Cette formation initiée par la section Mauritanie du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et le Projet Bridge du Bureau International du Travail, en collaboration avec le Ministère de la Justice, le Ministère de la Fonction Publique et le Ministre de l’Intérieur avait regroupé une quarantaine de participants, des procureurs, des juges d’instruction, des officiers de la police judiciaire (gendarmes et policiers), des inspecteurs du travail ainsi que des administrateurs, des élus et des membres de la société civile.
Pendant deux jours, du 23 au 24 mai 2018, Nouadhibou a réuni plusieurs experts du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et ceux du Projet Bridge du BIT, mais aussi des experts du Ministère de la Justice, de l’Intérieur et de la Fonction Publique, magistrats, Officiers de la police judiciaire (OPJ), administrateurs, inspecteurs du travail, élus et membres de la société civile.
Cette rencontre avait pour objet d’assurer une mise en œuvre plus efficiente de la Loi 2015-031 du 10 septembre 2015 portant criminalisation de l’esclavage et de ses pratiques, par une formation plus approfondie des acteurs sur le contenu et la portée de cette loi, mais aussi sur leur rôle en tant qu’agents d’exécution et de mise en œuvre.
Une loi presque méconnue par les acteurs
Le besoin de formation des acteurs de mise en œuvre de la Loi 2015-031 résulte d’un sondage qui a révélé une connaissance peu complète de la loi par ceux qui sont censés l’appliquer, magistrats, OPJ, administrateurs territoriaux, élus et membres de la société civile.
Le sondage a porté sur un échantillon de 25 administrateurs, dont 1 Wali, 2 Walis adjoints et 9 Hakems, 46 élus locaux dont 6 députés, 10 autorités judiciaires dont 1 Président de cour criminelle spéciale et 25 autorités sécuritaires.
Soit un total de 112 sur 140 personnes visées par le sondage qui a porté sur un total de 45 questions, 13 questions aux autorités administratives, 15 questions aux autorités judiciaires et 17 questions aux élus. Un total de 1684 réponses par « connait » ou « ne connait pas », ont été données aux questions.
L’interprétation des données a révélé que d’une manière générale, les autorités concernées ne connaissent que partiellement la Loi 2015-031.
Sur la définition de l’esclavage, aucune autorité administrative n’a pu définir de façon exacte l’esclavage et les pratiques esclavagistes. Peu d’entre ces autorités savent que l’esclavage a été hissé au rang de crime contre l’humanité et connaissent les sanctions encourues par les auteurs et complices de pratiques esclavagistes.
Aucune des autorités administratives interrogées ne sait à quoi elle s’exposerait lorsqu’elle se rendrait elle-même coupable de pratiques esclavagistes.
Sur la conduite que l’OPJ doit tenir lorsqu’il reçoit une dénonciation de pratiques esclavagistes, 21 gendarmes et policiers ont évoqué la procédure prévue par le Code de procédure pénale et 29 autres ne savent pas à quoi s’en tenir dans un pareil cas. Sur les juridictions instituées, 32 en connaissent la dénomination et le siège, 18 ne savent pas. Sur les droits des victimes, 6 réponses justes mais 44 autres ne savent pas.
Sept juges sur les 10 interviewés ne savent rien de la formation obligatoire prescrite par l’article 20 alinéa 2 de la loi, ce qui dénote d’un défaut de lecture de la loi et d’un défaut de formation sur cette loi.
Huit juges sur 10 ne savent pas la définition exacte de l’esclavage et de ses pratiques analogues. Sur les peines encourues, les juges de l’intérieur du pays, contrairement à ceux de Nouakchott, ne savent pas que c’est la double peine qui s’applique à l’auteur de l’infraction d’esclavage (emprisonnement plus amende).
Ils ne savent pas qu’en cas d’esclavage, la loi les oblige à procéder à la saisie conservatoire des biens appartenant au présumé auteur de l’acte, pour garantir le droit de la victime.
