Non, la Mauritanie ne se porte pas aussi bien que le président Abdelaziz le dit durant ses tournées dans les wilayas, et la crise née de la chute des cours du minerai de fer et de l’or n’a pas fini de faire des dégâts dans l’économie et dans le corps social.
Non, la Mauritanie ne se porte pas aussi mal que l’opposition le clame à cor et à cri, et les modifications constitutionnelles projetées par le chef de l’État, bientôt soumises à référendum, ne semblent violer ni les principes démocratiques ni les valeurs du pays.
Très jeune et très hétéroclite, le pays n’a pas encore trouvé son équilibre. Les fractures d’une population tiraillée entre le monde noir et le monde blanc, entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, entre les anciens nobles et les anciens esclaves se perpétuent dans des oppositions surtout verbales, mais en apparence irréductibles et pathogènes.
Intérêts tribaux et intérêts familiaux, égocentrismes politiques et conservatismes religieux forment un écheveau inextricable qui enferme la Mauritanie sur elle-même. Elle est difficilement compréhensible pour ceux qui ne sont pas issus de ses oasis. Il n’est que de voir la perplexité des organisations internationales, du monde occidental ou de ses voisins sur la direction qu’elle entend prendre.
L’Union européenne et les États-Unis oscillent entre le satisfecit – pour le développement de ses infrastructures et pour sa politique sécuritaire d’une efficacité peu habituelle au Sahel – et l’inquiétude face à la suspicion de torture pratiquée contre des militants de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), jugés et condamnés à la légère.
Comment s’y retrouver quand un pays condamne à mort pour blasphème – ou pour apostasie, on ne sait plus – un jeune blogueur qui dénonce l’utilisation du Saint Coran pour maintenir un système de castes moyenâgeux, alors qu’il interdit à l’islamiste suisse Tariq Ramadan, proche des Frères musulmans, d’entrer sur son territoire ?
La Mauritanie est en froid avec le Maroc (où elle a tant de cousins) en raison de sa proximité avec le peuple sahraoui (au sein duquel elle compte aussi beaucoup de cousins). Elle est également en froid avec l’Algérie, mécontente d’être tenue à l’écart du G5 Sahel, qui coordonne les mesures antiterroristes depuis N’Djamena jusqu’à Nouakchott.
Dans d’autres domaines, la politique mauritanienne laisse tout aussi perplexe. Elle tisse des liens avec le Sud, en y envoyant ses troupes (Centrafrique, Côte d’Ivoire) et en y exportant ou en prévoyant d’y exporter son courant électrique (Sénégal, Mali, Guinée), mais elle ne réintègre toujours pas la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Est-elle dedans ou dehors ? Ouverte ou fermée ? Archaïque ou moderne ? En développement ou définitivement abonnée au club des « pays les moins avancés » du monde ?
Ces questions se posent pour bien des États dont l’ambition est de rattraper le peloton des pays émergents. En Mauritanie, elles appellent des réponses plus claires et des actes plus cohérents qu’aujourd’hui, afin que ses 3,5 millions – ou 4 millions ? – d’habitants cessent d’être ballottés entre les coutumes d’un Sahara mythique et la dure condition des urbains qu’ils sont devenus. Et afin qu’ils acceptent enfin de se parler, malgré – ou grâce à – leurs différences.
Alain Faujas
Source : Jeune Afrique