TRIBUNE | L’heure est venue, par M. Ahmedou Vall Messaoud, du Directoire du Manifeste des Harratines

TRIBUNE | L’heure est venue, par M. Ahmedou Vall Messaoud, du Directoire du Manifeste des HarratinesAhmedou Vall Messaoud– Mes chers frères Biram Dah Abeid et Brahim Ould Bilal Ramdanae,

Je vous félicite pour le courage dont vous avez fait preuve et vous remercie pour les sacrifices consentis pour la cause des esclaves et anciens esclaves (Harratines). La nouvelleMauritanie ne sera pas construite que par ceux qui restent à l’écart, les bras croisés, mais par ceux qui, comme vous deux, sont dans l’arène, les vêtements réduits en haillons par la tempête, le corps mutilé par les évènements, pour paraphraser le Grand Combattant de la Cause Noire, Nelson Mandela.

Au demeurant, la première condamnation pour esclavage dans l’histoire judiciaire en Mauritanie a été prononcée le lundi 16 mai par la Cour spéciale deNéma, à l’Est du pays.

Les deux criminels, Hanana Ould Sidi Mohamed et Khalihina Ould Heymed qui ont réduit à l’esclavage durant 40 ans les dames Vatimata mint Zayda (6 enfants) et Vatimétou Mint Hamdy (4 enfants), n’ont écopé que d’une légère peine de 5 ans, dont un seul ferme et quatre avec sursis, et d’une amende de 3.000 dollars environ, alors que la loi 2015-31 du 10 Septembre 2015 portant criminalisation de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes ordonne un minimum de 10 ans et un maximum de 20 ans et une amende d’un million à 5 millions d’ouguiyas (article 07).

Les articles 13 et 15 de la même loi accordent une attention particulière aux femmes et aux enfants victimes de pratiques esclavagistes. C’est là un verdict inique et le président de la cour criminelle spécialisée en matière de lutte contre l’esclavage de Néma, Ba Aliou, devrait être relevé de ses fonctions pour avoir pris une telle décision. Le président de la cour criminelle spécialisée en matière de lutte contre l’esclavage de Néma.

Cela démontre s’il en était besoin, le peu de volonté du régime de Mohamed Ould Abdel Aziz de combattre ce crime contre l’humanité et pour lequel le secrétaire général des Nations-Unies, M. Ban-Ki Moon, s’est déplacé àNouakchott pour rappeler aux autorités mauritaniennes que l’anachronisme de cette pratique, précisant que les Nations-Unies et le monde civilisé ne continueront pas advertam aeternam à accepter pour le régime de Ould Abdel Aziz ce qui n’a pas été toléré en Afrique du Sud au sujet de l’Apartheid.

Du reste, dans les prochains mois, les condamnés se verront bénéficier d’une liberté provisoire qui deviendra par la force des choses définitive, en dépit d’une longue bataille judiciaire menée par SOS Esclaves du président Boubakar Ould Messaoud.

A cet égard, l’ONG britannique Walk Free, dans son rapport du 17 Septembre 2014, faisait état de l’existence de 250.000 esclaves en Mauritanie soit un peu moins de 10% de la population mauritanienne. C’est dire l’ampleur du phénomène et la faiblesse de la réponse apportée à réprimer la pratique de l’esclavage en Mauritanie.

Comme disent les Espagnols, « Ara es L’hora », comme disent les Américains, « So long not long » ou encore comme disent les Britanniques, « We shall over come ». Il convient de noter qu’à la lumière de ce qui précède que les auteurs de crimes d’esclave jouissent jusqu’à présent de la protection totale de l’Etat et d’une totale impunité. Plus d’une cinquantaine de dossiers d’esclavage avéré concernant en majorité des femmes et des enfants sont aujourd’hui pendant devant les tribunaux du pays, sans qu’aucune condamnation ne soit prononcée. Profitant de la peur et de l’ignorance des esclaves, la justice mauritanienne trouve toujours des subterfuges conduisant au versement de modiques sommes d’argent aux victimes en guise de réparation.

Le rapport préliminaire de M. Philipp Aslton, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme et de l’extrême pauvreté est malheureusement d’une brûlante vérité. Il a fait sortir au grand jour en toute objectivité et impartialité les tristes conditions de vie que vivent les esclaves et anciens esclaves (Harratines) qui représentent plus de 50% de la population mauritanienne.

Pour faire la lecture de cette situation et se rendre compte de cette réalité, dix jours ne sont pas nécessaires, à peine dix minutes d’observation dans la rue suffisent à se faire une idée de cette triste réalité.

Du reste, un autre expert de la Banque Mondiale avait estimé que quelques minutes d’observation suffisent pour se rendre compte de l’injustice et de l’exclusion dont sont victimes les esclaves et anciens esclaves (Harratines) enMauritanie.

Généralement, pauvres et non-instruits et habitant les quartiers périphériques des grandes villes et des zones rurales, les esclaves et descendants d’esclaves sont corvéables à merci et exclus du système économique, financier et social. Ils constituent le groupe le plus important et le plus marginalisé dans une société qui demeure profondément stratifiée selon l’ethnie, l’ascendance, la caste et la classe.

Voici quelques chiffres illustratifs tirés du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Harratines qui donnent froid au dos :

– 95% des esclaves et anciens esclaves sont des petits paysans sans terre

– 100% des dockers sont des esclaves et anciens esclaves

– 100% des travailleurs domestiques dans les maisons sont des esclaves et anciens esclaves

– 100% des travailleurs manuels exerçant des métiers pénibles, dégradants et mal rémunérés sont des esclaves et anciens esclaves

– 2 Ministres seulement sur la cinquantaine de ministres assimilés que compte le gouvernement sont des Harratines

– 1 seul ambassadeur (Bruxelles) sur la centaine de diplomates que compte le pays est une Harratine

– 1% des hauts fonctionnaires et cadres supérieurs du secteur public et parapublic sont des Harratines

– 40% des officiers supérieurs sont des esclaves et anciens d’esclaves sur plus de 600 officiers de l’armée et des forces de sécurité nationale.

