Pourtant ce brillant Ingénieur, diplômé de l’École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne (France), et de l’École Polytechnique, Palaiseau (France), ancien Vice-Président de la Banque Africaine de Développement et ancien Ministre des Finances a toujours suivi l’actualité politique dans notre pays.
Aujourd’hui, cet homme discret, natif de la localité de Tékane, décide de rompre le silence et de monter au créneau, et ce, au moment où la campagne électorale pour la présidentielle du 22 juin 2019 bat son plein.
Ainsi, il livre sa lecture sur différentes questions d’actualité qui agitent actuellement la Mauritanie.
-Eveil Hebdo : Pourquoi Monsieur le Ministre avez-vous décidé de rompre le silence ?
Kane Ousmane : Je n’ai certes pas souhaité prendre la parole dans les débats publics dans notre pays depuis quelques années. Ce n’est certainement pas par indifférence par rapport à la chose publique mais, d’une certaine façon, parce que je considère que l’espace est suffisamment bien occupé par des gens qui le font relativement bien ; et aussi parce que je ne voyais pas ce que ma parole, isolée, apporterait dans les débats qui ont émergé ces derniers temps.
Avec la campagne électorale en cours, les choses changent. Les enjeux pour l’avenir du pays et celui de nos enfants sont suffisamment importants pour justifier une nouvelle attitude de ma part.
-Eveil Hebdo : En quoi cette élection est-elle aussi importante pour le pays ? qu’est-ce qui la différencie des précédentes ?
Kane Ousmane : Au moins pour trois raisons, ces élections sont particulières pour le pays.
C’est la première fois qu’un Président élu, au terme de la durée fixée par notre Constitution, organise des élections auxquelles il ne se présente pas. On nous avait trop souvent habitué à d’autres formes de changement à la tête de l’État.
Il faut ainsi remercier et féliciter toute la classe politique mauritanienne qui a permis ce progrès. C’est ainsi une bonne opportunité pour les mauritaniens d’enraciner un peu plus la démocratie dans le pays.
Observons ensuite l’offre qui se présente au choix des électeurs. Nous avons des raisons d’être satisfaits du fait que tout le spectre politique mauritanien est représenté. Nous sommes en droit d’espérer un choix informé de la part des électeurs et une évaluation objective des différents courants politiques qui occupent la scène.
Enfin, la situation du pays interpelle tous les patriotes. La sécurité extérieure du pays doit demeurer une priorité pour tous : l’actualité dans les pays voisins nous le rappelle tous les jours. Or, sans cette sécurité, aucun des autres problèmes auxquels fait face le pays ne pourrait être abordée avec la sérénité nécessaire.
La cohésion nationale qui a subi de multiples et sérieux coups de canifs au cours des dernières décennies est à reconstruire : aimer la Mauritanie c’est accepter son identité telle qu’elle est, pas telle qu’on aurait aimé qu’elle soit.
Avec sa population diverse, sa géographie unique, son histoire réelle. Les systèmes éducatifs et judiciaires, l’Administration, l’Économie nationale, entre autres, sont dans des situations qui nécessitent des choix forts, éclairés et urgents.
– Eveil Hebdo : Votre lecture de la campagne présidentielle : Précisément, avez-vous pris position pour soutenir un des six candidats ? Lequel ? Et pourquoi ce soutien ?
Kane Ousmane : Je vous ai dit que je suis satisfait de la diversité des candidatures. Mais j’aurais souhaité un débat d’une meilleure qualité ; débarrassé de « fake news », autour des programmes, des idées et des personnalités des candidats. Ce n’est malheureusement pas encore le cas. Cette critique s’adresse peut-être plus aux journalistes qu’aux candidats eux-mêmes.
Les personnalités qui se présentent à nous sont, pour la plupart, connues des mauritaniens : leur histoire et leur itinéraire professionnels notamment. Les programmes (pour ceux qui en ont) et les engagements sont déclinés jour après jour. Je considère cependant que, par respect vis-à-vis des mauritaniens, chaque candidat aurait dû élaborer, publier et mettre son programme à la disposition des électeurs.
