Le quintuple scrutin des 1er et 15 septembre 2018, liste nationale, liste régionale, liste des femmes, municipales et régionales, débouchera sans nul doute sur une inédite recomposition de la scène politique mauritanienne. Si l’UPR assure sa mainmise sur le pays, Tawassoul confirme qu’il est aujourd’hui le principal parti de l’opposition, renversant ainsi l’ordre des préséances longtemps détenu par le RFD d’Ahmed Daddah et l’UFP de Mohamed Maouloud.
D’autre part, les scrutins de 2018 marquent le déclin d’anciens partis comme l’APP, El Wiam, le Front Populaire, le RDU, tout en marquant la fin du vote communautariste avec les revers subis par les formations négro-africaines qui comptaient beaucoup sur le vote en leur faveur des populations de la Vallée ou de certains quartiers en milieu urbain à forte présence de noirs, comme Sebkha et El Mina à Nouakchott.
L’UPR s’affirme comme parti-Etat
Si Mohamed Abdel Aziz, parce qu’empêché par la Constitution, n’est pas officiellement président du parti Union Pour la République (UPR), il en est le véritable patron. Celui qui y fait et défait des carrières, n’hésitant pas à faire le ménage aux détours d’une refondation dont il avait confié les rênes à son alter ego, le colonel à la retraite Mohamed Ould Baya. Aussi, le président Ould Abdel Aziz n’a pas hésité à prendre son bâton de pèlerin et à endosser sa tunique de Chef d’Etat pour battre campagne en faveur d’un UPR affaibli par le mauvais choix de ses hommes dans des élections décisives, celles du 1e septembre 2018, où le parti jouait sa survie face à une opposition qui avait décidé de troquer sa sempiternelle position de boycottiste pour une participation active.
Au finish, l’UPR a arraché aux termes du 1er tour des élections législatives, 67 sièges de députés sur les 157 que comptera la future Assemblée nationale. Il fait mieux qu’en 2013 où il avait obtenu seulement 57 sièges au 1er tour, puis 19 sièges au second tour, totalisant 75 députés sur 147. En 2013, l’UPR avait cependant réussi à faire entrer 5 femmes au Parlement sur la liste des femmes, contre 4 seulement en 2018. Il est en ballotage au second tour où 22 sièges restent à pourvoir. C’est surtout à Nouadhibou, Nouakchott et à Zouerate où la compétition sera la plus féroce. L’UPR a aussi emporté, lors du 1er tour, quatre conseils régionaux sur les 13 du pays et 108 communes sur les 219.
La percée de Tawassoul, la chute du RFD et de l’UFP
Reconnu en 2007, les Islamistes de Tawassoul n’ont participé qu’à deux scrutins, les législatives-municipales de 2013 et les scrutins de 2018. Lors des élections de 2006 et 2007, la mouvance islamiste avait soutenu le parti Hatem de Saleh Ould Hanana qui avait réussi à obtenir 2 députés plus 2 autres en coalition avec APP de Messaoud Ould Boulkheïr. Idem pour la présidentielle de 2007, où Saleh Ould Hanena alors candidat avait réussi, avec les Islamistes, à se placer en 12ème position sur 20 candidats avec un score de 7,65% des suffrages.
Passant outre le mot d’ordre de boycott lancé en 2013 par la Coordination de l’opposition démocratique (COD) dont il était membre, Tawassoul, en l’absence des partis leaders de l’opposition, participe aux élections de 2013. Il arrache une victoire historique qui en fera la deuxième force politique en Mauritanie après l’UPR, parvenant à cueillir 16 députés à l’Assemblée Nationale, 14 communes, plus de 500 conseillers et le contrôle de 3 grandes communes à Nouakchott.
Cette position leader sur l’échiquier politique national, Tawassoul vient de le confirmer en 2018 où les Islamistes se sont enfin confrontés aux chefs de file de l’opposition radicale, tous ceux qui lui avaient déblayé le terrain en 2013. En effet, le RFD (Rassemblement des forces démocratiques) d’Ahmed Daddah, l’UFP (Union des forces du progrès) de Mohamed Maouloud, longtemps premières force de l’opposition depuis 1991, se sont placé loin de Tawassoul. Alors que les Islamistes faisaient entrer dès le 1er tour, 3 femmes au Parlement, le RFD et l’UFP n’ont pu en faire entrer qu’une seule chacun. Au total, ces deux partis pourraient aligner 5 à 6 députés tout au plus lors de ces législatives de 2018. Mais par contre, il est peu probable qu’ils puissent diriger une commune dans le pays.
