Le Monde Afrique a décidé de publier, le 27 mars 2019, l’un des articles de la revue Afrique contemporaine consacrée au Mali, qui ne verra pas le jour, suspendu par l’AFD, son organisme de tutelle, provoquant la démission du rédacteur en chef de la revue et celle de plusieurs chercheurs membres du conseil scientifique. Son auteur, Bruno Charbonneau, universitaire canadien, est directeur du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix, de Montréal.
Pour lui, les interventions internationales au Mali et au Sahel sont largement conduites selon une approche sécuritaire, pour ne pas dire militaire, en l’absence d’un cadre politique et stratégique consensuel.
Au-delà de la critique habituelle du monde anglo-saxon sur la politique africaine de la France, il est dommage de refuser un débat qui mérite réflexion, quitte à critiquer son auteur sur le fond. Deux points de l’analyse, qui ne manquent pas de perspicacité, font polémique.
D’une part, l’utopie de l’initiative de la force militaire conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), qui n’en finit pas de ne pas aboutir, bien ambitieuse au regard des contraintes matérielles, humaines et financières que rencontrent les armées nationales qui la composent. Or, Emmanuel Macron s’est engagé personnellement dans cette initiative dès 2017,
D’autre part, la concurrence du G5 Sahel avec le processus de l’Union africaine (UA) de 2013, signé à Nouakchott, qui constitue un autre ensemble de mesures visant à relever les défis de sécurité auxquels la région est confrontée, « et cela, malgré quelques efforts de rapprochement entre les éléments des deux processus » (Le Monde Afrique du 27 mars 2019). Autrement dit, la France a coupé l’herbe sous le pied d’une initiative africaine qui était en cours…
Globalement, l’analyse relève que, malgré les nombreuses interventions militaires internationales au Sahel, les conditions de sécurité ne cessent de se détériorer depuis 2015 et que l’accent mis sur la lutte contre le terrorisme par les partenaires internationaux des Nations unies a imposé une logique sécuritaire contre-productive par rapport aux initiatives pour la paix. Il est aussi relevé que le contre-terrorisme peut devenir un motif de harcèlement, d’arrestation, voire d’élimination de suspects ou d’individus « profilés » comme terroristes, tels les Peuls au centre du Mali, et que l’intervention internationale mine le retour de l’État malien de par sa présence même. Dans un tel contexte, la restauration de l’autorité de l’État semble, en effet, inconcevable, autant que le retrait des troupes internationales. On serait donc dans une impasse, un enlisement.
Je ne sais pas s’il y a une réelle dichotomie entre la lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix, mais ce qui est sûr, c’est que l’opération française Serval, en 2013, a sauvé le Mali d’une catastrophe et qu’aucun pays n’a soutenu la France dans son initiative.
Ce qui est vrai, aussi, c’est que, depuis cinq ans, les groupes armés terroristes (GAT) se sont fortifiés au contact des forces militaires étrangères en devenant supérieurs aux appareils militaires du mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), au point de s’attaquer, récemment, à la mission de formation de l’Union européenne (EUTM) proche de Bamako ainsi qu’à la force conjointe près de Mopti, au centre du pays.
La solution n’est donc pas militaire mais diplomatique. Une lueur d’espoir pourrait venir du changement politique à court terme en Algérie, acteur majeur et incontournable du processus de paix au Mali, et de l’acceptation d’une large autonomie d’une zone touareg au Nord-Mali. Cela assécherait les GAT, redonnerait confiance au peuple malien en relançant les accords d’Alger de 2015. Pour ce qui nous concerne, il nous faut abandonner l’illusion d’une FC-G5 Sahel, qui est une voie sans issue, et redonner la main à l’UA par un soutien au processus de Nouakchott.
C’est, à mon avis, uniquement à ces conditions que la communauté internationale sera plus ouverte à une participation financière à l’« alliance Sahel », le volet « développement » du G5 Sahel, qui peine aussi à monter en puissance à cause du déficit sécuritaire.
Source : Boulevard Voltaire (France)