Je suis surpris par le manque de transparence et/ou de préparation à ce niveau de la part de certains prétendants. Me concernant, en dehors de toute considération subjective, je considère avoir suffisamment d’éléments pour faire mon choix.
Je ne peux choisir que celui qui, par sa personnalité et son programme, répond au mieux aux défis actuellement posés au pays : l’exigence de sécurité, la nécessaire reconstruction de la cohésion nationale, la réforme du système éducatif, l’apaisement de la vie publique, la restructuration de l’économie nationale, l’empathie vis-à-vis de ceux de nos frères et de nos sœurs les moins favorisés sont clairement et intelligemment traités dans les discours et dans le programme du candidat Ould Ghazouani.
-Eveil Hebdo : Ce dernier n’est-il pas le dauphin de Ould Abdel AZIZ ? Mieux, il affirme qu’il a même demandé à ce dernier de faire un troisième mandat en violation de la constitution ?
Kane Ousmane : Au sujet du troisième mandat, je vous suggère d’aller à la source (comme j’ai eu à le faire) pour savoir exactement ce qui s’est passé…
Pour ce qui est du statut de « dauphin », ou peut-être de «candidat préféré », du Président sortant, il va de soi que mon choix ne saurait prendre cet élément en considération. J’éprouve beaucoup de respect pour ceux qui ont le sens de l’amitié.
Mais l’amitié est une notion privée qui ne peut et ne doit influer sur l’action publique. Mr. Ould Ghazouani a, dans son discours de candidature, revendiqué son droit d’inventaire non seulement sur le bilan du Président sortant, mais sur celui de tous ceux qui se sont jusque-là succédés à la tête de notre pays. C’est aux mauritaniens et à l’Histoire qu’il appartient de faire le bilan des uns et des autres.
Ce que je retiens du candidat Ould Ghazouani, c’est sa persévérance, dans son programme et dans ses discours, à rester fidèle à son message du 1er mars 2019. Ce qui me surprend chez ses adversaires, c’est l’insistance à lui coller un bilan (bon ou mauvais) qui n’est pas le sien. Analysons, apprécions, comparons les personnalités et les programmes de ceux qui sollicitent nos suffrages. C’est à cela qu’il convient d’inviter les mauritaniens.
– Eveil Hebdo: Vous n’êtes pas fatigué des militaires ?
Kane Ousmane : Je suis fatigué des coups d’état. Nous avons affaire à six civils (dont l’un a connu une bonne carrière militaire avant de réintégrer la vie civile) qui viennent, chacun avec sa personnalité, son expérience et son projet pour le pays, dans le cadre d’un débat démocratique apaisé, dans le strict respect des dispositions constitutionnelles, solliciter le suffrage des mauritaniens. Pour la qualité du débat, il faut toujours revenir à l’essentiel.
-Eveil Hebdo : On estime que le règlement du passif humanitaire demeure flou dans son programme, de même que la question de l’esclavage ?
Kane Ousmane : Le règlement de ces deux dossiers ressort de la sincère volonté politique de nos dirigeants. Il faut se convaincre que le temps et quelques discours ne suffiront pas à faire oublier à des franges importantes de notre peuple leur exigence de citoyenneté pleine et entière.
Parce que l’avenir ne se construit pas dans l’injustice et les frustrations, c’est dans l’intérêt de l’ensemble du Peuple mauritanien qu’il faut convenablement et durablement traité ces points sombres de notre société.
Parce que nous sommes un peuple unique, il appartient à notre élite d’inventer une façon à nous de cohabiter, de travailler et de nous épanouir ensemble. Vous noterez que c’est tout simplement l’engagement que prend le candidat Ould Ghazouani dans son programme. Il est rafraichissant d’entendre un tel discours de la part d’un prétendant aussi sérieux à la magistrature suprême de notre pays.
Son programme traite largement du problème de l’esclavage. Il reconnaît que le Passif Humanitaire est une plaie encore ouverte, et qu’il s’engage à faire face. Cet engagement pourrait rassurer et suffire quand on sait le sens que l’homme accorde au mot « engagement ». Je comprends cependant, en raison des tentatives passées d’escamoter le problème, que certains auraient souhaité plus de précisions à ce sujet.
