Trois militants anti-esclavagistes ont été emprisonnés et un blogueur a été condamné à mort pour apostasie, alors que les droits à la liberté d’expression et de réunion faisaient l’objet de nouvelles restrictions ; ces droits ont été encore plus menacés par une nouvelle loi sur les associations issues de la société civile.
Les conditions de détention restaient éprouvantes. Le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements était généralisé et favorisé par la garde à vue prolongée autorisée par la législation antiterroriste. De nouvelles lois ont défini la torture et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité et renforcé les mesures en vue de les combattre.
Contexte
En novembre, la situation des droits humains en Mauritanie a été examinée dans le cadre de l’Examen périodique universel de l’ONU1. Le pays a accepté plus de 136 recommandations, dont la création d’un mécanisme national de lutte contre la torture. Il en a rejeté 58, notamment celles concernant l’abolition de la peine de mort et la suppression du crime d’apostasie de sa législation.
LIBERTÉ D’EXPRESSION, DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION
Des restrictions ont été imposées aux droits à la liberté d’expression et de réunion, ce qui a entraîné la détention de prisonniers d’opinion. En décembre 2014, Mohamed Mkhaïtir, un blogueur qui était en détention provisoire depuis près d’un an, a été condamné à mort pour apostasie par le tribunal deNouadhibou, dans le nord-ouest du pays.
Il avait écrit un billet de blog critiquant l’utilisation de la religion pour marginaliser certains groupes sociaux. Il se trouvait toujours en détention à la fin de l’année2.
En janvier, le tribunal de Rosso, dans le sud de la Mauritanie, a condamnéBrahim Bilal Ramdane, Djiby Sow et Biram Dah Abeid, ancien candidat à l’élection présidentielle et président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) en Mauritanie, à des peines de deux ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation non reconnue, participation à une réunion non autorisée et violences à l’encontre d’agents des forces de sécurité.
Ces trois militants avaient été arrêtés en novembre 2014 avec d’autres manifestants alors qu’ils faisaient campagne contre l’esclavagisme et sensibilisaient la population locale aux droits à la terre des descendants d’esclaves. Leurs condamnations ont été confirmées en août 2015 par la cour d’appel d’Aleg3.
En août, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association a appelé l’Assemblée nationale à rejeter un projet de loi relatif aux associations de la société civile qui avait été approuvé, sans consultation publique, par le Conseil des ministres.
En novembre, Oumar Ould Beibacar, colonel à la retraite, a été arrêté dans la capitale, Nouakchott, lors d’un meeting politique au cours duquel il avait parlé des exécutions extrajudiciaires de militaires dans les années 1990. Détenu dans les locaux de la Direction de la sûreté nationale, à Nouakchott, il a été libéré six jours plus tard mais maintenu sous contrôle judiciaire.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS
Des prisonniers soupçonnés d’appartenir à Al Qaïda au Maghreb islamique(AQMI) et au groupe armé État islamique (EI), ainsi que des femmes et des enfants, ont été torturés et autrement maltraités. Ces méthodes visaient le plus souvent à obtenir des « aveux », mais aussi à punir et humilier des suspects.
Le recours à la torture et aux mauvais traitements était favorisé par la Loi antiterroriste de 2010, qui permettait de maintenir en garde à vue, pendant une période pouvant aller jusqu’à 45 jours, les personnes soupçonnées d’actes de terrorisme.
Cette limite était régulièrement dépassée ; dans un cas la garde à vue a même duré plus d’un an. Un détenu de la prison civile de Nouakchott, arrêté en avril 2015 et accusé d’appartenance à l’EI, aurait été torturé pendant sa détention provisoire. Il s’est plaint d’avoir eu les yeux bandés et les mains attachées par des menottes et d’avoir été frappé à coups de poing et de matraque.
Il affirme avoir été contraint de signer des « aveux » au bout de sept jours. Cet homme a dénoncé ces actes de torture lors d’une audience en juin 2015, mais les juges n’en ont pas tenu compte et l’ont déclaré coupable. Aucune enquête n’a été menée sur ses allégations de torture.
Une femme aurait été torturée durant sa détention provisoire. Elle a affirmé que des gardiens lui avaient arraché ses vêtements et l’avaient giflée pour la contraindre à faire des « aveux ».
Après son procès, elle a été extraite de la prison et emmenée dans un poste de police, où elle a de nouveau été battue. Les autorités pénitentiaires, constatant la présence d’ecchymoses sur son corps, ont signalé les faits au procureur. Des mineurs ont également été battus en garde à vue et en prison, où ils partageaient la même cour que les adultes. L’un d’entre eux a affirmé qu’on l’avait menotté et frappé pendant quatre jours pour le contraindre à « avouer ».
Parmi les autres méthodes signalées figuraient les coups assénés avec un câble, la suspension au plafond et l’eau versée dans les narines. Des détenus du centre de détention de Salah Eddin ont affirmé qu’ils n’étaient jamais autorisés à faire de l’exercice dans la cour et qu’on leur donnait de l’eau sale, ce qui avait rendu malades certains d’entre eux.
En août, de nouvelles lois ont défini la torture comme un crime contre l’humanité, prohibé la détention secrète et créé un organisme national habilité à inspecter à tout moment les centres de détention.
DISPARITIONS FORCÉES
Khadim Ould Semen, Mohamed Ould Cbih et Mohamed Khaled Ould Ahmed, trois détenus condamnés à mort pour une fusillade survenue à Tourine, ont été victimes de disparition forcée en février. Ils avaient participé à un sit-in organisé dans la prison pour protester contre le fait qu’un détenu n’avait pas été remis en liberté à la date prévue.
Les autorités pénitentiaires ont affirmé que ce mouvement de protestation s’était accompagné de violences. Les gardiens ont tiré des grenades lacrymogènes et frappé les prisonniers à coups de matraque avant d’emmener les trois hommes, dont on est sans nouvelles depuis.
Le ministre de la Justice a déclaré, en juillet, qu’il n’était pas en mesure d’indiquer leur lieu de détention et qu’une délégation serait autorisée à leur rendre visite en octobre, après l’adoption de la Loi sur la torture. Ces trois hommes restaient victimes de disparition forcée à la fin de l’année.
Les autorités n’ont toujours pas ouvert d’enquête sur le cas de 14 hommes condamnés pour des faits liés au terrorisme et qui avaient fait l’objet de disparition forcée en 2011.
Ils ont été détenus dans des conditions éprouvantes au centre de détention deSalah Eddin, où l’un d’entre eux est mort en mai 2014. Les 13 autres ont été transférés dans la prison centrale de Nouakchott en mai et en juillet 2014.
Source : Kassataya (France)