Le Calame : Les mauritaniens viennent d’élire leurs conseils municipaux, régionaux et les députés à l’Assemblée Nationale. Quelle évaluation vous faites de ces élections ?
Boydiel Ould Houmeid : Avant de répondre à vos questions, permettez-moi d’abord de souligner à cette occasion ma satisfaction morale pour avoir participé aux deux cycles de dialogues politiques qui sont à l’origine de l’arsenal des textes qui ont rendu possible aujourd’hui l’organisation d’élections libres et consensuelles dans de bonnes conditions, du point de vue des règles juridiques. Ces textes organisationnels et fonctionnels ont permis d’améliorer la représentation des partis politiques grâce au scrutin proportionnel instauré dans les départements ayant trois députés ou plus, ainsi que pour les listes nationales (Femmes et mixte) et la liste régionale de Nouakchott. Il faut reconnaitre qu’en ce qui concerne le système majoritaire à deux tours, le parti au pouvoir a beaucoup plus de possibilités pour influer sur les résultats du second tour. Grâce aux acquis de ces dialogues également, la représentation des femmes s’est trouvée renforcée plus que jamais auparavant.
Il reste que toute œuvre humaine a des insuffisances qu’il y a lieu de corriger à l’avenir. Parmi ces insuffisances, la plus flagrante est celle relative à la multiplicité extrême des listes candidates, rendant presque impossible l’organisation correcte du premier tour. Nous pensons qu’une solution doit être trouvée à ce problème, peut-être à travers l’introduction d’un mécanisme de parrainage par un certain nombre de citoyens ou l’augmentation du montant de la caution.
Pour revenir maintenant à votre question, et comme je l’ai évoqué dans mon introduction, je pense que les textes ont été bien conçus, mais le problème réside dans leur application. Je n’indexerai pas le pouvoir en tant que tel, mais je dirai que l’UPR a essayé et réussi à influencer certains Walis et Hakems qui n’ont pas joué le jeu démocratique et ne sont pas restés neutres vis-à-vis des candidatures en présence. Certains d’entre eux ont même été carrément partisans. Le Code électoral n’a pas été totalement respecté, dans la mesure où ce texte interdit aux titulaires de certaines fonctions d’aller battre campagne. De même, beaucoup d’irrégularités ont été constatées, s’agissant des représentations au sein des bureaux de vote. La CENI a été très complaisante dans la désignation de ses représentants locaux et dans celle des chefs de bureaux qui étaient majoritairement acquis à l’UPR. Dans certaines localités, nous avons assisté à des coïncidences troublantes, comme la distribution de vivres au moment de l’élection, avec obligation de passer par les lieux de distribution avant d’aller voter. Donc, l’opération a plus ou moins respecté les règles réglementaires et même organisationnelles, mais dans les faits, de graves irrégularités ont été relevées. Il y a lieu de les corriger à l’avenir pour permettre à notre pays de progresser en matière de pratique démocratique.
Contrairement à 2013, les résultats de votre parti, El Wiam sont catastrophiques. Comment en êtes-vous arrivé là ? Avez-vous une explication ?
Je ne dirai pas de nos résultats qu’ils ont été réellement catastrophiques, mais ils ont été évidemment très en deçà de ceux de 2013. Si nous n’avons eu que deux députés au lieu de dix dans la précédente législature, il y a des raisons à cela : d’abord, la multiplicité des listes candidates a atomisé et dispersé à l’infini le vote des électeurs ; ensuite, l’hémorragie créée et encouragée par la Majorité, dans la mesure où plusieurs de nos élus et cadres se sont présentés sur des listes de partis de la Majorité, y compris le parti au pouvoir.
Néanmoins, nous avons réussi à garder une place honorable au niveau des municipales, car avec 71 Conseillers municipaux, nous occupons le 6ème rang au niveau national et le 3ème parmi les partis de l’Opposition. Cela veut dire que nous restons bien enracinés dans le pays. Donc, recul oui, mais pas catastrophique comme vous dites. Du reste, les partis politiques évoluent toujours en dents de scie. Regardez l’évolution des grands partis depuis l’instauration de la démocratie dans notre pays.
Les partis de l’opposition rassemblée au sein de l’alliance électorale de l’opposition démocratique (AEOD) ont dénoncé des fraudes, la partialité de la CENI, la manipulation des résultats etc. Partagez- vous cette position ?
