Un système démocratique n’est pas un modèle figé. Il se doit d’être en constante mutation. Son évolution donne corps à la volonté d’adaptation et au désir de participation et d’équité.
Dans cette perspective, le Président de la République a annoncé, à Néma, le 03 mai 2016, deux réformes qui, me semble-t-il, sont à la fois utiles et emblématiques : la fin du Bicamérisme et l’institution de Conseils Régionaux. Elles répondent à une double exigence : la rénovation/adaptation institutionnelle et la légitimation constante de l’exercice de l’autorité publique par l’extension du recours au suffrage universel dès lors qu’il s’agit d’exercer un pouvoir.
Les transformations et les mutations de notre société le postulaient. La complexification de la demande sociale et de l’ordonnancement des problématiques de développement, à l’échelle locale et régionale, impliquait un profond réajustement institutionnel.
La prise en compte raisonnée de la gestion de nos territoires, de nos régions, est un impératif majeur. Qui plus est, le propre du jeu démocratique sain est la recherche permanente de la meilleure manière d’un « vivre ensemble » et de préservation du bien commun.
Plus globalement, une société, un état, une civilisation, c’est avant tout une construction, une architecture. Elle suppose des règles et des mécanismes dynamiques d’organisation, de gestion et de fonctionnement : c’est le rôle de la règle de droit. Cela implique aussi la clarification de la direction, la garantie du respect des normes, la participation inclusive et équitable et la structuration de la force du collectif aux échelons appropriés : c’est le rôle des institutions.
Les institutions sont les murs et leurs arcs-boutants, les toits sécurisants de chaque étage et les issues d’aération de l’ensemble assurant une harmonie globale. Elles constituent l’expression matérielle et fonctionnelle du système politique auquel elles donnent corps à travers divers paliers. C’est pourquoi l’histoire des institutions et celle des systèmes politiques sont fortement corrélées. D’ailleurs, les actuels systèmes politiques « référents » sont le fruit d’un long processus, d’une genèse, par moment, tumultueuse : ajustement/réajustement, succès/revers, avancées/rechutes, révolutions/contre révolutions etc.
Une telle histoire a des vertus : l’internalisation des progrès et des expériences réussies. Celles-ci offrent, aujourd’hui, sous forme d’universels humains, aux peuples du monde entier, l’accès à des systèmes politiques évolués et adaptables à leurs réalités. Naturellement, chaque système suit sa propre trajectoire qui ne saurait, cependant, remettre en cause l’universalité de la démocratie comme dimension consubstantielle de l’expérience humaine. On ne peut échapper à une telle règle.
Dans ce cadre, les deux réformes proposées visent à améliorer, à rénover et à réajuster notre système démocratique en répondant à deux fortes demandes : la fin du bicamérisme et la pose d’un nouvel acte majeur de la décentralisation au service du développement et de l’encadrement de proximité. L’absence d’un véritable débat a occulté l’ampleur d’une telle évolution. Et, pourtant, les réformes suggérées méritent qu’on en débatte. Je sais nos éminents juristes, de loin, plus compétents que moi. Je prends, ici, le risque de décliner mon humble avis.
Comme bien d’autres institutions, le Sénat est là depuis 1992. Il a fonctionné pendant près d’un quart de siècle en légiférant, en contribuant au débat démocratique et à l’animation de la vie publique. Pour cela, les Sénateurs, personnes respectables, méritent la considération et les remerciements de la Nation.
Mais, au bout de vingt cinq ans, le moment de l’évaluation est arrivé. L’architecture institutionnelle de notre système politique, on s’en doute, n’est pas arrivée à son terme. Nombreuses sont les interrogations par rapport à notre réalité, à notre vécu et à notre propre expérience nonobstant ses insuffisances.
La première de ces interrogations concerne le bicamérisme mauritanien. Est-il nécessaire ? Pertinent? Les coûts ? Peut-on et doit-on représenter, autrement, nos territoires? Donc, l’inévitable adaptation ! Je sais que toute réforme rompt une habitude, un cycle parfois anesthésiant. Elle bouscule des atavismes administratifs et institutionnels. En cela, c’est un moment parfois, délicat toujours, riche et enrichissant. C’est une séquence de confrontations d’idées où la raison doit prévaloir.