Les esclaves et anciens esclaves disposent de 10 sièges sur les 140 que compte l’Assemblée Nationale.

Au Sénat, aucun Harratine n’y est représenté, le seul qui y était, celui deNouadhibou, feu Mohamed Ould Beibou, est décédé tout dernièrement.

Un seul préfet sur les 56 que compte le pays.

Un seul gouverneur sur les 15 gouverneurs que compte la République, aucun adjoint au gouverneur, aucun secrétaire général de commune.

90% des esclaves et anciens esclaves (Harratines) sont des analphabètes.

80% de ces 20% scolarisés n’ont pas dépassé le cycle primaire.

Moins de 05% des Harratines scolarisés accèdent à l’enseignement supérieur.

99% des esclaves et anciens esclaves étudiants même admis aux concours généraux organisés par l’Etat mauritanien sont éliminés à l’oral, le cas de l’étudiant Bamba Ould Sidi Ould Messaoud est symptomatique de cette situation. Arrivé premier à l’écrit au dernier concours des inspecteurs de douanes, il a été éliminé à l’oral. Sa grande sœur, Rokhaya Mint Sidi Messaoud a été éliminée, il y’a quelques années, dans les mêmes circonstances (vérifiable sur Internet).

Par contre, 100 % des dockers, des domestiques de maisons, des emplois non qualifiés et mal payés sont occupés par les esclaves et anciens esclaves. Moins de 1% des hauts fonctionnaires de l’Etat appartiennent à ce groupe. Les esclaves et anciens esclaves ne comptent aucun banquier sur la vingtaine de banques qui existent, aucun propriétaire de sociétés d’assurances et de réassurances, aucun propriétaire de sociétés BTP, aucun propriétaire d’hôtels particuliers, aucun homme d’affaires dans l’import-export, aucun esclave et ancien esclave ne dispose d’une télévision et d’une radio sur la dizaine que compte le pays.

Ce constat est trop violent et ne demande pas de longue observation, ne nécessite pas une mission de 10 jours.

Du reste, l’intégralité du pouvoir politique, économique et financier se trouve entre les mains de la seule communauté arabo-berbère.

Pour terminer, comme je l’ai souvent dit, rappelé et répété, Aziz méprise les esclaves et anciens esclaves, ne leur accorde aucune considération. La preuve : les propos choquants voire méprisant et insultant tenus à Néma, au sujet de la fécondité de la femme esclave Harratine méritent des excuses publiques à l’égard de la plus grande communauté en Mauritanie. On peut lui pardonner ce langage indigne d’un Président de la République qui se respecte mais on peut l’excuser connaissant son niveau intellectuel et de la manière dont il est arrivé au pouvoir.

J’insiste enfin auprès de la communauté internationale d’imposer à Ould Abdel Aziz qui refuse systématiquement de publier les statistiques sur le poids démographique des esclaves et anciens esclaves. Ce qu’il refuse systématiquement jusqu’à présent.

Tout comme j’insiste sur l’arrêt immédiat de la chasse aux sorcières dont sont victimes les migrants ouest-africains qu’on observe depuis quelques temps àNouakchott et à Nouadhibou. Le cas du jeune migrant malien, Modi Boubou Coulibali, en est la dernière illustration. En effet, ce jeune malien qui travaillait sur un chantier de construction de bâtiments est mort à l’hôpital national àNouakchott suite à course-poursuite avec des gendarmes qui étaient venus contrôler ces pièces d’identification et ces titres de séjour sur le chantier.

Pris de panique à l’idée de se faire arrêter, envoyer dans un centre de rétention et finalement conduit à la frontière, le jeune migrant s’est jeté dans le vide du 3e étage et tombe malheureusement sur un piquet de ferraille qui lui transperce mortellement les hanches.

C’est le lieu de demander à la Mauritanie de se réconcilier avec son Histoire et sa Géographie avec ses voisins du Sud de l’Afrique qui n’exigent pas aux Mauritaniens de bénéficier de cartes de séjour. C’est lieu aussi de rappeler que le premier député de la Mauritanie à l’Assemblée Nationale française a étéLéopold Sédar Senghor, avant les indépendances, que durant les premières années de l’indépendance, la diplomatie sénégalaise était essentiellement tournée vers la reconnaissance de la Mauritanie qui était contestée par le Maroc. C’est le même Léopold Sédar Senghor qui a usé de son influence auprès de laFrance pour intervenir dans le conflit du Sahara Occidental par la protection de la Mauritanie avec les avions jaguar.

Le premier avion présidentiel, La Caravelle, avait été donné par le présidentOmar Bongo pour lui permettre d’effectuer ses déplacements internationaux alors qu’il était président en exercice de l’OUA.

L’Ecole Normale Supérieure de Nouakchott a été financée par le président duZaïre Mobutu. Pendant presque toute la guerre du Sahara, la Côte d’Ivoire a pris en charge le salaire des fonctionnaires mauritaniens. D’ailleurs, Moktar a évoqué cette question dans son livre, La Mauritanie : Contre vents et marées.

Autant de faits qui méritent la reconnaissance même si de plus en plus on se tourne vers les voisins du Nord. C’est l’occasion de faire un appel à la construction du pont de Rosso qui peut avoir le même impact économique que leCanal de Suez.

Par M. Ahmedou Vall Messaoud, ancien wali et membre du Directoire du Manifeste des Harratines

Source : Ahmedou Vall Messaoud