Je sais qu’il y a eu des irrégularités, comme je l’ai dit, des cas d’achat de conscience, de corruption morale et matérielle, des pressions administratives et tribales sur certains cadres pour les amener à changer de position politique. La CENI n’a pas été épargnée, parce que, cette fois-ci, les autorités locales (Walis et Hakems) n’ont pas été neutres, comme le veut le Code électoral qui les met à l’écart des opérations de vote et ne leur donne aucune emprise hiérarchique là-dessus. Les Hakems se sont ingérés dans la désignation de nombreux bureaux de vote, nous avons vu des représentants de la CENI relevés de leurs postes par l’autorité administrative, alors que ce rôle est dévolu à la CENI (cas de R’Kiz). En somme, il y a eu des irrégularités dues à l’implication des autorités locales et des responsables de l’UPR.
La CENI qui vient d’organiser les élections est une émanation des partis politiques de l’opposition dialoguiste, dont El Wiam et de la majorité présidentielle. Pensez-vous qu’elle a été à la hauteur de l’évènement? Pourra-t-elle, à votre avis, piloter la prochaine présidentielle ?
La CENI doit être professionnalisée et non pas nomadisée. Après chaque consultation électorale, les cadres sont remerciés, et à l’approche d’une nouvelle échéance d’autres sont recrutés. Tout ceci pour des considérations d’économie budgétaire. Or, en faisant de cette structure une institution permanente, l’objectif est de garantir sa professionnalisation au fur et à mesure. Personnellement, je pense que même s’il y a eu un tâtonnement au début, faute d’expérience, les choses se sont améliorées pour le second tour et j’estime qu’elle est en mesure de réussir ses prochaines missions. Seulement, elle doit gagner en indépendance vis-à-vis de tous les acteurs politiques et particulièrement l’UPR et l’Administration.
Ces élections de 2018 devraient être un test pour la présidentielle de l’année prochaine. Ce test est-il réussi ? La présidentielle pourrait-elle se passer dans la sérénité ? Serez-vous favorable à un dialogue, entre le pouvoir et l’opposition, pour l’organisation concertée et consensuelle de la prochaine présidentielle ?
Je pense que c’est un test réussi et que la CENI pourra très bien organiser les élections présidentielles, parce que, d’abord elles sont plus simples que celles que nous venons de connaitre qui se déroulaient simultanément. Maintenant, elle a devant elle une élection présidentielle, un seul scrutin, donc une urne unique et les candidatures seront moins nombreuses. Un dialogue pour quoi faire ? Ceux qui le demandent n’ont qu’à entrer en contact avec la CENI dont les portes sont largement ouvertes et engager des discussions avec elle, afin d’éviter les erreurs passées et envisager l’avenir avec eux, surtout que c’est l’un des leurs.
En dépit des déclarations moult fois répétées sur un 3e mandat pour l’actuel président qui doit quitter le pouvoir en 2019, nombre de mauritaniens continuent à s’interroger sur les véritables intentions de notre Rais surtout quand il dit à ceux qui réclament un 3e mandat d’accorder une majorité écrasante à son parti l’UPR. Que vous inspirent ces craintes et doutes de ces mauritaniens ? Pensez-vous, que le président Aziz qui a laissé entendre qu’il ne briguerait pas un 3e mandat, pourrait déverrouiller l’article 26 de la Constitution afin de briguer un 3e mandat ? Quelles peuvent être les implications, si d’aventure, cette hypothèse se produisait ?
Mon point de vue sur cette question est toujours le même. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz n’a jamais dit qu’il briguera un troisième mandat. Pourquoi voulez-vous qu’il en soit autrement. Moi, en tout cas, je n’ai jamais mis en doute sa parole à ce sujet, car il me l’a toujours dit et rien ne l’oblige à me le dire si ce n’est pas sa conviction.
Aujourd’hui que l’UPR a acquis une majorité très confortable, que pourrait-elle, en faire, à votre avis ?
Je suppose qu’elle en fera ce que n’importe quel parti politique ferait de sa majorité.
Cela dit, permettez-moi, avant de terminer, de tirer une conclusion au sujet de ces élections. Je pense, personnellement, que tous les acteurs politiques, qu’ils soient de l’Opposition ou de la Majorité, doivent se rendre à l’évidence que le salut de la Mauritanie ne peut se réaliser qu’à travers une démocratie réelle qui s’exprime par les urnes. Nous parlons tous d’égalité, de justice, de développement économique et social. Or, tout ceci ne peut être obtenu que dans le cadre d’une véritable démocratie. Nous devons aussi comprendre, pour les uns, que la démocratie ne s’acquiert pas par les boycotts, et pour les autres qu’elle signifie l’alternance au pouvoir. Si un système ne permet pas cette alternance, il ne peut pas être qualifié de démocratique. Ceci m’amène à dire que la classe politique mauritanienne qui se veut démocrate et républicaine est appelée à se retrouver pour définir les voies et moyens pouvant nous mener à une démocratie réelle qui tient compte de nos réalités et de nos valeurs.
Propos recueillis par
Dalay Lam