En conclusion, le sondage a permis de constater que les autorités administratives, les autorités judiciaires et les OPJ ne connaissent pas assez la loi et leur rôle. Idem pour les élus. D’où la nécessité d’une formation de l’ensemble de ses acteurs à la Loi 2015-031.
Droits de l’homme, esclavage et travail forcé
Les participants ont suivi pendant deux jours plusieurs communications. La première sur « Droits de l’Homme et esclavage : concepts et définitions » a permis à M.Déthié Sall, de revenir sur les concepts de base des droits de l’homme, avec un survol historique de cette notion ainsi qu’un passage en revue exhaustif des différents traités et conventions internationaux ratifiés par la Mauritanie, en plus des Dix organes du Traité chargés de veiller à l’application des engagements pris par le pays dans ce domaine.
Il a par la suite défini l’esclavage, « condition d’une personne sur laquelle s’exercent tous les attributs de propriété ou certains d’entre eux », notamment le droit d’usage (usus), le droit de disposition (abusis) et le droit de jouissance (fructus).
M.Marc Ninerola a présenté pour sa part une communication sur le « Travail forcé et l’esclavage » en faisant le parallèle entre le Convention n°29 de l’OIT de 1930 qui définit en son article 2 le travail forcé comme étant « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de son plein gré » et la loi 2015-031. Il a rappelé dans ce cadre que le Code du Travail de Mauritanie interdit et sanctionne en son article 5 le travail forcé.
M.Déthié Sall est revenu pour présenter les « Mécanismes de protection contre l’esclavage » en mettant en exergue les obligations de la Mauritanie qui, rappelle-t-il, a donné aux traités et conventions ratifiés une force supérieure à ses propres lois (article 20 de la Constitution).
Il a aussi évoqué l’Examen Périodique Universel (EPU) qui permet de jauger du degré de respect par les Etat de leurs engagements en matière des droits de l’homme, ainsi que le fonds mis à leur disposition en cas d’incapacité à mettre en œuvre les dits engagements et recommandations.
Les participants ont eu droit également à un exposé exhaustif sur les « Dispositions de la loi 2015-031 », présenté par M.Amadou Abdoul Dia, expert-juriste, qui a mis l’accent sur le rôle, les responsabilités et les obligations des acteurs de mise en œuvre ainsi que les droits des victimes.
Il a mis l’accent sur le rôle du juge dans la mise en œuvre de la Loi, mais aussi celui des maires en leur qualité d’agents locaux et d’agents de l’Etat les plus proches des populations. Il a ensuite passé en revue les 3 Chapitres et les 27 articles de la Loi 2015-031, les dispositions générales, les définitions, les sanctions et peines prévues ainsi que les procédures.
Ces communications ont été suivies avec une grande attention par les participants qui ont inter-réagi avec les exposés, par leurs questions et interventions. L’atelier s’est achevé par des recommandations qu’ils ont formulées à la suite des travaux de groupe organisés en la circonstance.
Parmi les recommandations-clé, l’organisation d’une vaste campagne de sensibilisation sur la loi, la formation continue sur la loi, la création d’un fonds d’appui pour la prise en charge des victimes et les besoins d’enquête dans des cas d’esclavage.
A rappeler que l’ouverture de cet atelier a été présidé par le Wali adjoint de Dakhlet-Nouadhibou, M.Mohamed Mahmoud El Moustapha, en compagnie du Chargé de mission au Ministère de la Justice, M.Abderrahmane Ould Abdi, en présence du préfet de Nouadhibou, M.Ahmed Ould Abderrahmane et du Maire adjoint Boullaha Ould Alioune.
D’autres autorités étaient présentes, comme le Procureur général de la Cour d’Appel de Nouadhibou, le président de la cour criminelle spéciale de Nouadhibou et le Président du Tribunal du Travail de Nouadhibou.
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)