Mauritanie: comment IRA a servi le pouvoir

Mauritanie: comment IRA a servi le pouvoir Une précision d’abord: cette analyse politico-stratégique sort des sentiers battus de la querelle idéologique et communautaire. Elle n’aborde pas la question d’IRA (Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste en Mauritanie) sous l’angle de l’affirmation (ou de la négation) du phénomène de l’esclavage mais cherche à montrer comment Biram et son organisation ont servi le pouvoir.

IRA existe depuis 2008 en tant qu’organisation non reconnue mais tolérée. Le discours de son Président, Biram Dah Abeid, est diversement apprécié. Il touche essentiellement des jeunes Harratines qui, pour la plupart, n’ont pas connu l’esclavage dont parle leur Chef mais l’assimilent inconsciemment aux injustices et inégalités sociales qu’ils vivent tous les jours.

Le premier service qu’IRA rendait au pouvoir est de « détourner » les nouvelles générations de Harratines du combat mené par les Anciens : Messaoud Ould Boulkheir, Boydiel Ould Houmeid, Mohamed Ould Borboss et, dans une moindre mesure, Samory Ould Bey.

IRA renoue avec le discours musclé et plein de verve de ces hommes, anciens d’El Hor (le libre) ramollis par les postes et les privilèges. Même si son discours ne porte pas loin (Biram a eu 8% à la présidentielle de 2014), IRA permet au pouvoir de mobiliser une bonne partie des mauritaniens contre un « péril » qui rappelle étrangement celui brandi par Taya, entre 1987 et 2000, avec les FLAM (Forces de libération Africaines de Mauritanie). La stratégie élaborée pour décapiter IRA est la même que celle utilisée à l’époque pour éliminer les FLAM : diabolisation, procès, prison ou exil.

IRA a signé son arrêt de mort le jour où elle a changé de discours, quand Biram, grisé par la reconnaissance à l’extérieur et la pluie de distinctions qui pleuvaient sur son organisation, a voulu s’identifier, au moins dans le discours, à Ghandi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Le pouvoir avait besoin d’un Biram violent dans le verbe, exactement comme du temps où Messaoud avait été brandi comme une menace du temps de Taya.

Le discours non violent du président d’IRA n’arrange pas les « noirs » desseins d’un pouvoir pliant sous les problèmes de toutes sortes et ayant besoin d’un expiatoire. Faire de Biram l’ennemi public numéro un, élever même au rang d’affaire d’Etat son organisation, avec les événements de la gazra (squat) Bouamatou, permet au pouvoir de détourner notre attention des autres problèmes. On parle peu aujourd’hui de la crise économique. On reparle du dialogue mais dans la perspective d’une fin de quinquennat en 2019 et, qui sait, d’un troisième mandat pour Aziz.

Cette histoire de participation d’IRA aux heurts de la gazra Bouamatou, même vraie, a servi de prétexte. Elle rappelle le « montage » de 2008 contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, chargé à fond de tous les maux et mots par l’entourage du général Aziz. Poussé à commettre des « erreurs » à n’en pas finir, pour qu’elles servent de pièces de conviction politiques contre lui et justifient la « Rectification » : suggérer à Khattou, la Première Dame de l’époque, de créer une fondation et à Sidioca de prendre son bâton de…voyageur, le pousser à parler, même sous forme d’hypothèse, de la vente de la SNIM, le rapprocher des « gens » de l’Ancien Régime.

IRA a servi le pouvoir en lui permettant de focaliser sur elle tous les mauritaniens, amis ou ennemis. Grâce à son activité non stop, à l’intérieur et à l’extérieur, elle banalise une opposition qui cherche à sortir de son long sommeil. Une opposition qui préfère réagir au lieu d’agir. Une opposition qui a été prise à son propre piège en voulant suivre les événements, et non les provoquer. Une opposition qui a toujours joué et perdu.

Aujourd’hui IRA est morte ou presque mais est-ce la fin de nos problèmes ? Des soucis du pouvoir ? De cette question de l’esclavage ou de ses séquelles ?

Il n’y aura probablement plus de marches tous les mercredis pour demander la libération des militants arrêtés, peu de présentation de cas d’esclavage et de mobilisation. Les « rêves » de présidence en 2019 pour Biram relèvent sans doute de l’anecdote mais il est sûr que la question Harratines restera posée. Elle n’aura même pas besoin d’être défendue dans les prochaines années. Elle dérange parce qu’elle est visible partout. Dans ces écoles où la condition des jeunes Harratines les empêche d’être, à cause de leur pauvreté, non de la couleur de leur peau. Cette armée où ils forment l’essentiel des troupes, à cause de leur ignorance et, aussi, d’une volonté tapie quelque part, d’empêcher leur ascension à ce levier du pouvoir. Ces gardiens, ces blanchisseurs, ces vendeuses de couscous…

Ces marchés où on les trouve cuisinant, faisant du thé ou trimbalant des ballots. Ces chantiers, ces taxis, ces magasins, ces rues où ils luttent pour la survie par des petits commerces, malgré la chasse que leur livre la Communauté urbaine de Nouakchott.

Cette question nationale n’a pas besoin d’IRA pour être posée. Elle troublera la conscience de tout mauritanien qui sait qu’il y a urgence à agir dans le sens de plus de cohésion sociale. La question harratine doit être la priorité de tous. C’est une question nationale qu’il faut traiter prioritairement dans tout dialogue à venir. Il ne faut surtout pas compter sur le pouvoir qui la regardera toujours comme une aubaine parce qu’elle lui permet des manipulations en temps de crise politique. Et c’est là le danger qui menace l’unité nationale et même l’existence de notre pays.

Source : Elhourriya (Mauritanie)