10 juillet 1978 – 10 juillet 2018 : Quarante ans déjà

La génération CMRN a aujourd’hui quarante ans. Quarante ans de grosses bévues.

(Cet article a été publié dans le journal Le Calame n° 599 du 11 juillet 2007 à l’occasion du 29ème anniversaire du coup d’Etat du 10 juillet 1978)

Il y a 29 ans, le ‘’10 juillet’’

Il y a 29 ans, fut le 10 juillet 1978. Un triste anniversaire qui revient cette année dans un contexte particulier où, pour la première fois en presque trente ans, un gouvernement civil, élu démocratiquement, est aux affaires.

Au petit matin de cette journée mémorable du lundi 10 juillet 1978, un Comité Militaire de Redressement National (CMRN) s’empare du pouvoir et renverse le régime civil de Mokhtar Ould Daddah, père de la nation, en place depuis l’aube de l’indépendance avec la loi cadre de 1958. Dans des communiqués radiodiffusés (restés célèbres sous l’appellation de communiqué n°1 et n°2) et récités par cœur par bon nombre de compatriotes, le CMRN annonce avoir dissous le gouvernement, le parlement, le parti unique (Parti du Peuple Mauritanien : PPM) ainsi que tous les organes et instances qui en découlent, et instaure un couvre-feu de six heures du soir à six heures du matin.

Le coup d’Etat de 78 est intervenu à l’heure où le pays était engagé depuis près de quatre ans dans le conflit du Sahara Occidental enclenché à la fin de l’année 1975, suite aux accords tripartites de Madrid. Cette sale guerre opposait la Mauritanie  aux côtés du Maroc, au front Polisario, soutenu et armé par l’Algérie de Houari Boumediene et la Libye de Kadhafi. Un conflit qui avait mis à rude épreuve la fragile économie du pays et l’a asphyxié : la SNIM et son train minéralier, poumons économiques, étaient l’objet d’attaques fréquentes.

L’armée mauritanienne, qui était coiffée par un bon commandement composé d’un encadrement de braves et héroïques officiers (les meilleurs de la sous-région, disait-on à l’époque), avait su assurer jusqu’au bout de ses forces, la défense d’un territoire vaste, étendu et désertique, malgré l’absence de moyens et d’équipements. Les incursions armées des vaillants combattants du front Polisario, qui avaient à leur avantage une redoutable mobilité, une grande connaissance du terrain où ils opéraient et l’effet de surprise, commençaient à entamer le moral des troupes (plusieurs villes et localités à l’intérieur du pays subiront les attaques meurtrières des guérilleros, ainsi que la capitale, Nouakchott, qui sera à deux reprises objet d’attaques au mortier ; en juin 76 et en juillet 77). Pour ‘’consolider l’unité nationale retrouvée’’, le pouvoir en place – pourtant toujours intransigeant sur les questions de souveraineté – n’hésita pas à déterrer des accords de défense avec la France, l’ancienne métropole tutrice. Accords qu’il avait révisés en 1973. La France de Valéry Giscard d’Estaing s’engageait, en vertu de ces nouveaux accords, à assurer à la Mauritanie (et surtout son train minéralier), une couverture aérienne à partir de sa base militaire aérienne stationnée à Ouakam, près de Dakar. Une opération (inter-armée à dominance air) coordonnée côté français par le Général Michel FORGET à partir d’un PC volant à bord d’un ‘’Transall’’ et, côté mauritanien par le Lieutenant-Colonel Kader. Des ‘’Breguet Atlantic’’ de l’aéronavale et des chasseurs de type ‘’Jaguar’’ allaient sur un simple appel radio, voler à la rescousse des unités mauritaniennes en ratissage, encerclées ou subissant des embuscades (seulement à l’intérieur des frontières mauritaniennes de 1960), ce qui arriva en décembre 1977 lors des attaques de Tmémichatt et à Tourine dans le Tiris Zemmour (le nom de code de cette opération était le ‘’Lamantin’’). Au même moment, des unités marocaines étaient venues se positionner dans le nord de la Mauritanie pour ‘’soutenir’’ et ‘’encadrer’’ l’armée mauritanienne (fait paradoxal, quand on sait que ce même Maroc avait des revendications territoriales sur la Mauritanie, qu’il n’a reconnue comme Etat souverain que tardivement). Entre temps, Ould Daddah n’a certainement pas vu, ou n’a pas voulu voir ‘’les nouvelles fleurs’’ qui commencèrent dès l’année 1977 à pousser dans son jardin. En effet, la guerre du Sahara, si elle a eu l’inconvénient d’avoir affaibli son régime, ruiné économiquement le pays et d’être un conflit fratricide pour certains, aura eu ‘’le mérite’’ d’avoir contribué à structurer et former une armée nationale qui avait désormais ses cadres, ses sous-officiers et ses hommes de troupes. Cette armée aguerrie et disciplinée et dont une partie du commandement était déjà indexée par certains segments du régime de Ould Daddah, comme ‘’corrompue’’ et ‘’affameuse de troupes’’, affichait déjà les signes extérieurs d’une richesse et d’une opulence suspecte (acquisition  de villas, de voitures et de troupeaux), et ne cachait pas ses ambitions de s’emparer du pouvoir à la première occasion. C’est cette ‘’élite privilégiée qui s’engraissait aux dépens des unités combattantes sur le front’’ qui s’empara du pouvoir. Le 10 juillet au petit matin vers le coup de 4 heures, le chef de l’Etat  est arrêté sans élégance dans sa résidence sise au palais présidentiel par les lieutenants Moulaye Hachem (son aide de camp) et Mokhtar Ould Salek de la Garde, escortés de trois soldats armés, sur ordre des instigateurs du putsch. Il lui apprirent que ‘’l’armée lui a retiré sa confiance’’, avant de le conduire en Land-Rover au Génie militaire, situé à l’époque au sud du quartier de Toujounine, d’où il sera transféré – via l’aéroport – par avion le 15 juillet de nuit, vers le fort de Oualata, où il séjournera jusqu’au 2 octobre 1979, date à laquelle il sera évacué sur Paris – via Nouakchott – par un avion Mystère 20 médicalisé du GLAM, pour y subir des soins et rejoindre sa famille. Tous les ministres civils connaîtront aussi l’arrestation arbitraire et la discrimination.