C’est triste de constater, pour le RFD et l’UFP, le ravage causé par plus d’une décennie de boycott et d’absence sur la scène politique, qui a fini par faire effriter leur électorat. En 2006, dernier scrutin auquel ces deux partis avaient participé, le RFD avait 16 députés, l’UFP 9 députés et les islamistes dissous au sein du parti HATEM seulement 5 députés. Le RFD contrôlait plusieurs mairies à Nouakchott, notamment Tevragh-Zeina, Teyarett, Le Ksar, avec un raz-de-marée au Trarza, Ouad Naga, Rosso, R’Kiz, Boutilimit, mais aussi dans le Brakna, comme à MBagne, Dar-el-Barka, et plusieurs zones de la Vallée. L’UFP contrôlait aussi plusieurs communes de la région, comme Boghé, Aéré Mbar, sans compter Sebkha à Nouakchott et Tijikja au Tagant.
La déconvenue des partis négro-africains
Les scrutins du 1er septembre 2018 ont surtout été marqués par la déconfiture des partis dirigés par des Négro-africains. L’AJD/MR (Alliance pour la justice et la démocratie-mouvement pour la rénovation) d’Ibrahima Moctar Sarr qui avait réussi en 2013 à obtenir 4 députés à l’Assemblée Nationale, risque de ne pas obtenir l’entrée de son président à l’Assemblée Nationale. Extraordinaire est en effet l’importante perte qu’AJD/MR a enregistré. En 2013, le parti de Sarr totalisait sur la Liste Nationale Mixte, 15.577 voix, soit 2.61% des suffrages exprimés, contre 7.102 voix en 2018, soit la perte de plus de la moitié de son électorat.
Sur la Liste des Femmes, AJD/MR fait partie des 66 partis politiques qui ont enregistré moins de 1% des suffrages, alors qu’en 2013, il avait engrangé plus de 1% des voix pour lui permettre de faire entrer une femme au Parlement. C’est surtout à Boghé, mais aussi à Zouerat où l’AJD/MR semble conserver une partie importante de sa force, étant l’un des protagonistes essentiels, avec APP et Tawassoul à tenir aujourd’hui la dragée haute au parti au pouvoir et son puissant candidat, l’ancien colonel Cheikh Ould Baya. A Nouakchott, le parti a même reculé dans son fief de Sebkha, se contentant des seconds rôles entre les deux candidats en lice.
Le MPR (Mouvement pour la refondation) de Kane Hamidou Baba, ne se porte guère mieux, car sans député à l’issue du scrutin de 2018 ni maire. Le PLEJ (parti pour la liberté, l’égalité et la justice) de Bâ Mamadou Alassane est dans la même situation, absent du prochain Parlement et n’ayant même pas pu s’imposer chez lui à Maghama au Gorgol. En 2016, une partie de son staff politique avait décidé même de le destituer, l’accusant d’avoir « choisi la dictature pour instaurer le désordre et le chaos au sein du parti » (http://www.cridem.org/C_Info.php?article=680835)
Ayant flirté un temps avec la majorité, il se décidera plus tard à basculer dans le camp de l’opposition dite radicale, rappelant à qui veut l’entendre qu’il est le Dialogue personnifié, en référence à son sobriquet de « Bâ Dialogue » hérité du temps où il était ministre de l’Education Nationale sous le règne de Me Moctar Ould Daddah, lors de la 1ère République.
Le parti Arc-en-ciel que dirige Alassane Hamady Soma Bâ dit Balas, vidé des trois quart de son directoire à la veille des scrutins de 2018 pour avoir fait la place belle à la famille restreinte du président du parti sur les têtes de liste, a recueilli moins de 1% des voix ; donc sans député et probablement le moindre conseiller.
Tous ces partis négro-africains ont compté sur les voix de la Vallée, peuplée par une écrasante majorité de populations négro-africaines (Wolofs, Halpulars, Soninkés), ils ont découvert à leurs dépens que le vote communautaire n’est pas une donne politique en Mauritanie.
La forte avancée des partis de la majorité
Dernier refuge des transfuges de l’UPR, tous ces mécontents et ces mal placés sur les listes du parti-état, les partis de la majorité ont connu des percées extraordinaires, à l’image de l’UDP, El Karama ; AND, Sursaut. Ces partis ont surtout percé dans les régions du Fleuve, empiétant avec un grand succès sur les plates-bandes de l’opposition, et le fief désigné des partis négro-africains.
