Dans les rues de Nouakchott, la capitale mauritanienne, le bonhomme aux boubous éclatants a toujours su capter les esprits et réchauffer les cœurs. Je ne l’ai vu que sur des photos, pourtant son regard m’a captivé. Je n’ai lu que ses lettres qui nous arrivent au compte-goutte et je peux vous dire qu’elles m’ont touché aussi. Biram Dah Abeid est un combattant, retenez son nom !
Au physique, c’est un colosse noir. Un visage fermé ou souriant selon l’heure, des yeux vifs et souvent rieurs, le cou d’un taureau gascon. Il y a du Mandela chez cet homme. Non pas le vieillard bienveillant aux chemises colorées mais le jeune Mandela, l’avocat des pauvres, le boxeur bon vivant et le théoricien de la libération qui n’avait pas eu d’autre choix que la lutte armée.
Ce jeudi matin 29 novembre, à l’heure où j’écris ces lignes, Biram Dah Abeid croupit jusqu’à hier dans une geôle mauritanienne depuis 115 jours. Son crime ? Lutter encore et toujours contre l’esclavage des Noirs dans son pays. Oui vous avez bien lu le mot clef : esclavage. Un esclavage, officiellement aboli qu’en 1980, persistant sous de multiples formes.
Né en 1965 au sein de caste des Haratins, ces Maures noirs descendants d’esclaves, Biram Dah Abeid est le premier de sa famille à entreprendre des études. Il opte pour le droit et l’histoire à l’université de Nouakchott. Sa thèse sur l’esclavage achevée, le petit-fils d’un affranchi se fait militant des droits humains et fréquente assidûment les prisons mauritaniennes. En 2008, le voilà à la tête de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), le combat est ardu et la reconnaissance lente à venir. Il reçoit en 2013 le prix des droits de l’homme des Nations unies.
Un an plus tard, le militant antiesclavagiste arrive second avec 8,67 % des suffrages lors du 1er tour de l’élection présidentielle mauritanienne de 2014 derrière le Président sortant Mohamed Ould Abdel Aziz, réélu avec plus de 80% des voix. Le 1er Septembre 2018, malgré son embastillement, Biram Dah Abeid a été élu député lors des dernières élections législatives.
En août 2018, il est à nouveau emprisonné pour « atteinte à l’intégrité d’autrui et menace d’usage de violence ». La plainte d’un seul journaliste a suffi au Parquet pour l’inculper et l’écrouer sur le champ. Commode, non ? Tout le monde a compris que cette arrestation est un coup politique monté par le pouvoir de Mohamed Ould Abdelaziz et destiné à neutraliser Biram Dah Abeid avant les prochaines élections, notamment la présidentielle de 2019.
Voilà pourquoi il nous faut retenir le nom de Biram Dah Abeid. Pourquoi il nous faut lire les ses lettres car son combat est le nôtre, surtout à l’heure où les peuples relèvent la tête, les humiliés et les moins-que-rien étonnent par leur force et où le mouvement Black Lives Matter a encore du pain sur la planche. Ce qu’il nous dit dans ses missives glace le sang :
« En Mauritanie, il ne s’agit plus seulement de servitude et de contrainte justifiées au nom de la religion et de la naissance ; si l’émasculation, le travail forcé, les sévices sexuels et la vente à l’encan tendent à disparaître, le mépris et l’exclusion demeurent. Les discriminations à l’emploi, le défaut de scolarisation et la banalisation des tâches indécentes recréent le statut de paria, sur la base invariable de la couleur. Le peuple noir de Mauritanie, en particulier les descendants de serviteurs captifs ou achetés, constitue la majorité laborieuse sur le dos de laquelle s’agrippe la minorité des exploiteurs. Les maitres d’hier le restent mais sous le vernis de la modernité et les faux semblants de la loi ».
Il nous faut défendre son combat, l’assurer de notre solidarité. Veiller sur la santé de Biram et sur celle de ses compagnons de geôle. La prison risque d’avoir raison du colosse au visage solaire. Aujourd’hui jeudi 28 novembre après 115 jours, le député a été conduit à l’hôpital, menottes aux poings, à la suite d’un malaise cardiaque. Le temps nous est compté. Il faut libérer Biram Dah Abeid toutes affaires cessantes.
Source : L’Humanité (France)