La réaction des mauritaniens en général et les Nouakchottois en particulier était partagée entre l’inquiétude, l’incrédulité et le soulagement. Ils devront s’accommoder au nouveau programme politique des maîtres des lieux qu’on leur servira, et qui est fait d’acte de bravoure (réels ou fictifs, souvent amplifiés jusqu’à la limite du sensationnel) de tel ou tel officier lors de son service au front. Il s’agira aussi d’un nouveau rythme de vie où il n’est plus question que de vocabulaire comme ; ‘’peuple de héros’’, ‘’régime de la corruption déchu’’, ‘’mortier’’, ‘’douze sept’’, ‘’Unimog’’, ‘’Land-Rover Santana’’, ‘’Mouzer’’, ‘’G3’’, ‘’rafale’’, ‘’Seminov’’, ‘’rangers, ‘’treillis’’, ‘’galons’’, ‘’les ordres’’, ‘’1113 ; (onze-treize)’’, ‘’couvre-feu’’, ‘’Génie militaire’’, ‘’6è région militaire’’, ‘’le CQG’’, ‘’le GARIM’’, etc.

Les militaires, dans leurs discours promettent une constitution, un retour à la normalité et la recherche d’une solution au conflit du Sahara. Ils trouveront un accord avec le front Polisario le 5 août 1979 signé à Alger dans lequel il est écrit que la Mauritanie n’a pas de revendications territoriales sur le Sahara et qu’elle se retire définitivement du conflit. Ils resteront au pouvoir pour 29 ans.

Que reste-t-il du mouvement du 10 juillet ?

Le groupe d’officiers initiateurs du putsch, qui prit le pouvoir au petit jour du 10 juillet 1978, s’était réclamé d’un Comité Militaire de Redressement National (CMRN), présidé par le Chef d’Etat-major de l’Armée ; le lieutenant-colonel Moustapha Ould Mohamed Salek (dit Ould Oualati) et comprenant le commandant Jiddou Ould Salek, le lieutenant-colonel Ahmedou Ould Abdalla, le commandant Moulaye Ould Boukhreiss, le lieutenant-colonel Mohamed Mahmoud Ould El Houssein (appelé aussi Hammoud Ould Nagi), le capitaine Mohamed Mahmoud Ould Deh, le lieutenant-colonel Mohamed Mahmoud Ould Ahmed Louly, le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla, le lieutenant Moulaye Hachem, le commissaire de police Ly Mamadou, le commandant Thiam El Hadj, le lieutenant-colonel Ahmed Salem Ould Sidi, le commandant Anne Amadou Babaly, le lieutenant-colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, le commandant Dia Amadou, le commandant Soumaré Silmane, le lieutenant Ahmed Ould Aidde. Tous les officiers, qui ont composé le premier comité et qui sont encore en vie, ont atteint l’âge de la retraite, et ne sont plus aujourd’hui en service au sein des forces armées. Le premier CMRN avait aussi subi une érosion consécutive à une sélection naturelle et qui donna lieu, à travers de multiples coups de palais et ‘’restructuration’’, à de nouvelles entrées et sorties.

