Mauritanie/ Filles placées : Elles souffrent de l’esclavage et du silence

Mauritanie/ Filles placées : Elles souffrent de l’esclavage et du silenceL’auteur de cet article, Khalilou DIAGANA est un professionnel des médias. Attentif aux questions de société, il défend dans la plupart de ses articles les droits humains.

Cet article vient d’être retenu comme le meilleur article dans la catégorie presse écrite au concours organisé par la Fondation Habib Mahfoudh. C’est la 3e fois, que ce journaliste chevronné remporte ce prestigieux prix.

Dans le texte qui suit il livre le récit d’une jeune fille, Aminata, dont le sort est représentatif de milliers d’autres parmi les filles placées qui subissent en silence le calvaire d’un esclavage sournois dont la société se rend complice…

——–

Aminata, a neuf ans. Elle est la quinzième fille d’une famille polygame de quinze enfants. D’un village reculé de la vallée du fleuve Sénégal, elle a été envoyée par sa mère à une de ses lointaines tantes résidant à Nouakchott. Comme toutes les filles placées, elle se réveille à six heures. Pendant que les enfants de sa famille «adoptive» se préparent à aller à l’école, Aminata leur prépare à manger. Pendant qu’ils suivent les cours en classe, elle balaie, nettoie les carreaux, fait le linge et d’interminables aller-retour entre la maison et la boutique.

Quand les enfants de sa tante s’amusent, Aminata travaille. Quand ils regardent la télé, elle cuisine. La tante, son mari, ses enfants, les visiteurs…elle est au service de tous.

Tant qu’il y a une course ou un travail à faire, elle ne ferme pas l’œil. Aminata se réveille avant toute la famille et se couche la dernière. » Le salaire de Aminata : quelques forfaits versés à sa mère par sa tante.

Victime de la traite

Amina a été transférée d’un lieu (son village) vers un autre Nouakchott). (Le moyen utilisé : l’exploitation de sa condition d’enfant pauvre et vulnérable. La convention entre les parents de la fille placée et sa famille d’accueil est tacite. « Je vous donne ma fille et vous me versez une petite somme quand vous voulez. » Parfois, il n’y a aucune contrepartie. De pauvres familles livrent leurs fillettes qu’elles ne peuvent plus nourrir en espérant qu’elles vivront heureuses avec leurs patrons. Une sorte d’effroyable troc : l’esclavage à la place de la pauvreté matérielle.

Les parents des filles placées sont généralement «castés » ou descendants d’esclaves issus de milieux ruraux pauvres et vulnérables. En contrepartie de sommes modestes, Ils confient leurs filles aux familles supposées nanties et «nobles » des grands centres urbains.

Le sort fait aux filles placées est une infraction à la nouvelle loi portant incrimination et répression des pratiques esclavagistes. La fille placée, souvent mineure, est privée d’école. Elle travaille du lever au coucher du soleil. L’esclavage, ce n’est pas seulement dans le adwabas, les palmeraies ou derrière les troupeaux de chameaux. Parfois, le drame a lieu dans l’appartement des voisins.

Un drame « normal »

Le recours aux filles placées (violation de tous les droits de l’enfant) est tellement répandu en Mauritanie, tellement banalisé qu’une application effective de la loi enverrait de nombreuses « respectables » familles en cours d’assises. Le caractère privé du phénomène des filles placées est un obstacle à tout contrôle. A première vue, une fille placée est comme un enfant de la famille. Le drame qu’elle endure fait partie de la normalité ambiante.

Les filles domestiques, âgées généralement de 10 à 15 ans, sont privées de loisir, d’école et de l’affection de leurs parents. Cette misère affective, les pousse souvent, vers 14 ou 15 ans, dans les bras du jeune du coin. La suite, c’est une grossesse précoce non désirée et leur renvoi au village d’origine où elles vont accoucher d’un mort-né et d’une fistule obstétricale.

Khalilou Diagana

Source : Initiatives News (Mauritanie)