Je suis de ceux qui croient que, au-delà du mal fait à plusieurs de nos compatriotes et à leurs descendants, le traitement du Passif de l’Esclavage et du Passif Humanitaire devrait faire l’objet d’une revendication consensuelle nationale, pas seulement de certaines composantes de notre Peuple.
Il faut aller aux racines du mal qui a engendré ces bêtises humaines. Le candidat Ould Ghazouani propose une réponse multiforme, à travers les réformes des systèmes judiciaire, éducatif, économique et social. Il faut prendre ces engagements au sérieux parce qu’ils peuvent, s’ils sont sérieusement mis en œuvre, être le début d’une nouvelle ère de fraternité et de justice entre mauritaniens.
Je sais que la colère et l’émotion ont été convoquées au débat en cours. Mais à l’heure des choix, de la préparation de l’avenir des générations à venir, c’est à la raison que j’invite mes frères et sœurs. Je comprends ces sentiments, mais, au risque de nourrir longtemps encore les sources de cette colère, il faut puiser au fonds de soi-même le courage nécessaire pour se convaincre que l’heure est aux solutions, et non récriminations ; aux choix positifs, non aux rejets.
Il faut, en toute objectivité, se poser la question de savoir lequel des six candidats aborde le thème de la Cohésion Nationale avec le plus de rigueur et de responsabilité. Et se déterminer en conséquence.
Enfin, l’élection d’un nouveau Président en juin ou juillet 2019 ne signifie pas la fin du combat pour les Droits de l’Homme en Mauritanie. La mission des associations qui se sont illustrées, avec succès, pour la promotion des droits des descendants d’esclaves, contre l’oubli et pour la justice en faveur des victimes de la politique des années 1986-1991, pour un accès équitable aux documents d’états civils, contre la spoliation des terres agricoles ne s’arrêtera pas au lendemain de ces élections.
Tout au contraire, reconnues (nous l’espérons) dans leur rôle d’intérêt public, elles continueront à veiller à ce que, dans la fraternité et la quiétude, la vérité soit dite et les droits rétablis.
– Eveil Hebdo : Ce sont de belles promesses !
Kane Ousmane Oui. Mais venant de ce candidat, je les prends au sérieux. Pour mon pays, je souhaiterais entendre des promesses équivalentes, en cohérence et en équité, de la part de tous les autres prétendants aussi.
-Eveil Hebdo : Au passage que pensez-vous du bilan du Président AZIZ ?
Kane Ousmane : J’apprécie la sécurité transfrontalière dont jouit le pays depuis plusieurs années. J’espère qu’elle perdurera très longtemps encore.
– Eveil Hebdo : C’est tout ?
Reconnaissons au Président sortant d’avoir introduit dans le débat public la nécessité de lutter contre la gabegie et contre la pauvreté. Ce sont des thèmes majeurs dans la vie d’une Nation. J’espère, là-aussi, qu’ils seront présents dans les préoccupations de tous ceux qui auront à porter une parole publique dans le pays.
-Eveil Hebdo : Enfin pensez-vous réellement que votre candidat peut résoudre les questions cruciales, de l’unité nationale, des droits humains, de l’indépendance judiciaire, et la pauvreté qui fait jour dans notre pays.
Kane Ousmane : Tout seul, je ne pense pas. Avec un appui massif du Peuple Mauritanien, je crois que c’est jouable. La Mauritanie dispose de potentialités certaines pour se hisser parmi les pays les plus performants du continent.
La pauvreté n’est pas une fatalité pour les mauritaniens. Le candidat Ould Ghazouani a identifié les leviers sur lesquels il est urgent et impérieux d’agir pour valoriser ce potentiel : la sécurité, la justice, l’éducation, l’exemplarité du comportement des dirigeants, la solidarité avec les faibles. Il appartient aux mauritaniens de faire en sorte que ces idées et promesses se matérialisent.
Propos recueilles par SMB
Source : L’Eveil Hebdo (Mauritanie)