Bilan de la Marche pour les droits des Harratines : «Depuis trois ans, nous ne faisons que du surplace … », dit Ahmedou Vall Ould Messaoud

Bilan de la Marche pour les droits des Harratines : «Depuis trois ans, nous ne faisons que du surplace … », dit Ahmedou Vall Ould Messaoud

Nouakchott Info – Ancien gouverneur, Ahmedou Vall Ould Messaoud est membre du Directoire du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines. Pour Nouakchott Info, il fait le bilan de la Marche pour les droits des Harratines.

Nouakchott Info: Vous fêtez, vendredi 29 avril courant, le 3ème anniversaire du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines. Où en est votre mouvement dans son unité et ses ambitions ?

Ahmedou Vall Ould Messaoud: Permettez-moi tout d’abord de présenter mes condoléances les plus attristées à la famille de notre défunt président feuMohamed Said Ould Homedy, qui, l’année dernière avait pris part avec nous à la marche commémorative du deuxième anniversaire de la proclamation du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines. Mort qui laisse un vide difficile à combler et je prie Allah de l’accueillir en Son saint paradis.

A dire vrai Mohamed Said Ould Homedy n’était pas un hartani dans le sens classique mais il avait choisi lui-même de l’être pour partager avec ses frères opprimés leur destin. Il aimait citer un philosophe, Jean-Paul Sartre qui disait : « l’important n’est pas ce que l’histoire fait de nous, mais ce que nous faisons de ce que l’histoire fait de nous ». 

Je soulignerai ici que durant son mandat inachevé, feu Mohamed Said Ould Homedy a, vainement, fait des pieds et des mains, usant de ses relations personnelles, pour être reçu par le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz dans le seul but de lui présenter le « Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même » (Mithaq).

Pourtant, au pire de la ségrégation raciale aux Etats-Unis d’Amérique et à l’issue de la grandissime marche du 28 août 1963, conduite par le pasteur Martin Luther King où il lança son célèbre « I have a dream », le Président américain de l’époque, John F. Kennedy, a tout de suite reçu à la Maison Blanche, les manifestants pour leur dire qu’il tient compte de leurs doléances qui sont légitimes.

Tout le contraire de notre Président Mohamed Ould Abdel Aziz qui, non seulement a décliné les invitations adressées par Mohamed Said Ould Homedypour participer à nos marches, mais il n’a pas daigné qu’on lui remette le texte du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines.

Ce qui serait un minimum de la part d’un Chef d’Etat à l’endroit de ses milliers de concitoyens victimes de l’esclavage. Et comme notre défunt président tenait à ce que le Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines soit présenté au Président de la République avant d’être ventilé aux chancelleries étrangères qui le réclament, nous avons refusé d’aller au-delà de ce vœu non encore exaucé par respect à la mémoire de notre défunt présidentMohamed Said Ould Homedy. 
C’est pour quoi depuis lors nous attendons que cette audience nous soit accordée pour faire ce premier pas. Certes, nous avons désigné, au cours d’une séance, M. Boubacar Ould Messaoud, le président de SOS Esclaves à la place de feu Mohamed Said Ould Homedy en attendant que la réunion du Conseil nationale laquelle doit compléter les autres structures et mettre en place un plan d’action. C’est dire que depuis trois ans, nous ne faisons que du surplace, comme on dit dans le langage du vélodrome, nous contentant de faire une marche annuelle qui va de la mosquée marocaine à la place Ibn Abass, ce que nous reprochent certains de nos détracteurs. Nous espérons qu’avec notre nouveau président Boubacar Ould Messaoud la situation va changer.

Nouakchott Info: Le gouvernement mauritanien a institué une journée nationale de lutte contre l’esclavage qui est célébrée le 6 Mars de chaque année. Est-ce un fruit de votre combat, sachant que lors de sa visite en début du mois dernier, le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon a appelé à l’application effective de la loi contre l’esclavage ?

Ahmedou Vall Ould Messaoud: Cette décision instituant une journée nationale contre l’esclavage n’est que l’une des nombreuses manœuvres du pouvoir pour se dérober et elle s’inscrit dans le cadre d’une stratégie pour tromper Secrétaire Général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon à l’occasion de sa visite enMauritanie. Elle a immédiatement rejoint le cimetière des autres lois et décrets mort-nés pris et enterré à la présidence de la République.