Inspirée de la Constitution française de 1958, la nôtre, celle de 1991, a instauré un bicamérisme très chahuté au début pour, au final, être ouvertement contesté. Il s’est agi en effet, à quelques nuances près, d’un décalque du système parlementaire français.
Or, l’existence de deux chambres trouve, en France, dans l’histoire du pouvoir législatif, de solides ressorts. Ce qui est loin d’être notre cas. En effet, il y a eu un« Sénat conservateur » dès 1799 avec le Consulat, dissous et supplanté par la Chambre des pairs sous les restaurations monarchiques, réhabilité par le Second Empire en 1852 avant de prendre une forme élective sous la IIIème République.
Plus tard, il devient un simple Conseil de la République avant d’être réhabilité, de justesse, par la Constitution de 1958. Malgré, la longue lignée, l’existence du Sénat a toujours fait l’objet, en France, notre référence en la matière, d’âpres disputes et de critiques ouvertes parfois acides. Déjà, dans le livre XI de l’Esprit des Lois, Montesquieu écrivait « Ainsi la Puissance Législative sera confiée et au corps des nobles et au corps qui sera choisi pour représenter le peuple, qui auraient chacun leurs assemblées, et leurs délibérations à part et des vues des intérêts séparés ».
Gambetta dénonce « une citadelle pour l’esprit de réaction…. Une sorte de dernier refuge pour les dépossédés ou les refusés du suffrage universel ». Il poursuit « Il en est au contraire, qui ne sont rien que pour le peuple… qui sortent du suffrage universel, qui doivent le défendre, parce qu’on ne comprend pas la démocratie, parce qu’on ne comprend pas la République sans le suffrage universel : ce sont des termes indivisiblement liés l’un à l’autre, livrer le suffrage universel c’est livrer la République ». De son côté Victor Hugo parlait du « grand consul des communes de France ». Récemment Lionel Jospin, Ancien Premier Ministre Français (1997-2002) incriminait « une anomalie parmi les démocraties ».
Dans l’histoire des régimes constitutionnels, on a deux types de bicamérisme. L’un est lié à la nature fédérale des Etats comme aux USA où on retrouve une chambre des représentants du peuple et un Sénat représentant les Etats fédérés. C’est la raison de l’existence du Sénat américain et du Bundesrat allemand. Le Sénat mauritanien, on s’en doute, ne correspond à aucun de ces modèles ni ne remplit les mêmes fonctions. Dans ces conditions et, à ce stade de notre évolution, réfléchir à des aménagements institutionnels dont la fin du bicamérisme est logique et raisonnable.
« On ne stabilise la démocratie que par le mouvement » soutenait Edouard Herriot. D’autant plus que plusieurs arguments objectifs militent en faveur de cette évolution institutionnelle. Le premier est inhérent au caractère unitaire de notre Etat (pas d’Etats Fédérés ni de Länder). Le caractère superfétatoire tout en étant coûteux de deux étapes parlementaires dans le processus législatif national en constitue le second. L’établissement de la clarté et de la responsabilité du parlement supposait une telle réforme (troisième argument).
Le quatrième argument est le mode de scrutin fondé sur le suffrage indirect par un collège très réduit composé de Conseillers Municipaux. Un tel mode de scrutin (cinquième argument) a favorisé des dérives bien connues et exclu certains segments des forces vives tant en milieu rural que dans les territoires sous intégrés en milieu urbain de même que des franges les plus défavorisées. Enfin (sixième argument), les difficultés d’une réelle alternance, à terme, au niveau de cette chambre, alternance qui est la règle démocratique.
En somme, la Mauritanie a besoin de cette réforme. Il était temps de réaffirmer l’unité et la responsabilité du pouvoir législatif en le dotant d’une chambre unique, et en renforçant ses moyens et ses compétences de contrôle et de latitude dans l’élaboration des lois. La suppression du Sénat ne saurait signifier, cependant, la non représentativité des territoires. Bien au contraire celle-ci prend, avec les Conseils Régionaux, un nouveau relief, une forme ordonnée et plus démocratique grâce à l’onction du suffrage universel et à une meilleure diffusion raisonnée du pouvoir.
