Messieurs et Mesdames les responsables du Prix James Lawson,
Mon Révérend,
Messieurs, Mesdames,
Je viens de la Mauritanie, pays où sévissent encore l’esclavage et le racisme institutionnalisé par l’Etat. Pays que la Fondation Walk Free a classé à la peu enviable pool position en matière de prévalence de l’esclavage (4% de la population). Pays dont le régime a organisé 1989 le massacre puis la déportation hors de ses frontières d’une grande partie de sa composante négro-africaine.
Je viens avec mon collègue Abidine Merzough, recevoir le Prix James Lawson décerné à l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) pour sa lutte pacifique contre l’esclavage et le racisme d’Etat. C’est un honneur pour nous, militantes et militants d’IRA de marcher dans les pas de Martin Luther King et de son compagnon et ami le Révérend James Lawson. Honneur pour le symbole que représentent ces grands hommes mais honte pour notre pays, que nous aimons tant. Honte pour l’image que donnent de nous les esclavagistes et les racistes en ce début du 21 ème siècle.
Malgré l’énormité et l’abomination du crime que constituent l’esclavage et le racisme, notre organisation, IRA, a toujours adopté des méthodes de lutte pacifiques et non-violentes. Contre la violence policière, contre les campagnes de diffamation et de dénigrement, contre le lynchage médiatique pour lequel l’Etat mauritanien mobilise ses relais (journaux, site, radio, télévision, mosquées…) nous opposons des sit-in, des marches, des rassemblements. D’ailleurs, c’est à la suite d’une caravane pacifique organisée pour dénoncer l’esclavage foncier et les expropriations foncières dont sont victimes les esclaves et anciens esclaves mais également les paysans negro mauritaniens des vallées fertiles que notre président, Biram Dah Abeid et notre vice-président, Brahim Bilal, viennent de purger 18 mois de détention arbitraire et particulièrement éprouvante. Ils viennent juste d’être libérés et ils m’ont chargée de vous transmettre leurs plus vifs remerciements et leur profonde gratitude.
Le vice-président d’IRA, Brahim Bilal Ramdhane avait assisté ici, à votre généreuse invitation, à votre FSI en 2013 et il avait partagé avec les participants toutes les méthodes de lutte pacifique que nous utilisons pour dénoncer l’esclavage sous toutes ses formes. Cette visite, comme le sera ce prix, a été d’un très grand bénéfice pour le combat d’IRA. Nous vous en remercions, encore une fois.
Vous avez combattu pour les droits civiques aux Etats Unis. Droits civiques pour les Noirs américains, descendants d’esclaves ayant recouvré leur liberté après l’abolition de l’esclavage, un siècle au paravent. Chez-nous, en Mauritanie, la criminalisation de l’esclavage remonte à août 2015 ! Nous sommes donc très loin du recouvrement des droits civiques effectifs pour les descendants d’esclaves et encore plus loin pour les esclaves eux-mêmes.
En Mauritanie des lois ont été votées pour déclarer l’esclavage « crime contre l’humanité » mais pas le moindre début d’application de ces lois n’a été observé. La cause en est simple: l’Etat, qui a été obligé de faire voter ces lois grâce à la pression de nos luttes mais aussi grâce à la pression de l’opinion internationale dont vous êtes l’une des meilleures illustrations, est entre les mains d’esclavagistes et de racistes notoires.
La problématique de l’esclavage s’accompagne de la persistance de l’impunité des auteurs de crimes et de déportations massifs et racistes – résultat de la tentative de génocide contre les populations negro mauritaniennes. Les rescapés, les veuves, les orphelins et les défenseurs des Droits humains attendent la vérité, la justice, la mémoire et les réparations pour les victimes et leurs ayant droits.
Votre Prix et votre invitation à cette tribune nous font chaud au cœur et nous encouragent à continuer à nous battre, de façon pacifique, contre l’esclavage et contre le racisme d’Etat. IRA vous en remercie encore une fois.
Boston, 22 juin 2016
Coumba Dada Kane, Vice-présidente d’IRA