Ainsi, après l’UPR, c’est l’UDP de la ministre Naha Mint Mouknass qui pointe, souvent devant Tawassoul, comme principale force politique dans la Vallée et dans d’autres régions du pays. En effet, sur la Liste Nationale des Femmes et sur la Liste Nationale Mixte, le parti UDP pointe en 3ème position en termes de voix, après l’UPR et Tawassoul. Elle est suivie de Karama qui pointe à la 4ème place, puis vient l’AND de Ould Moine, devant l’UFP et le RFD qui viennent en 5ème et 6ème position.
Paradoxalement, la Vallée a basculé avec armes et bagages dans le giron de l’UPR et de ses satellites, alors que ses populations négro-africaines étaient censées servir de fer lance à l’opposition dite radicale et aux partis d’obédience négro-africaine qui les ont toujours dépeints comme les parias de la Nation et les supposées victimes de politiques racistes et discriminatoires. A Bababé, Boghé, MBagne, ou encore à Sélibaby, Ghabou, Ould Yengé, Mbout, Kaédi, Maghama, Mounguel, les populations ont massivement voté pour l’UPR ; l’UDP ; Karama et Sursaut.
Pourtant en 2013, les partis de la majorité ne faisaient que ramasser les miettes laissées par l’UPR, Tawassoul, APP et El Wiam. En 2006, l’UDP boxait dans la catégorie des poids plumes. Mais en une décennie, le parti de Naha Mint Mouknass est parvenu à s’asseoir un électorat fort et puissant. Quant au parti Karama, sa percée soudaine sur la scène politique reste énigmatique, car en 2013, ce parti avait obtenu certes 6 députés, mais il est parvenu aujourd’hui à damner le pion à bien de partis plus endurcis comme le RFD et l’UFP ;
SAWAB, l’inattendu outsider
S’il y a un parti politique qui a créé la surprise au cours des scrutins du 1er septembre 2018, c’est bien le parti Sawab. L’extraordinaire ascension de ce parti d’obédience Baassiste, qui n’a jamais obtenu le moindre élu depuis sa création en 2004, est due essentiellement à son mariage avec l’aile politique du mouvement IRA et son alliance avec le leader antiesclavagiste Birame Dah Abeid. Malgré son incarcération à la veille du scrutin où il était tête de liste sur la Liste Nationale Mixte, le lauréat du Prix des Nations 2013 pour les Droits de l’Homme, restera le candidat le plus emblématique de ces consultations. Grâce à leur maîtrise de l’action sur le terrain, leur discipline et leur fougue, les militants d’IRA porteront le combat haut et fort.
Grâce à eux ; le parti Sawab compte désormais 3 députés à l’Assemblée Nationale, y compris un candidat qui a fait sa campagne à partir d’une cellule de prison, en plus de Coumba Dado Kane militante infatigable de la cause antiesclavagiste et du président du parti Adessalam Horma. Cela, sans compter les dizaines de conseillers municipaux et régionaux que le parti est parvenu à engranger. Selon un observateur averti de la scène politique, « la coalition Sawab/RAG, a presque obtenu le score de 8% cueilli par Birame Dah Abeid et IRA aux présidentielles de 2014 et le 1% traditionnel de l’électorat de Sawab« .
Parmi les partis qui ont enregistré une importante perte de vitesse, le parti El Wiam de BoIdiel Ould Houmeïd et El Vadila de Outhmane Ebou El Maali. Si le parti El Wiam reste incontournable dans la région de Keur Macène, notamment à NDiago, il a perdu beaucoup de terrain sur l’échiquier politique national. En 2013 ; El Wiam comptait 10 députés à l’Assemblée Nationale et contrôlait l’importante commune de Rosso. Aujourd’hui, le parti peine à arracher un seul député ; à moins qu’il ne remporte le duel qui devra l’opposer au second tour au candidat de l’UPR à Keur Macène.
Idem pour El Vadila qui avait en 2013, trois députés, et qui se retrouve avec zéro député dans la prochaine Assemblée Nationale, tandis que son fief de Maghta-Lahjar est en train de lui être arraché par le parti au pouvoir. Autre parti en très grand recul, Hatem de Salah Ould Hanena, qui avait 3 députés en 2013 et la commune d’Aïoun. Mais les années de boycott au sein de l’opposition lui a fait perdre l’essentiel de son électorat de base. Aujourd’hui, faute d’avoir pu obtenir le moindre siège au parlement, il lutte pour récupérer Aïoun.
Alors que les épreuves décisives se préparent pour le second tour du 15 septembre 2018, la Mauritanie s’apprête à vivre sous une scène politique entièrement remodelée, avec en perspective de spectaculaires rebondissements politiques qui préfigureront l’image du pays après 2019.
Cheikh Aîdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)