionné pour le contrôle des travaux.
Trois mois après l’inauguration de cet édifice tant vanté par nos politiciens devant les populations –histoire sans doute d’envoyer le message, aux habitants d’Aïn Ehel Taya, qu’Ould Abdel Aziz avait réalisé, chez eux, ce que le président Ould Taya lui-même n’avait pas réalisé chez lui – on s’est rendu compte que cette « grandiose » réalisation n’était, en fait, qu’une opération de charme, doublée, tout à la fois, d’une arnaque, d’un détournement de deniers publics, d’un blanchissement d’argent et d’un sabotage économique délibéré.
Recel et blanchiment
Six milliards d’ouguiyas dilapidés pour un édifice qui n’a pas tenu plus de deux heures à la pression de l’eau des torrents. Le montant investi dans ce « méga »-projet : 6.000.000.000 MRO ; est l’argent des contribuables mauritaniens dont font partie le vendeur de la menthe, la vendeuse de couscous, le petit tailleur du coin, le laveur de voitures, le blanchisseur, l’écailleur de poisson, l’éboueur, le charretier, le coiffeur, le vendeur de béthiègue, etc.
Six milliards retirés des comptes du Trésor via Moctar ould Djay, (l’argentier converti, depuis quelques jours, en minier) pour être versés à une entreprise marocaine de génie civil, la fameuse STAM qui a déjà gagné le marché du canal de Keur Macène, attribué, tout comme celui là, sans appel d’offres. Et 550 millions, comme dit tantôt, à une société mauritano-espagnole pour le suivi technique des travaux de construction de ce barrage qui donne maintenant l’impression d’avoir été construit en banco ou en terre cuite.
Relayée par les sites web, les réseaux sociaux et les organes de presse, l’information passe comme un fait divers. C’est totalement inacceptable. Un scandale d’une telle gravité et à tant de ramifications inconnues doit faire l’objet d’une enquête rigoureuse, pour déterminer les responsabilités en ce qui ressemble fort à une rocambolesque arnaque financière.
La société marocaine (apparemment plus spécialisée dans l’incompétence que dans les travaux de génie civil) qui a empoché les six milliards pour construire, à la hâte, l’édifice et la société mauritano-espagnole qui a blanchi ce montant, en attestant, par un faux et usage de faux, que les travaux techniques de la STAM avaient respecté toutes les exigences du cahier de charges et satisfait à l’offre, doivent faire l’objet d’une enquête judiciaire. Si elles sont reconnues coupables et civilement responsables de la catastrophe, ces sociétés doivent être pénalement mises en examen, pour recel et blanchiment de biens publics. Le pays doit désormais divorcer de la complaisance, dans le choix des investissements et l’octroi des marchés publics, sur fonds de corruption.
Les dernières pluies ont occasionné d’énormes dégâts. Et les informations que rapportent les lanceurs d’alerte de l’administration centrale du ministère de l’Intérieur portent chaque jour à notre connaissance que des pylônes électriques sont tombés, des barrages ont cédé, des ponts se sont effondrés, etc. Autant de preuves que trop de réalisations accomplies et projets exécutés l’ont été avec complaisance et incompétence et que les exécutants ne respectent pas les règles de l’art en la matière. Pourtant indispensables, ces projets sont pratiquement devenus des prétextes pour détourner l’argent du contribuable, en puisant sur « les fonds propres de l’Etat ».
Il y a quelques années, le plafond d’une école de deux classes, construite par un entrepreneur sans compétences, s’effondra un matin, entre 9 et 10 heures. Il n’était retenu que par deux poutres en fer 6 qui n’avaient pas résisté au poids. Heureusement, c’était un dimanche et les enfants n’avaient pas cours. Si le plafond s’était effondré un jour de classe, quatre-vingt-dix-huit enfants des communautés villageoises de Mabrouk et Afniya, (à 15 kilomètres de Boghé sur l’axe vers Rosso), allaient périr ensemble. Aucune enquête ne fut diligentée, aucune poursuite engagée. Et l’affaire fut classée en fait divers.
Le gendarme de l’Etat, l’Inspection Générale, doit, en des cas comme ceux du barrage de Wad Séguélil ou de l’école de Mabrouk, mener des enquêtes, interpeller les responsables et, faute avérée, les poursuivre en justice. Mais l’Etat doit, surtout et avant tout, assainir les listes de ses prestataires de services. Les sociétés sans compétences avérées dans des domaines qu’elles prétendent maîtriser doivent être rayées des bases de données de l’Etat.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant.