L’atelier organisé par l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) a pour but d’outiller les acteurs de la société civile pour rapporter les cas de torture, suivant une démarche quasi-scientifique. L’atelier de deux jours se tient dans le cadre du projet état de droit, assistance et accompagnement juridique financé par l’Union Européenne et mis en œuvre par l’AMDH.
«Les conditions de détention ne concernent pas que les prisons. Il y a d’autres lieux de détention dans ce pays, et je parle sous le contrôle de certaines personnes ici, qui connaissent mieux le sujet » a affirmé Amadou Mbow secrétaire général de l’AMDH, dans un mot prononcé pour la circonstance. Selon lui, « souvent il ne s’agit pas de commissariats ou prisons mais des lieux secrets où les gens sont détenus et droits bâillonnés ».
Pour lui, l’objet de cet atelier est de trouver « comment évaluer les conditions de détention dans ces lieux là ».
Ousmane Cherif Touré qui pilote le projet au niveau de l’AMDH et du jour s’est dit « content d’avoir cette équipe de choc, des avocats qui vont nous faciliter la tâche, permettre de comprendre et apporter leur expertise par rapport à la question ». Il ajoutera que « la formation va être spécifique et tentera d’apporter les minimas, des éléments qui vont approfondir la question liée à la documentation de la torture et traitements inhumains et dégradants ».
Au-delà de la dénonciation
A l’issue des deux jours de formation, Touré souhaite qu’il « y ait au moins une équipe qui va aller sur le terrain, chercher l’information. C’est un travail de bénévolat qui mérite beaucoup de sacrifices ». Pour le coordinateur du projet, « il est impossible d’imaginer que chaque année il se passe des violations des droits de l’homme et qu’il n y a pas de rapport. Le rapport doit être documenté. On doit suivre une méthodologie rigoureuse pour pouvoir dénoncer ». Ce, afin « de dépasser le cadre de la dénonciation devant la télé ou sur facebook et apporter les preuves. Cela implique de respecter les minimas au niveau international pour arriver à faire un rapport succin ».
L’AMDH ambitionne ainsi de produire un rapport alternatif d’ici novembre 2018 et le soumettre par la suite au comité contre la torture. Mais avant, l’assistance doit parachever sa formation sur la production d’une documentation sur la torture et tout traitement dégradant et inhumain. Cela passe donc par un brainstorming de ce qui a été fait lors de la première session. Les participants ont donc été invités à répondre à quatre questions, qui résument ce qu’il y a savoir sur la torture.
Vous avez dit la torture ?
Cette formation est composée de sept modules, qui seront approfondis par des cas pratiques, fictifs. Rappel des éléments importants vu lors de la première formation, en répondant aux questions. La première avait trait à la définition du terme « torture ».
Ici, les participants ont répondu non pas en citant une définition exacte mais en énumérant les conditions nécessaires pour utiliser le terme « torture », suivant le modèle de la convention Internationale de l’ONU contre la torture adoptée le 10 décembre 1984. Elle énonce à son article 1er, non pas une définition en tant que tel de la torture mais plutôt ses éléments constitutifs. Il s’agit:
●des souffrances aiguës physiques ou mentales ;
● infligées intentionnellement par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite;
● Dans un but précis.
Si ces trois éléments sont réunis, la convention onusienne fait obligation aux Etats Parties de la mettre en œuvre en poursuivant et en condamnant le présumé coupable de la violation.
Traitement inhumain et dégradant
Ensuite la seconde interrogation a amené l’assistance à se rappeler quelle était la différence entre la torture et traitements cruels inhumains et dégradants? Cette question a fait cogiter plus d’un, en cet après midi de ramadan. Et pour cause, il n’y a pas de règles claires pour faire la différence entre les deux. L’assistance est tout de même d’accord sur le fait que : « la torture a pour but de faire mal afin de soutirer une information et le traitement dégradant lui tant à rabaisser et/ou humilier quelqu’un ». Du point de vue des juristes et militants des droits de l’homme « la torture constitue une forme aggravée du traitement inhumain et dégradant ».
Une fois que la différence faite, le la trentaine de jeunes militants des droits de l’homme s’est attaquée à une autre interrogation. Il s’agissait de revenir les obligations de l’Etat Partie aux regards de la convention internationale. On en retient trois principales: la prévention, la répression et la réparation.
Prévention
En ce qui concerne la prévention, l’Etat Partie veille à ce que l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel civil ou militaire chargé de l’application des lois, du personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit. C’est ce que dit en substance l’article 10.
Répression
Mais si malgré la prévention le crime est quand même commis, c’est là qu’intervient la seconde obligation de l’Etat Partie « la répression ». Les articles 12 et 13 de la convention nous soulignent d’une part que les autorités compétentes doivent procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction.
D’autre part, l’Etat Partie doit d’aller au bout des procédures et sanctionner les coupables de torture et traitements dégradants. Cela veut dire une plainte effective, une enquête en règle, un procès et sanction ensuite. Cette précision est importante puisque beaucoup de défenseurs de droits de l’homme dénoncent une certaine léthargie dans l’application de la loi.
Réparation
Enfin, la réparation est la troisième et dernière obligation que tout Etat Partie doit remplir. Selon l’article 14 de la convention, l’Etat Partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. De plus, en cas de mort de la victime résultant d’un acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont doit à indemnisation.
Quelques principes
En outre, Touré et son groupe sont revenus sur les principes fondamentaux lors qu’on documente une allégation de torture. Pour eux, c’est d’abord le caractère confidentiel qui est important. « On ne va pas aborder une victime au marché pour recueillir son témoignage » caricature t-il. Toujours au chapitre des principes fondamentaux, le formateur insiste sur le consentement éclairé de la victime. Elle doit en effet savoir ce qu’implique son témoignage et l’utilisation qui en sera faite, entre autres.
Cette rencontre a été également un moment d’échanges. Avocats, organisateurs et participants ont profité de cette tribune pour partager des anecdotes, un sentiment sur cette question. Tous convergent vers le même sens : la Mauritanie a une batterie de textes mais l’applicabilité reste un problème à surmonter.
La Mauritanie faut-il le rappeler, a ratifié la convention en 2004. De ce fait, le pays a adopté une loi contre la torture (2015-033) et mis en place un mécanisme de lutte contre la torture en septembre 2015. A cela s’ajoute d’autres conventions et traités auxquels la Mauritanie a souscrit. Cependant, les défenseurs des droits de l’homme rapportent souvent des cas de tortures, et accusent les autorités de violer la convention internationale.
En 2012, l’ONG Alkarama soulignait dans un rapport alternatif que l’extradition de Senoussi ex chef des renseignements libyens sous Kadafi, « en dépit du fait qu’il existait de toute évidence des motifs raisonnables de craindre qu’il ne soit soumis à des tortures et/ou à des traitements cruels inhumains et dégradants s’il venait à être renvoyé de force en Libye, constitue une violation de l’article 3 ».
Par AMADOU SY
Source : Le Reflet (Mauritanie)