Notre pays a, très tôt, opté pour une organisation administrative fortement centralisée avec, on le sait, des seuils faibles « d’administrabilité » des territoires et des hommes. Au milieu des années quatre vingt s’est imposée comme exigence la création d’entités décentralisées pour tenter d’assurer un service public de proximité. C’est le sens et la portée des communes.
Avec la démocratisation croissante de la vie publique, la complexification des processus de développement et la double nécessité de consolider et de régénérer la légitimité de notre Etat Nation, il est suggéré de créer un nouvel échelon régional. Il s’agit, à travers la création de telles entités territoriales, de constituer un socle cohérent pour le développement de notre pays. La nouvelle architecture des Collectivités Territoriales permettrait de créer les bases objectives pour faire prospérer le niveau régional et encourager l’intercommunalité comme mécanisme structurant de la solidarité des territoires.
L’élection au suffrage universel direct des Conseils Régionaux donne corps et approfondit la démocratie en même temps qu’elle permet de proposer des processus décisionnels de nature à favoriser des représentations territoriales utiles, efficaces et légitimes. C’est en cela que cette réforme participe de la mécanique d’ensemble d’un Etat de Droit, Unitaire et Décentralisé comme cadre unificateur et cohérent de notre développement. Avec le temps, on se rendra compte que c’est l’une des plus grandes réformes des dernières années. Car elle se fonde sur la démocratie locale, la garantie d’un développement de proximité, la croissance et la cohésion nationale. Elle postule une autre manière de gouverner notre territoire et nos populations.
L’Etat Nation permet à une collectivité de construire un « vivre ensemble » juste, responsable et durable. Il a la responsabilité de relever un ensemble de défis. Ceux-ci peuvent être d’ordre culturel, social, économique, sécuritaire mais, aussi physique/naturel.
Le territoire est en effet, à la fois un cadre de gestion et de gouvernance locale ou nationale mais aussi, un système en constante réactivité avec le monde extérieur. Il constitue le champ de la mise en œuvre de l’action publique. Il en borne les horizons et les variables spatiales et en détermine les possibilités de déclinaison territoriale.
Pour le cas spécifique de notre pays, la problématique physique, environnementale et écologique est majeure. La nature de la territorialité limite et peut même annihiler l’action publique en même temps qu’elle peut cliver l’occupation humaine de l’espace. Ici, elle s’entend comme élément structurant de l’investissement des Pouvoirs Publics et des citoyens.
Prendre en compte cette incontournable dimension et développer notre pays passent par un réajustement des politiques publiques en leur donnant une expression cohérente à la fois institutionnelle (commune, Conseil Régional) et spatiale. Celle-ci participe du projet de transformation de notre pays non seulement comme vecteur de novation des démarches territoriales mais comme instrument de cadrage unifié des actions à mener pour viabiliser les territoires et favoriser leur solidarité pour qu’ils servent de pôles de croissance et de leviers de cohésion de la communauté nationale et, in fine, de l’Etat. C’est en cela que le Conseil Régional est l’une des clefs de notre destin partagé.
Plus substantiellement, nous savons que chacun de nos territoires est une société locale, un espace d’organisation des activités, un patrimoine, un passé, un présent, un lieu avec des rapports et des réseaux territoriaux de l’action. Leur juxtaposition dans un cadre national unifié rend ce qu’on appelle le Territoire National composite renvoyant ainsi à des structures, des représentations et des vécus différents.
Le rôle des Pouvoirs publics est l’occurrence, de faire en sorte que cette diversité serve de richesse, d’instrument de solidarité et de légitimité nationale à travers les canaux idoines postulés par toute démocratie moderne. En insérant toutes ces entités dans une architecture d’ensemble formée de relais efficaces et légitimes, on consolide notre identité commune, on organise et on structure les fonctions en intégrant les actions sociales, économiques et culturelles. Ce faisant, on construit une représentation collective inclusive et on requalifie les territoires dans une perspective nationale.
