Dans le cadre de l’examen périodique de la Mauritanie par le Comité contre la torture (CAT ) qui se tiendra les 24 et 25 juillet 2018, Alkarama a soumis son rapport alternatif le 25 juin 2018. Dans cette contribution, Alkarama a relevé plusieurs violations aux dispositions de la Convention contre la torture (UNCAT ) ratifiée par la Mauritanie en 2004.
Le rapport d’Alkarama insiste sur plusieurs problématiques, à savoir la mise en place d’un régime dérogatoire en matière de lutte contre le terrorisme, l’incorporation de châtiments corporels dans le Code pénal, le passif humanitaire non résolu ou encore le manque d’indépendance de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH ) ; Alkarama propose une série de recommandations afin d’améliorer la prévention et la lutte contre la torture dans le pays.
La Mauritanie a adopté la Loi n°2015-033 , relative à la lutte contre la torture contenant une définition de la torture conforme à l’article premier de l’UNCAT. Si cette loi constitue une avancée significative en ce qui concerne la lutte et la prévention de la torture, la législation mauritanienne comporte toujours des dispositions contraires à la Convention et la loi n°2015-033.
Absence de protection juridique dans le cadre de la lutte anti-terroriste
Si la loi n°2015-033 dispose que le droit à l’accès à un avocat est garanti dès le moment de l’arrestation, le Code de procédure pénale prévoit que l’accès à un avocat n’est possible qu’après la première prolongation de la durée initiale de la garde à vue et après l’accord du Procureur. Cette période peut s’étendre de 48 heures pour les infractions de droit commun à une durée de 45 jours pour les personnes soupçonnées de terrorisme créant ainsi un environnement assimilable à la détention au secret et propice à la torture.
Châtiments corporels assimilables à la torture et peine de mort
Le Code pénal comporte des sanctions corporelles proscrites par le droit international et assimilables à la torture.
En dépit du moratoire de fait sur l’application de la peine de mort en vigueur depuis 1987, l’assemblée nationale a adopté en séance plénière le 27 avril 2018 une loi conduisant à un durcissement des peines prévues en matière de blasphème et d’apostasie. Les personnes reconnues coupables sont désormais systématiquement passibles de la peine de mort.
Cette réforme est directement liée aux poursuites judiciaires à l’encontre du blogueur Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir. Il avait été condamné à mort en 2014 par la cour criminelle de Nouadhibou après avoir publié sur Facebook un texte jugé « blasphématoire » dans lequel il a dénoncé le recours à la religion pour justifier des pratiques discriminatoires à l’égard de la caste des forgerons.
Le 9 novembre 2017, sa peine avait ensuite été ramenée en appel à deux ans de prison. En dépit de cette décision, il reste détenu au secret. Les autorités mauritaniennes ont informé le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD ) qu’il était « en détention administrative pour sa propre sécurité ».
Impunité des crimes commis contre les minorités noires
Les violations commises contre des officiers afro-mauritaniens accusés par les autorités de préparer un coup d’État n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales. Les auteurs d’actes de torture, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires commises à la fin des années 1980 et au début des années 1990 ont été amnistiés par la Loi n°93-23 du 14 juin 1993. A ce titre, cette loi viole le principe d’imprescriptibilité du crime de torture pourtant inscrit dans la loi contre la torture de 2015.
Les autorités ne nient pas l’existence de ces violations graves, communément désignées sous le vocable de « passif humanitaire ». Toutefois, les victimes, leurs ayants-droit et les activistes dénonçant l’impunité et exigeant des enquêtes et poursuites font régulièrement l’objet de représailles de la part des autorités.
Absence d’indépendance de la Commission nationale des droits de l’Homme
Dans son rapport, Alkarama a également insisté sur le manque d’indépendance de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH ), l’institution nationale des droits de l’homme mauritanienne. Son mandat comprend des visites inopinées de tous les établissements pénitentiaires et lieux de garde à vue afin de surveiller le respect des droits des personnes privées de liberté. Il apparaît néanmoins que la CNDH ne s’acquitte pas effectivement de son mandat de surveillance.
A la suite de l’examen de la CNDH en novembre 2017, le Sous-Comité d’accréditation (SCA ) de l’Alliance Globale des Institutions Nationales des Droits de l’Homme (GANHRI ) avait recommandé que la CNDH soit rétrogradée du statut A au statut B, marquant ainsi un manque de conformité avec les Principes de Paris.
Le SCA avait notamment souligné l’opacité du processus de sélection des membres ainsi qu’un manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. A titre d’exemple, la CNDH avait publié une déclaration favorable à l’application de la peine de mort dans l’affaire de Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir.
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Source : Fondation Alkarama