L’amitié qui lie les deux hommes depuis leur jeune âge aura résisté à l’usure du temps et aux différentes turpitudes politiques. Le Président sortant aura honoré ses engagements dont doutait une partie de la classe politique mauritanienne habituée aux revirements et aux passe-droit.
Au lieu de rempiler pour un troisième mandat, le général Président a préféré passer la main à un dauphin qui s’apparente plus à un coéquipier en charge d’assumer une transition normale. M. Ould Abdelaziz a réussi cette transition malgré les acquis et l’aura dont il a joui auprès de plusieurs capitales d’envergure.
Au niveau régional, il a su jouer l’équilibriste entre les deux puissances voisines que sont l’Algérie et le Maroc, en conflit larvé depuis plusieurs décennies. Son successeur sera appelé à gérer cette donne géopolitique selon l’adage qui rappelle que le Mauritanien « empoigne la canne au milieu ».
Le principe de l’équidistance demeurera de mise. A Nouakchott, on n’ignore pas que tout déséquilibre dans la gestion des rapports avec les voisins immédiats engendre une menace réelle et immédiate.
Autre défi pour le nouvel homme fort de Nouakchott résidera en la consolidation de la cohésion de la société mauritanienne qui est plus tribale, comme le soulignait Christine Daure Serfaty dans son livre « La Mauritanie », que segmentaire, comme l’ont toujours signalé les stratégistes français.
Un défi des plus importants pour la survie d’une nation hétéroclite et récente que doit relever le Général Ould El Ghazouani. On comprend dès lors pourquoi cette transition s’apparente à celle déjà éprouvée en Russie entre Vladimir Poutine et Medvedev. On est donc devant un changement dans la continuité.
A charge pour le successeur de Ould Abdelaziz d’atténuer les tensions qui ont toujours marqué les rapports entre les trois castes principales, les Bidane qui monopolisent le pouvoir économique, politique et culturel, les métisses (les Sarakolé) et les Haratines, négro-africains victimes de rapports esclavagistes pourtant interdits par la Constitution.
Mais c’est à un autre équilibrisme que les deux généraux ont sacrifié pour épargner à la Mauritanie les soubresauts du terrorisme du Sahel et des menaces des groupes takfiristes de Daech et d’Al-Qaida.
Nouakchott qui a intégré la coalition internationale de lutte contre Daech et qui a supporté Riyad dans sa guerre contre le Yémen dans le cadre de la coalition arabe et qui plus est a été aux avant-postes des opérations Barkhane dans la zone sahélo-saharienne, n’a jamais essuyé d’attaques terroristes sur son sol. Avec le MUJAO et les Mourabitoune, des accords tacites auraient même été conclus.
Pour les observateurs de la chose mauritanienne, la complicité entre le Président sortant et le nouveau candidat reste très forte. C’est grâce à Ely Ould Mohamed Val, que les deux jeunes issus de la grande tribu des Oulad Ben Sbaa, ont rejoint les rangs de l’armée mauritanienne et envoyés, dans le cadre de la coopération avec le Maroc, à la prestigieuse Académie multi-armes de Meknès.
A l’époque, Ould Daddah était à la tête de l’Etat. Durant ce stage, les deux jeunes hommes ont pu acquérir une connaissance profonde des FAR et de la société marocaine. De retour en Mauritanie, les deux officiers deviennent les hommes de confiance du Président Mouaouiya Ould Sidi Ahmed Taya (1985-2005) arrivé à la tête du pouvoir sur un char d’assaut.
Ils eurent à hériter de postes sensibles, l’un étant promu chef de la garde présidentielle, bataillon surarmé, et l’autre commandant d’un bataillon motorisé basé à Naama, ville qui s’apparente à un « verrou » à la frontière avec l’Algérie. Si la chronique retiendra comme chef de file du coup d’état militaire de 2005 le Général Ould Abdelaziz, il ne faut pas minorer le rôle joué par Ould El Ghazouani, personnage énigmatique et tacticien reconnu.
Le putch n’a réussi que grâce à la complicité forte entre les deux officiers supérieurs. D’où la confiance mutuelle et la transition en cours… la question qui se pose serait dès lors de savoir si le nouvel homme fort de Nouakchott réussira (ou non) à tirer les leçons des échecs comme des acquis (politiques comme économiques) de son ami Ould Abdelaziz.