A peine revenu d’une tournée dans le Golfe chez ses « parrains » émirati et séoudien, le général Abdel Fattah al-Burhane a réprimé le mouvement démocratique dans le sang. Un article de notre confrère Simon Petite du « Temps » (Suisse)
Après avoir fait tirer sur les manifestants installés au centre de Khartoum, au prix d’une trentaine de morts et de centaines de blessés, le général Abdel Fattah al-Burhane a lu mardi un communiqué à la télévision nationale. L’accord péniblement négocié entre les militaires et les contestataires est annulé. A la place de la transition civile qui se dessinait, c’est l’armée soudanaise qui organisera des élections «d’ici neuf mois». Une annonce qui sonne comme la fin de la révolution soudanaise, commencée en décembre dernier par des protestations contre la vie chère. Même si le mouvement de contestation appelle à poursuivre la lutte, la répression risque de dissuader les Soudanais de redescendre dans la rue. Mardi, la capitale était quasiment dé
Agé de 59 ans, moustache fournie, Abdel Fattah al-Burhane était totalement inconnu avant d’être propulsé à la tête du Conseil militaire de transition le 12 avril dernier. L’armée venait de déposer le vieux président Omar el-Béchir. C’est d’abord un autre général qui présidait l’instance, mais la rue le jugeait trop compromis avec l’ancien régime et continuait de braver le couvre-feu. D’où le choix d’Abdel Fattah al-Burhane, qui avait l’avantage d’être resté jusqu’ici dans l’ombre des casernes.
Des volontaires soudanais au Yémen
Son dernier fait d’armes était d’avoir organisé l’envoi de troupes au Yémen pour combattre les rebelles houthis. Pourquoi cette guerre en dehors des frontières soudanaises? Un retour d’ascenseur destiné aux parrains saoudien et émirati. Riyad et Abu Dhabi combattent les rebelles houthis, accusés d’être soutenus par le grand rival iranien. L’Arabie saoudite bombardant depuis les airs et les Emiratis ne fournissant pas assez de troupes au sol, il faut bien trouver de la chair à canon ailleurs.
Plusieurs milliers de Soudanais seraient ainsi déployés sur l’autre rive de la mer Rouge. Leur nombre exact n’est bien entendu pas communiqué publiquement. «Mais le général s’est vanté d’avoir gagné des millions de dollars dans l’opération, relate Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, à Paris, et spécialiste du monde arabe et méditerranéen. Les jeunes volontaires s’enrôlent pour venir en aide à leur famille, mais ils ne se doutent pas que leur paie est détournée.»
Un pays sous perfusion
Exsangue, le Soudan est sous perfusion des pays du Golfe. Les monarchies pétrolières ont promis 3 milliards de dollars pour renflouer la banque centrale soudanaise, dont 500 millions qui ont déjà été versés par Abu Dhabi. Ce n’est pas un hasard si le général al-Burhane vient de rendre visite à ces donateurs, tout sauf désintéressés. Fin mai, il était en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, mais aussi chez le voisin égyptien. Les trois pays sunnites, chacun tenu d’une main de fer, forment la colonne vertébrale de la contre-révolution face aux mouvements populaires dans le monde arabo-musulman. C’est donc à Riyad, à Abu Dhabi ou au Caire que pourrait avoir été prise la décision de mettre fin au mouvement démocratique, à la veille de la fin du ramadan.
Indice supplémentaire, le général al-Burhane était accompagné dans sa tournée par son adjoint au sein du Conseil militaire de transition, Mohamed Hamdan Dagalo, ou «Hemeti», chef des forces de réaction rapide, les troupes paramilitaires qui ont mené l’assaut sanglant sur les manifestants de Khartoum lundi. Ces forces sont les héritiers des sinistres janjawid, qui avaient exécuté les basses œuvres du régime dans la province rebelle du Darfour, à la frontière avec le Tchad. Une répression qui, en 2009 et 2010, avait valu à l’ex-président Omar el-Béchir d’être inculpé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre par la Cour pénale internationale. Ces dernières années, accuse l’ONG Human Rights Watch, les forces de réaction rapide ont été responsables d’innombrables exactions non seulement au Darfour, mais aussi au Kordofan du Sud ou dans la province du Nil-Bleu, autant de régions en lutte contre le pouvoir central.
Contrairement au général Burhane, originaire de la vallée du Nil – qui a toujours fourni les élites du pays –, Hemeti vient, lui, du Darfour. Mais mobiliser des combattants qui, contrairement aux officiers de l’armée régulière, n’ont aucun lien avec les manifestants n’est pas sans risque, souligne Marc Lavergne. «L’heure des comptes sonnera plus tard et les régions périphériques pourraient réclamer leur part dans le futur pouvoir.»
«Les monarchies du Golfe, quant à elles, préparent l’après-pétrole et l’extension vers l’Afrique est cruciale. Nous avons assisté à une OPA sur le Soudan», poursuit le chercheur. Le pays a beau avoir perdu la majeure partie de ses champs pétroliers avec la sécession du Soudan du Sud, il dispose d’une abondance de terres agricoles et peut-être de minerais rares. Des ressources qui intéressent également la Chine, très présente en Afrique de l’Est. Il est donc peu probable que les militaires soudanais soient sanctionnés pour avoir réprimé dans le sang le mouvement de contestation. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont demandé une réunion à huis clos du Conseil de sécurité de l’ONU. Washington a condamné la fin du Printemps soudanais. La Suisse, qui fournit depuis des décennies une aide humanitaire au Soudan, est, elle, restée silencieuse.