A cet effet, l’institution des Conseils Régionaux démocratiquement élus en charge du développement réaménage, positivement, notre tradition jacobine en lui construisant des ressorts localement référencés mais, légitimement rattachés à un tronc commun, à un espace partagé, à un patrimoine collectif. Aussi offriront-ils une expression matérielle régénérée de notre identité nationale à un moment où la globalisation réajuste la grammaire territoriale. A travers ce nouvel étage, le territoire national devient une construction cohérente bien maillée structurant l’identité nationale de notre peuple à un moment où, précisément, la déterritorialisation, d’essence mondiale, engendre des réactions en chaîne de nature à défaire les sociétés en diluant leurs repères.
En somme, démocratie locale, développement décentralisé et légitimé, construction de pôles de croissance et des leviers de cohésion nationale, novations des démarches territoriales constituent les dimensions distinctives de ce nouvel acte de la décentralisation.
Pendant longtemps, l’Etat concentrait toutes les missions régaliennes, sociales et culturelles, bien sûr, mais, c’était aussi le principal agent économique. La libéralisation de l’économie s’est accompagnée de la création séquencée de communes. C’est la première décentralisation territoriale c’est-à-dire un aménagement de l’Etat Unitaire qui permet le transfert des compétences vers des collectivités locales.
Créées sous un régime d’exception, les communes, aujourd’hui au nombre de 218, en gardent encore des stigmates viraux dont un découpage inadapté et bancal, fruit des conservatismes en tous genres. Celui-ci couplé à l’absence réelle de transfert des compétences avec les ressources financières correspondantes a ôté aux communes leur fonction première : l’accès des citoyens aux services publics de proximité. La présente réforme est l’occasion d’une refonte du cadre juridique de la décentralisation selon trois logiques devant être garanties par la constitution : l’indépendance organique normalement assurée par le suffrage universel, les pouvoirs propres de décision et l’autonomie financière.
Le transfert des compétences doit se fonder sur une approche de progressivité et de contractualisation (Contrat Plan, Contrat Programme) surtout que les collectivités territoriales prennent une grande ampleur avec l’institution des Conseils Régionaux.
Les Conseils Régionaux devraient être des Assemblées élues au suffrage universel direct pour un mandat à définir. Leur calibrage se fera selon le poids démographique et les ressources de la région. Ils constitueraient l’Exécutif de la Collectivité Territoriale exerçant ses compétences grâce à un pouvoir réglementaire. Leur donner tout leur poids pour en faire des locomotives de développement suppose l’adoption de plusieurs principes dont la libre administration, avec un rang constitutionnel, la personnalité juridique et l’autonomie administrative sans remettre en cause l’unité de l’ordre juridique. En contrepartie, l’Etat et le législateur fixeront les moyens et les mécanismes de prévention ou de sanction du non respect des lois et règlements.
Dans ce cadre, les Conseils Régionaux permettront une véritable territorialisation des politiques publiques pour assurer le développement économique et social des régions grâce à deux ressorts : la démocratie de proximité et la régénération constante de la légitimité. A cet égard, ils pourraient s’occuper de certains secteurs productifs et marchands, de la santé, de l’éducation, de la formation professionnelle, des équipements collectifs structurants en bonne intelligence avec les communes.
Ce faisant, on crée un cadre pertinent et citoyen de programmation, de planification et d’aménagement du territoire.
Par ailleurs, avec le Conseil Régional, la République ouvre, aux citoyens, une nouvelle manière démocratique de peser sur leur destin. L’élection au suffrage universel direct de ceux qui sont en charge du développement le postule. Dans ce cadre, il est possible d’aller plus loin pour donner plus de sens à une telle réforme en introduisant des dispositifs organisant et structurant la participation des citoyens à l’identification des objectifs et à la mise en œuvre des politiques et programmes.
Dans cette perspective, tous les acteurs sont appelés à jouer un rôle de premier plan dans ce processus de rénovation institutionnelle. C’est un nouveau laboratoire de démocratie, de compétition et de confrontations de points de vue. De nouvelles opportunités s’ouvrent aux citoyens aptes à relever les défis du développement et de la démocratie de proximité. Le dialogue proposé est l’occasion de débattre des enjeux nationaux dont, précisément, cette nouvelle architecture institutionnelle, territoriale et démocratique.
MD SALEM MERZOUG
Universitaire