Il s’agit du décret instituant trois tribunaux spéciaux pour réprimer les crimes d’esclavage à NémaNouakchott et Nouadhibou, de la loi 031/2015 portant criminalisation de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes à 20 ans de prison au lieu de 10 ans précédemment. Il s’agit de la loi 048/2007 criminalisant l’esclavage, l’ordonnance 81-23 portant abolition de l’esclavage, la Feuille de route des 29 points des Nations Unies de mai 2014, les Conventions internationales de 1926 et de 1936 signées et ratifiées par la Mauritanie par lesquelles la Mauritanie s’engage à mettre fin définitivement à l’esclavage. Toutes ces mesures ne sont en vérité que la poudre aux yeux destinée à tromper l’opinion nationale et internationale.

Aucun esclavagiste n’a été jusqu’à ce jour condamné en Mauritanie pour fait d’esclavage. Mais alors jamais, alors que l’organisation Walk Free a révélé dans son rapport de 2014, l’existence de 250.000 esclaves en Mauritanie. Au contraire, on constate que ce sont les militants des droits de l’homme qui sont jetés en prison comme le président du mouvement IRA, Biram Ould Abeid, prix des Nations Unies pour les Droits de l’homme et son adjoint Brahim Ould Bilal. Tous les deux croupissent en prison depuis deux ans pour avoir dénoncé l’esclavage foncier. Le Président Ould Abdel Aziz doit savoir qu’il ne pourra pas continuer ad-vitam aeternam à gouverner la Mauritanie en niant l’existence de l’esclavage.

Nouakchott Info: Pensez-vous que la Communauté internationale, les pays voisins et surtout la France font ce qui se doit pour soutenir la lutte contre l’esclavage en Mauritanie ?

Ahmedou Vall Ould Messaoud: Loin s’en faut ! La France particulièrement est en grande partie responsable de la situation que nous vivons actuellement enMauritanie. Elle a été le fossoyeur des esclaves en Mauritanie par sa complicité avec les esclavagistes. En 1905, la France, en application de la loi 1848, a aboli l’esclavage dans toutes les communautés sur les cinq continents où elle est présente sauf en Mauritanie.

En termes plus clairs, les esclaves en Mauritanie sont restés dans ce statut d’esclave du fait de cette décision dont Xavier Coppolani est l’initiateur et qui s’inscrivait dans le cadre de sa politique de colonisation pacifique. Engagement qu’il aurait pris avec Baba Ould Cheikh Sidiya et les chefs maures de ne pas toucher à leurs traditions dont l’esclavage. Nous comptons porter cette affaire devant les juridictions internationales pour demander des réparations et des avocats ainsi que des historiens planchent déjà là-dessus.

S’agissant de la Communauté internationale et des pays voisins au nord et au sud, nous constatons un silence complice et coupable. Pourtant, s’il s’agissait d’un pays européen ou latino-américain qui pratique l’esclavage, on aurait entendu leurs cris de dénonciation jusqu’à Mars et Jupiter, voire plus loin. EnMauritanie, on considère que tout est mauvais sauf l’esclavage. Ainsi, si vous visitez la prison de Dar Naim ou n’importe quel autre lieu de détention, vous trouverez toutes sortes de crimes, de délits et d’infractions mais jamais un détenu pour fait de crime esclavagiste alors que Abraham Lincoln, le libérateur des esclaves aux Etats-Unis en 1865, a dit que « si l’esclavage n’est pas mauvais, rien au monde n’est mauvais ». 

A l’inverse de ce qui se passe en Mauritanie. Alors de grâce que la Communauté internationale intervienne énergiquement pour que l’esclavage cesse enMauritanie car il est inconcevable et inadmissible encore en 2016 dans un pays de surcroit musulman !

L’ancien président français, Nicolas Sarkozy avait raison quand il disait à Dakarque l’Afrique n’est pas suffisamment rentrée dans l’Histoire si en 2016 un pays pratique encore l’esclavage se situant à l’âge de la pierre taillée alors qu’il y a quelques mois la sonde américaine Voyager One donnait sa position à 18 milliards de la terre et était entrain de sortir du système solaire et au même moment le centre spatial européen posait le robot PHILAE à 400 millions de la terre sur la comète Tchouri.

Propos recueillis par Mohamed Ould Khattat 

Source : Nouakchott Info (Mauritanie)