 

’Les soixante dix-huitards’’ qui sont-ils et que deviennent-ils ?

Le mouvement du 10 juillet comprenait aussi, en plus de son aile militaire, ceux qu’on avait convenu d’appeler à l’époque une aile civile.  Elle comprenait Mohamed Yehdhih Ould Breidleil, Cheikne Ould Mohamed Laghdhaf, Sid’Ahmed Ould Bneijara, Ahmed Wavi, Memmed Ould Ahmed, Mahjoub Ould Boyé, Abdel Kader Camara, Bé Ould Né et, dit-on tout le noyau historique du MND qui n’avait pas intégré le PPM en 1975, lors de son 4ème congrès. Cette aile civile, qui avait intégré à un moment ou à un autre le mouvement du 10 juillet, avait, chacun en ce qui le concerne, un mobile propre. Soit par hostilité à la guerre du Sahara tout court, soit par hostilité à la guerre et par solidarité avec les sahraouis, ou tout simplement par hostilité au régime de Ould Daddah qui symbolisait, aux yeux de certains, le régime réactionnaire allié de ‘’l’impérialisme français’’ et à ‘’l’hégémonisme marocain’’. Parfois aussi c’est par sentiment régionaliste ou tribaliste (certains cadres civils et militaires des régions de l’est du pays impliqués dans le mouvement, s’y sont retrouvés, car ils pensent que Ould Daddah a longtemps marginalisé leurs régions à l’avantage de la sienne, la sixième, qui deviendra après le putsch, le Trarza). Parfois le soutien est par pur opportunisme, des fois même, c’est par nationalisme arabe. Une certaine propagande nationaliste d’obédience nassériste et baathiste stigmatisait ce qu’elle appelait déjà, dès le début des années 70, ‘’la politique du trait d’union’’  prônée par Ould Daddah (hamzet el wasel ; une traduction tendancieuse et inappropriée). Il s’agit en fait d’une politique d’équilibre savant entre le Monde arabe et l’Afrique noire qui devait maintenir le pays à l’abri des tiraillements et dont certains pensent que la Mauritanie est en train d’en payer le prix de la remise en question. La responsabilité des nationalistes arabes, aussi bien au sein des civils que des militaires du 10 juillet et tout le long des trente dernières années, est directement et fortement mise en cause par rapport à la gestion catastrophique du pays et de la faillite de l’Etat mauritanien.

Le président Ould Daddah avait signalé, dans ses mémoires qu’Ould Wavi, qui s’activait au sein du mouvement du 10 juillet, jouait aussi au moins sur deux registres, car selon les termes polis de Mokhtar Ould Daddah, Ahmed Ould Wavi était aussi un agent de renseignement marocain.

Les régimes militaires, leur transmutation en régime civil entre 1991 et 2005, ainsi que leurs collaborateurs et conseillers civils, sèmeront l’anarchie et plongeront le pays dans une spirale sans fin de mauvaise gestion (violence, répression, atteinte aux droits de l’homme, gabegie et siphonage systématisé des ressources du pays, corruption généralisée, démolition des symboles de l’Etat), et dans un cycle infernal d’instabilité politique. Développements qui auront raison de la crédibilité de l’Etat aussi bien à l’intérieur qu’au plan international.

Certains disent que la Mauritanie a été colonisée par la France entre 1903 et 1960. En 1960, elle a accédé à l’indépendance. De 1978 à 2005, elle a été de nouveau colonisée par son armée ; c’est ce qu’on peut désigner par le ‘’colonelialisme’’. En 2007, elle accède à une autonomie interne, mais pour combien de temps ?

(à suivre)

Mohameden Ould Meyne